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Un stylo et de la patience pour collecter des renseignements, avec de la chance cela suffit pour mener une enquête. Travail interrompu par de nécessaires récréations, respirations avant de replonger.
Cette recherche est une façon de dissiper l’énervement généré par les circonstances, paraître distant fait partie du métier, l’être réellement serait un signe d’indifférence qui nuirait à l’efficacité, le jeu consiste à rester entre les deux, à ressentir sans céder à ses pulsions.
Un art difficile, surtout quand l'enquêteur sent se rapprocher de lui-même.
La liste ne leur donnera pas grand chose, des os à ronger, des entreprises à vérifier, Diatek sait ce travail ennuyeux et inutile, il lui donne le temps nécessaire pour se stabiliser, pour rassembler ses forces, depuis quelques jours il a eu fort à faire.
Wool pense que se lever est la première erreur de la journée, il serait si bien à paresser, sa femme à ses côtés, une télévision, de quoi boire et manger. Que demander de plus, à part un remède contre l’ennui.
Morton suit son ami comme il le fait depuis des années, l'entracte leur fit le plus grand bien, la peur gagner parallèlement à l’excitation face à ce qui vient. Une prochaine aube verra le duel s'annoncer.
* * *
La villa est jolie, entourée d’une surface gazonnée, les jeux d’enfants prouvent que le jeune couple céda à ses pulsions reproductrices. Un crédit sur dix ans, pourquoi se priver, monsieur gagne bien sa vie, seul problème il voyager mais c’est temporaire, il saisira l’occasion pour s’installer avec sa petite famille, il suffit d’être patient.
Éternellement.
Puisqu'il est en repos il s'occupe de la maison il y a toujours de quoi s’occuper les mains et l’esprit, pourtant il sait utiliser les unes et l’autre pour des plaisirs plus raffinés que le bricolage.
Les enfants à l’école, madame fait des courses ; la femme dehors, l’homme à la maison, un couple moderne.
Il chantonne en rabotant une planche, si seulement sa belle-mère lui fournissait l’occasion de fabriquer un cercueil… ça ne serait pas raisonnable, inutile d’attirer l’attention, on ne sait jamais ce que les flics peuvent découvrir, dans le tas il pourrait y en avoir un bon.
La porte qui claque derrière lui le fait sursauter, le vent qui… Non, il y a quelqu’un dans l’appentis, un homme qui le regarde en souriant, un visage qui lui dit quelque chose, un regard surtout. Pas question de finasser, son instinct hurle qu’il a intérêt à réagir et vite. Un marteau, il le lève en se précipitant, son coup ne rencontre que le mur de bois qui manifeste sa réprobation devant un tel traitement.
Le poing qu’il reçoit en plein cœur est, lui, bien appliqué, il ne peut se débattre, hurler même lui est impossible, sa tête est glissée de force dans l’étau judicieusement placé. On dirait que c’est fait exprès.
L’inconscient coupable peut-être.
Au dernier moment il sourit en pensant à sa belle-mère, s’il avait su…
* * *
Le paysage est si beau quand le sceau de l’homme en est absent, la vie semble alors n’avoir été qu’un cauchemar. Le réveil menace et avec lui l’évidence d’un néant digne de ce nom.
Les images coulent autour de Diatek alors qu’il conduit, l’émotion est à fleur d’yeux alors qu’il se dirige vers l’Enfer. Il aurait pu se dispenser de Wool, quelque chose pourtant lui avait paru nécessaire, un moment de répit, le temps que la pression diminue, qu’il digère ce qu’il avait fait. Tuer lui était arrivé, jamais ainsi, avec l’impression de suivre un chemin tracé par une volonté extérieure… Ou intérieure ?
Pourquoi tout cela alors qu’une balle lui apporterait la paix ?
S’il en était sûr ! Son chemin n’est pas terminé mais il ne le distingue plus, il craint au dernier moment de trouver les ressources qui le feront triompher, de ressentir à nouveau cet amour diabolique qui déjà sut le guider alors qu’il se voulait dans la nuit.
L’émotion est brutale mais ne transparaît pas sur son visage signe de sa violence. Les regrets se dissolvent, s’agenouiller, refuser. Terreur et Passion se mêlent en une forme belle et hideuse.
Si seulement… Mais la peur s’éloigne, la confiance est sombre, il n’est pas seul. Elle est avec lui.
