06
Quel est mon héritage ? Le titre d’un récit récent, un souvenir, cette route à sens unique, cet édifice improbable, l’idéal pour un écrivain recevant un legs inattendu. Sa dernière nuit est occupée par ce rêve, un moyen de repousser la victoire du je. Ensuite j'écrivis trois fois la même histoire, pas moyen d'être satisfait ! Ce texte s’achevait, le record, sur l’entrée de l'héritier dans la maison paternelle, là il se met au travail. Par lui je pus écrire la suite, des histoires formant une suite logique, une chaîne, une laisse.
Si la réalité lisait par dessus mon épaule elle me botterait le train.
* * *
J’entends un chœur de voix douces tissant une certitude. Le chemin est ouvert, l’heure des choix va sonner au beffroi de la nécessité.
L’évidence me crève les yeux, elle est là et je pense à autre chose.
Le temps est à sens unique, pour l’instant, dans l’avenir pas de certitude puisque des particules pourraient circuler plus vite que la lumière... Écrire pour ne rien dire ne m’amuse plus. L’image de cette forteresse sculptée me plait, j'y suis chez moi, elle est mon héritage. Mon personnage, celui des camps, y eut la révélation que je dois décrypter. Un cadre virturéel ! La force gisant dans ses profondeurs naquit avec l’univers. Un sujet à potasser si je veux m'exprimer clairement, le sens de la réalité me manque pour donner de la substance à mes récits, la quantité ne remplace pas la qualité.
J’ai un problème de résurrection, ce n’est pas si fréquent, si je vivais cela, symboliquement s’entend, ainsi que je l’ai évoqué, il me serait plus facile de réussir ce tour de force de mélanger trois êtres en un. Mon esprit fonctionne curieusement, alors que j’évoque cette trinité Thlita me fait signe, je vois sa nature : Un archétype ! Ce pourquoi elle fut plus puissante que moi. Définir ce que j’entends par là ? Lisez Jung, sans partager toutes ses idées je l'approuve sur ce point, surtout quand il précise qu'en croiser un est bouleversant. S’il n’est pas le plus célèbre des pères de la psychanalyse il est allé plus loin que les autres quitte à s'égarer, pas assez loin pour moi peut-être.
Par une simple graine l’arbre ressuscite, les cadavres font engrais, surtout ceux de fumiers ! Je mélange et sort le lapin du chapeau.
En quelques jours j’ai grandi, sur ma joue la marque de la gifle morale que je reçus persiste. Et ensuite ? Retour, cet homme qui croise une enfant, un écrivain qui a réussit, son œuvre va trouver la réalité, le plus important manque sans qu’il puisse le définir, alors il imagine mourir. Ce qui m’attend, tout risquer, réussir et disparaître ?
La vie n’est pas dans la papier, dans des doigts courant sur le clavier, de ma scolarité je conserve d’avoir appris la dactylographie. Le sang est l’encre, j’appuie sur mes plaies et m’en inflige d’autres pour écrire encore. Me reviennent mes premiers contes… En février, un homme dans une ville déserte, finalement il comprendra qu’il est mort. C’est gai et indicatif de ce qui m'habitait. Mon troisième texte s’appelait Le chemin, déjà cette image me hantait. Le héros erre sur un sentier sombre, parvient à une maison perdue, va jusqu’à la fenêtre et se découvre sur son lit de mort.
Quelle suave imagination ! Mon esprit est un charnier, cela conforte ma certitude d’avoir entrevu la mort, même si j'en donne une explication erronée, je peux en trouver une autre.
En fait c’est elle qui me trouva !
Lequel regarde l’autre ? Le mort alité observant son visage à la fenêtre ou l’inverse ? Le mieux serait que je le laisse tout tomber à commencer par moi, dans l’eau froide, c’est de saison.
Mort et Amour tissent l’écran sur lequel je me projette. Cette forme floue c’est moi. Deux incontournables, comment trouver en soi la force d’amour en sachant que demain est certitude ? L’attente se justifie par elle-même. Gifler la mort, lui dire non, je lève la main, suspends mon geste, c’est moi que je frappe. Je mélange rêve et réalité, imaginaire et concret, je ne sais faire autrement tant je pris l’un pour l’autre, écrire semble répétitif mais le voyage offre à chaque fois une destination inédite. Les idées abondent, la science m’attire, pour l’utiliser, en saisir les concepts, les idées, les impossibilités pour progresser. Extérieur et intérieur se ressemblent, une partie logique, l’autre moins visible, moins cohérente, les deux indissociables. L’être et le penser. J’en reste là. Prenant cette voie je me perdrais en route, j’y reviendrais. De l’ombre et de la lumière il importe de connaître la première pour apprécier la seconde. La mécanique quantique met en valeur l’expérimentateur, ainsi l’œuvre ne naît pas de rien, connaître son auteur permet de la mieux apprécier. Je reviens à ce que je voulais dire après cette parenthèse fulgurante. L’expérimentateur, n’est-ce pas lui le problème, vers lui que devraient se tourner regards et curiosités ? L’imbécile regarde le doigt mais le crétin regarde la lune, moi j’observe le « sage ».
