Parmi les hommes qui œuvrèrent pour le rapprochement entre le Vietnam et l'Occident il m'a parut judicieux de commencer par Alexandre de Rhodes qui se pencha sur la langue annamite et en fit la romanisation il y a plus de trois siècles.
Alexandre vit le jour le 15 mars 1591 à Avignon où il vivra jusqu'en 1599, date à laquelle il s'embarque pour Rome afin d'y effectuer son noviciat. En 1612 il s'engagera dans la Compagnie de Jésus pour, six ans plus tard, aller dire adieu à ses parents avant de partir pour Lisbonne, seul base permettant de s'embarquer pour les Indes Orientales, en ayant reçu le droit par le pape Alexandre Borgia.
Il n'embarquera en fait que le 4 avril 1619 pour le Japon, une destination qu'il n'atteindra jamais, ce pays, après son départ, chassera tous les missionnaires et prédicateurs étrangers.
Le 9 octobre il débarque à Goa dans le but d'attendre que le Japon révise sa position et autorise à nouveau la pollution occidentale sur ses terres. Il ne repartira que le 12 avril 1622, pour la même destination, qu'il n'atteindra toujours pas, devant attendre 9 mois à Ceylan des vents favorables qui ne le pousseront jamais vers son but premier. Celui-ci fut donc modifié et on lui demanda de reporter son désir d'évangélisation vers les pays limitrophes de la Chine, en l’occurrence la Cochinchine et le Tonkin.
Ainsi, faisant partie du fret portugais, le père de Rhode débarque le 12 janvier 1624 à Faifo (aujourd'hui Hôi An). Il aura beaucoup de succès comme prêcheur pendant un an et demi et convertira même la tante du second seigneur de Hué ''Madame Marie'' qui deviendra un de ses soutiens les plus solides. Rappelé à Macao où la rumeur de son succès est arrivé il est envoyé au Tonkin avec la même ambition.
Il débarque le 19 mars 1627 à Chouaban, reçu par le roi celui-ci lui demande de l'attendre le temps d'une petite guerre avec la Cochinchine. Temps que mettra à profit Alexandre pour enrôler deux cent ''païens'' avant d'aller réconforter le roi dont l'expédition n'eut pas le succès escompté. Le souverain ne se convertira pas pour autant mais la cour ne sera pas insensible à ses sermons. Durant la première année de sa présence dans la capitale du Tonkin, Chechon, il baptisera environ 1200 personnes, près du triple l'année suivante. Intelligent et perspicace il avait bien compris qu'il importait de convertir d'abord les prêtres des cultes locaux, leurs ouailles suivraient. Psychologue il leur présentait l'immortalité de l'âme et la perspective de la vie éternelle, ce qui était le meilleur des éléments marketing à sa disposition, ensuite, petit à petit, il enseignait les autres aspects du christianisme. Son succès fit des envieux mais causa aussi nombres de perturbations sociales, surtout quand il insistait pour qu'un homme n'ait qu'une seule femme, ce qui pouvait priver le royaume de nombreuses naissances et le roi de la centaines de jeunes femmes qu'il avait à son service.
Finalement le souverain lui interdit de continuer son action et défendit à son peuple d'obéir à cette doctrine contraire aux intérêts de l'état et aux coutumes du royaume.
Ce qui ne l'empêcha pas d'y retourner et de continuer son travail à Macao ou en Chine, principalement dans la région de Canton.
Il évoquera son périple et ses réalisations dans deux livres :
Histoire du royaume de Tunquin (1651)
Divers voyages et missions (1653)
Les deux furent écrit en latin. Indispensables témoignages pour connaître l'histoire de la région à cette époque.
Il rapporte de nombreuses observations sur ce qu'il a vu, la géographie du pays, son histoire ''Ce pays est séparé de la Chine depuis 8 siècles et ses habitants laissent flotter leurs cheveux, en outre ils ne portent plus les bottines traditionnelles des chinois. Ce qui n'empêche pas d'aller tous les trois ans à Pékin reconnaître l'Empereur et lui verser une redevance''.
Les impôts sont payés par tous les hommes de 19 à 60 ans en fonction de leur situation, il est acquitté en quatre fois (sans frais). Le pays peut lever rapidement une armée de 100 000 hommes venant de toutes les grandes villes, les hommes ne se battent pas en eux, contrairement aux occidentaux, ils se servent habilement de toutes les armes et les galères ne sont pas manœuvrées par des forçats.
Le roi est entouré du Conseil Souverain composé de docteurs et de licenciés en droit passant leurs examens de manière rigoureuse, d'abord bachelier, sur concours ouverts, puis, après trois ans, ils peuvent passer leur diplôme de droit civil. Le doctorat s'obtient après un nouveau délai de trois ans et n'est donné qu'en fonction des places disponibles dans la fonction publique royale.
De Rhodes évoque les rites funéraires, soulignant qu'il n'est peut-être point de nation en toute la terre qui ait rendu plus de devoirs et plus respectueusement aux âmes et aux corps des trépassés que les peuples du royaume d'Annam. Il souligne l'importance du choix du nom et de l'utilité de celui-ci pour chasser les démons. Il présente les sectes présentes en Annam, celle de Confucius, de Bouda et de Lao-tseu, comme si celle qu'il représentait valait mieux que les trois réunies.
Il s'attarde longuement sur les difficultés de la langue Annamite, construite autour de six tons qui sont comme les notes de musique, la difficulté étant que des mots se ressemblent et qu'une infime modification de prononciation en modifie du tout au tout le sens.
Historiquement il rappelle que déjà en 166 après Jésus Christ des annalistes chinois avaient noté l'arrivée à Canton de marchands romains ayant passé par l'Annam. Au fil des siècles d'autres visiteurs et commerçant passèrent par là, suivi par des colons évangélistes qui n'eurent pas grand succès avant que de Rhodes n'obtienne le succès évoqué plus haut, de par ses qualités, son charisme, sa connaissance de la psychologie des individus et des foules, enfin, et surtout, par sa maîtrise de la langue lui permettant de s'adresser à tous sans traducteur. Il travailla longuement à romaniser l'écriture de la langue Annamite, combinant des signes et quelques sons suffisant pour former les mots du vocabulaire. Le pays d'Annam hérita donc d'une écriture propre, d'un langage national : le quôc-ngu. Il ne fut pas seul pour réaliser cela mais en fut l'inspirateur et le propagandiste, dans le but de propager son message mais son instrument devant porteur de connaissance. Le but était sournois, la réalisation le dépasse et, ainsi, le justifie, rien que pour cela Alexandre de Rhodes a gagné sa place dans l'histoire du Vietnam et, secondairement, dans ce blog pour ce challenge.