* * *
Le bonhomme sifflote en sortant son chien, une laisse à enrouleur, un chien a un bout et un con à l’autre. L’idéal est de se promener avec des ciseaux pour trancher le fil, ou mieux, le cou du con en question.
Justement…
Un médiocre aura une fin digne de lui, un hasard, qui voudrait tuer un type comme ça, antipathique mais qui ne faisait rien de mal ?
Quelqu’un connaissant le plaisir qu'il prenait certaines nuits.
Un coup de poignard, les ciseaux c’est pas pratique, une caresse au toutou qui remue la queue en regardant son maître agoniser dans le caniveau, sa vraie place.
* * *
Une fenêtre qui explose cela attire l’attention, pas dans tous les quartiers, suffit de monter le son de la télé ou de tendre l’oreille, pas question de se déplacer, un mauvais coup est vite arrivé, et une injonction à témoigner donc !
Ainsi le corps qui se balance passera-t-il la nuit dehors, il est vrai qu’ayant la nuque brisée il ne souffrira pas de sa position, l’autre extrémité de la corde attachée au radiateur se défait peu à peu, le cadavre s'écrasera bientôt au milieu de la rue.
Surprise pour un conducteur !
* * *
Ils chantent doucement. Bientôt ils ne feront qu’un, vient celui qu’ils attendent, la réalité a perdu son nom, images et sons se mêlent, bougies soufflées la lumière pourpre est celle de l'Enfer lui-même. Leur temple est immense, les hurlements autour d’eux sont leur nourriture depuis des jours, ils seront prêts, purs, le moment venu.
Bientôt !
Ni peur ni appréhension, quiétude d’un rôle connu et répété depuis toujours. Chacun sait avoir été choisi, mieux, voulu, depuis sa naissance, leur réunion n'est pas aléatoire mais action d’une volonté en laquelle ils se retrouvent aux portes de l’infini.
Même le pire n’a pas le choix.
* * *
- Ça va ?
- Diatek opine, son ami lui semble si loin, flou, impossible.
- Je suis sans mots, une force étrange passe en moi, elle m’attendait depuis longtemps, elle s’amuse, je le sens, je le sais. Elle m’a créé, je suis là pour l’aider et pourtant il me faudra lui dire non. Les chances d’en sortir seront limitées, je me les accorde pour me rassurer.
- La réalité sait être belle, tu le sais, souviens-toi.
- Le moment venu… Pour l’instant dire est fatiguant, j’attends le conflit, la rencontre ensuite… Ce mot paraît fantastique, comme avenir, plus de sens mon vieux Morton, plus qu’un goût amer dans la bouche. Je suis glacé et le temps n’y est pour rien. Le dernier m’attend, il en sait plus que mon père, beaucoup plus. Il fut son âme damnée, tout cela pour cet instant. Des milliers de vies détruites, de familles brisées, plus encore après l’autre nuit. Tout est en place, je ne serais pas étonné si les planètes s’organisaient en un plan inconnu depuis des millénaires. Tu vois je suis encore capable de délirer, c’est bon signe. Non, ne dis rien, c’est mieux, je rassemble mes forces. Le portail est ouvert, j'y vais à pied, ensuite... Je te laisse une grosse responsabilité et ma collec de disques si quelque chose m'arrivait.
Silence ! Diatek ferme les yeux, un sourire…
Il descend du véhicule, calmement, le portail est ouvert, les chiens le regardent passer en s’aplatissant au sol, surtout ne pas déplaire.
L’instinct en sait plus que la conscience, si elle osait l’écouter elle se comprendrait ! C’est bien ce qui l'effraie !
Trois marches, une porte qu’il pousse, un hall dallé noir et blanc, est-il pion ou roi ? Il traverse la pièce, le chemin est tracé.
L’escalier s’enfonce dans le sol. Combien de marches ? Cent mille ? Une profondeur improbable, il avance, la Gueule d’ombre s'ouvre, après tant d’années, de calculs et de manipulations.
Il se déshabille, ils l’attendent, prêts.
Nu il descend parmi eux.
La peur s'est écartée, seul compte l'homme devant lui et la dague d’argent qu’il tient, du moins cela y ressemble-t-il.
Quand elle viole son cœur il bascule et le puits s'emplie de flammes.
Son être n'est plus qu'une infime parcelle d'une envie qui le consume.
Amour et Mort sont les visages de Janus.
Le puits est aux dimensions de l’univers, il s’y enfonce rapidement.