Descendre pour monter, passer par dehors pour entrer, logique ! La difficulté ne vient pas d’un manque de savoir mais d’une impossibilité psychologique d’imaginer un monde différent, dans le fond, pas dans une forme qui se veut technique mais qui n’est que lâche.
L’inconnu m’attend. La folie était un passage obligé, un test avant de poursuivre. L’incapacité cérébrale montre ses effets dans la réalité plus que dans la science, je doute que ce soit pour rien. La peur est supportable si elle s'incarne loin de la réalité.
La lumière s’est déjà imposée, le souffle de l’explosion approche. La chaleur vitrifiant le monde pansera les blessures, La Terre devenue désert connaîtra la paix.
La moindre question est une épine de plus, je connais la sensation du sang couvrant le visage, j’en porte la marque. Il sécha, s'effaça, mais pas en moi. Focalisé sur elle j'évite de voir qui je suis et où je vais.
Où vais-je ? Vers qui ?
Suis-je capable de désirer autrement que mentalement, imposer mon désir à ma lâcheté ; je ne suis pas passé à l’acte quand il s’agissait de tuer, le puis-je pour aimer ?
* * *
Les symboles sont des cailloux blancs (!) marquant la route, les plus repoussants ont la signification la plus importante. La violence est fille de la peur, je les connais bien, le temps vient de me séparer de leurs bras glacés pour en désirer d’autres. Ainsi que le disait Max Planck « On ne convainc pas les opposants à une vérité nouvelle, on attend qu’ils disparaissent. » J'ignorai que cela valait pour moi aussi !
J’attends, y compris, et surtout, une disparition intérieure. Les chocs du dehors sont doux en comparaison de ceux dont les échos me stimulaient, je repousse les uns et les autres désormais. La réalité est un piège, tendre et dangereux, entrant dans sa proie pour découvrir l’aspect dont elle ne se méfiera pas ; alors elle frappe, mord, arrache l’esprit qui résiste. Je fais une crise de lucidité ! Les cartes s’étalent sous mes yeux, tarot mental, lumière, explosion, souffle...
Trinité ! L’espoir... Il y a du travail, c’est l'aspect pénible, affronter ma production et désirer en combler les fissures, préciser mes pensées.
Malédiction bénéfique pour qui survit. Savoir est l’effet de ce pacte signé avec Satan, pourquoi serait-il pire que moi ? Ah ! L’appeler papa, pour voir, pour exciter mon agressivité et lui rentrer dedans. Inutile, il est au fond d’un puits, pourri ou momifié, je m’en fous.
Savoir n’est pas trahir, oser n’est pas pécher, au contraire, le fruit de la connaissance est fait pour être mangé, l’Enfer sait le Paradis.
Jeu de l’Oie, de loi ? J’avance au gré de dés que je ne lance pas, j’ai hâte que la partie s’achève pour lire la règle de ce je(u).
Le symbole est l’image à décrypter, celle d’une charogne n’est pas une raison pour le rejeter au contraire. Ma vie en est l’incarnation, ni fuite, ni abdication : Compréhension. Ainsi cet être arpentant les années sombres d’une guerre pas si lointaine est-il à prendre en considération ? Il me cherche autant que je veux le rencontrer, il est ce qui en moi entendit un appel que je redoute encore, jusqu’à ces mots. Plaindre les victimes, maudire les bourreaux, facile, normal ! En chacun se trouve une part de ma vérité, et pas seulement la mienne, je pense. Se poser la question est courir un risque. À chacun d'affronter sa peur dans ce qu’il rejette, c’est là qu’elle l'attend. Se nourrir justifie le nazisme et l’Holocauste. La « Bête immonde » bouge encore et sourit, chaque refus transcende sa victoire. Une âme incomprise erre éternellement, il ne s’agit pas de la sauver mais d’affronter la part de soi qu’elle incarne pour se préserver soi.
Quelle part de bourreau refusez-vous ?
La lumière indique la route, j'attends depuis l’Origine.
* * *
Le souffle m'entoure, la chaleur me caresse, la violence est sage dans mon esprit, elle attend. L’affectif est la plus sûre des laisses. J’ai voulu lui prêter allégeance, m’agenouiller devant son manteau de sang, lire dans ses yeux vides une gloire destructrice. Cet échec me plaît, je suis content de n’avoir pas réussi. Seigneur ou Serf, la route médiane est tortueuse et stimulante, une corniche entre falaise et abîme, l’idéal pour qui a le vertige et découvre la joie de le dominer. Je ne veux pas d’un trône froid, de hardes pouilleuses. La souffrance est un acide incitant à chercher un soulagement dans un moule d’absence ; pouvoir la supporter c’est découvrir que l’inutile seul est rongé, que resterait-il en VOUS sans lui ?
Le monstre indique la route, effraie ceux qui n’ont pas à la prendre, ce rôle me convient. Gardien jusqu’à ce qu’un autre vienne et prenne la place, alors continuer le chemin est possible, ce temps est venu.
La forteresse s’effrite, le désert s’estompe, le gouffre disparaît.
Joli tableau devant mes yeux, un champ de bataille, l’ultime conflit, des milliards de corps allongés, la plupart sont morts, les autres agonisent, un survivant marche, il voit les cadavres fondre, l’image de la réalité accélérée, il les voit retrouver la terre, entend un chant né de millions de derniers soupirs. Premier appel, premier murmure, première promesse, la seule. Sans mort pas de vie. De ces cadavres naît un Jardin immense dont chaque fleur est une vie enfin réalisée.
Il m’attend ! Le mot miracle a-t-il un sens, et sens en a-t-il un ?
J’aurais voulu lui dire, oser les termes, l’enfant me gênait, il est mort, enterré, les vers firent bombance, son linceul est le rideau que je tire.
Repasser les plats me gonfle sans être un cadavre dont la corruption œuvre, ils sont vides, j’ai essuyé la dernière miette, je ne vais pas les ronger. Mort et folie, joyeuses convives, bizarre, cette fois on dirait que ce sont elles que la fin quitte.
Vouloir sans Elle ? Vaine expérience. J’ai pris le premier chemin, Don Quichoque solitaire, les mots pour monture, en quête d’impossible. L’explorateur trouve ce qu'il s’autorise à découvrir.
Quel est ce point final devant moi ? Une fois posé quelle sera ma route ? La résurrection est proche, la disparition également, à quoi bon revenir si c’est pour être comme avant, les illusions vont tomber, je comprendrai après. Ai-je la force de construire une œuvre et une vie ? l’une va-t-elle sans l’autre ?
Je sais que le seul moyen de L’arracher de mon esprit passe par le canon d’un pistolet, une balle en argent ferait chic. Je n’essaierai pas. Elle m’a fait plus d’effet qu’une bombe, et de la même façon, la lumière d’abord, révélatrice, le souffle deux jours plus tard. Ce sont mes premiers pas, je découvre le monde, regarde la vie, mon corps sans plaies ni cicatrices, c’est curieux, inquiétant, beau. L’embryon d’esprit flottait dans son jus comme un steak dans une poêle attendant la flamme libératrice.
Curieuse image non ? Elle me fait rire, c’est déjà ça.
Souffrir, supporter, j’ai déjà donné, attendre, d’accord, pas en vain. Les années à trembler dans la nuit je connais, à pleurer seul aussi. J’ai pris des habitudes, dissimule, fait miroir afin que l’autre me voit comme il/elle le désire. Un jeu inutile, le miroir à briser est double, renvoyant aux autres une image fausse. Ma peau n’est pas visqueuse ni couverte d’écailles, je suis normal.
La nature du pire s’est modifiée pour être compréhensible, gérable ?
Le poids de la vie sur mes épaules, mon bras sur les Siennes…
échouer autorise le rêve, l’imaginaire ne me suffit plus, la réalité n’est pas insoutenable. Qu’elle soit attirante est l’autre visage du pire.
Le temps n’est pas innocent. Je suis une victime revendiquant sa culpabilité, sa responsabilité j’en suis moins sûr. Le voile de silence se déchire, le sol tremble, au-dessus du Golgotha le ciel se couvre, le tonnerre hurle, l’avenir n’est pas loin.
Un prénom, un sourire, une lumière si douce qu’elle me fait mal, si belle qu’elle me manque, qu’elle révèle le vide en moi, il est là, il se remplit, vite, les cicatrices s’apaisent, les plaies se referment, le paysage d’enfer s’éteint, vaincu, aimé.
Un vers me revient : Les morts ressuscités renieraient l'Éternel.
Je le peux, pour…