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20 juillet 2008 7 20 /07 /juillet /2008 05:23
 

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Le destin sourit. Sur ma nuque son regard est moins insistant. Maintenant que me voici rendu où il le voulait une autre proie le distraira. Il sait ce qui m’attend, là, tout près. Un avantage ! Ainsi puis-je me dissimuler derrière cette ignorance pour excuser mon absence d’effort pour échapper à l’inéluctable. Un de mes mots préférés, je sais maintenant à quel point il me recouvre en me dévoilant, tel un linceul trempé.

Cette chaîne était forgée avant ma naissance, le collier se fit si doux que je ne le sentis jamais, je me suis adapté à la longe imposée, une laisse glacée et rassurante.

Dire : " Je savais, cela fut mon choix ! " serait mentir, je ne savais rien, je ne vis rien venir mais maintenant je n’ai pas de regret, seulement une sourde angoisse, une compagne qui ne s’éloigna jamais et que je croyais amicale.

Résumer ma vie ? Les circonstances qui font que je suis là maintenant ? Exercice inintéressant, des faits simples, une suite logique, jamais ou presque, je ne me suis posé de question sur mon avenir, je ne sentais pas la crainte m’attendant au tournant, et pour cause, elle était déjà en moi, l’avenir cessait au pas suivant ! L’effroi sourit, j’entends ses crocs crisser retenant leur envie de me déchiqueter pour que rien ne subsiste de moi.

Le passé ? Une famille quelconque, jamais d’opulence ni de pauvreté. J’en conserve peu de souvenirs, quelques images, comme si j’avais vécu ces instants sans m’y intéresser, rêvant, cherchant un monde que la réel ne pouvait m’apporter.

Une scolarité perturbée dès son début. Précoce, décalée, je me retrouvai avec des grands qui m’accordèrent peu d’importance, je la leur rendis, avec intérêt. La solitude fut ma complice en ces années, riche de lectures, de rêveries, de promenades. Les lieux m’attiraient par leur tranquillité, les arbres, le vent, l’absence de regard, autant de raccourcis vers un univers plus plaisant, à ma mesure. Évoquer ainsi le passé me fait revoir des professeurs qui semblèrent, brièvement, s’intéresser à moi. Que ressentaient-ils pour ce garçonnet à l’écart, seul et content de l’être ?

Je fis quelques bêtises, rien de grave, pourtant ces écarts furent les premiers pas m’écartant de la route commune, menant à cet endroit et ce qui m’y attend.

Je fus étiqueté dangereux, non par mes actes mais par un comportement d’indifférence vis à vis de la société. Elle m’aurait accepté si j’avais pris les armes qu’elle me tendait pour cela. Je n’avais rien contre elle, pas un instant je n’ai cherché ou voulu la détruire. Insupportable ! Je montrai un ailleurs inacceptable de proximité. Assassin, la marque d’infamie aurait pu s’effacer.

Des propositions me furent faites afin de me socialiser, de me normaliser, de me dresser à adopter un comportement adéquat, mais non, silencieux, serein, j'encaissai coups et brimades sans paraître en souffrir. Une partie de moi s’adaptait, avalait drogues et sermons, mon esprit riait sous cape, attendant l’occasion de se relever en affichant un regard goguenard et déplaisant.


Mon comportement devant provenir d'un psychisme altéré la psychiatrie remplaça la violence.

J’aurais pu mentir, feindre… J’aurais pu choisir un destin différent. Facile maintenant, l’avenir n’est pas modifié par des remords de dernières minutes puisque le passé n’en est pas affecté. Le défi n’est pas terminé.

Voix douces, attentions, paroles amicales et insupportables. Les hurlements s’étaient perdus, les murmures en firent de même.

- Tu peux cohabiter avec nous, cela ne dépend que de toi.

- Mais je suis vivant !

Derrière le sourire apparaissait une face brutale vite retirée pour d’autres promesses, d’autres mensonges, deux mots qui se ressemblent tant.

- La société te tend les bras, elle t’offre le bonheur.

- Je n’en veux pas.

Les yeux se perdaient, noyés d’incompréhension.

- Tu es intelligent, tu le sais.

- Et vous ?

Miroir, je renvoyai à mes interlocuteurs leur vérité. Dès lors ils n’eurent d’autres choix que me briser, que ne subsiste de moi ni trace ni souvenir, autant d’échardes dans une peau trop sensible, de risques que la plaie infectée s’étende.

Leur avenir était doux, un pré d’herbe tendre et artificielle ou paissent les moutons. Parfois il en naît un sans laine, incapable de bêler, il hurle alors afin que les autres restent sages.

La piste du néant est tentante, une pente douce, un joug léger sur un dos qui prend aisément la position adéquate. Le regard explore le sol, l’esprit oublie le ciel. En moi trop de voix désiraient s’exprimer, refusant le bâillon d’une apparente sérénité, se mêlant en un chant attirant mais inacceptable. Renoncer et un jour j’aurais senti une entêtante odeur de moisi sans pouvoir en déceler l’origine.

Ma vie s’écoula, surveillé, retenu ou libre. Lentement en moi s’imposa une violence qui couvait, un incendie qu’ils avaient deviné et entretenu afin que, se libérant, il leur fournisse l’occasion qu’ils attendaient.

Le jugement fut rapide et définitif. Il soulignait les efforts faits pour me remettre sur le droit chemin. Inadaptable ! Restait à me repousser hors d’un monde pour lequel je n’étais pas fait.

Condamné !

Ni peine, ni joie, la logique s’imposait. Une porte claqua derrière moi, un sourire couronnant une longue attente.


Le geôlier me regarde par l’œilleton, lui sait ! Son regard hésite entre moquerie et compassion. Il ouvre la porte et m’enjoint de sortir, on m’attend.

Nos pas résonnent. Sans les avoir vu je savais de nombreux condamnés dans chaque cellule. Aucune rencontre n’est possible, aucune communication. Les murs sont épais, les portes sans interstice et d’une lourdeur décourageante. Une seule fenêtre, inaccessible, une salle d’attente pour laminer l’esprit, peut-être en récupérer quelques-uns, les moins solides qui craquent au dernier moment et peuvent être remis en circulation.

L’inconnu m’attendait, ce vieil ami oublié.

Ma geôle me plaisait, allongé sur la paillasse je retrouvais les mondes qui me plaisaient, parfois ils s’estompaient, attaqués par une sombre inquiétude que je feignais de ne pas remarquer.

L’air libre ! Si j’ose dire ! Froid et triste. Le ciel est gris, le soleil ne veut pas me voir partir. Un véhicule m’attend, sa porte ouverte m’est indiquée et les visages avenants des gardes m’incitent à y pénétrer. Pas un mot, je suis un réprouvé, un rejeté bientôt effacé promis à un sort funeste que je devine.

La route devant moi est à sens unique comme la vie.

La portière claque, à l’intérieur pas de poignée, les vitres semblent d’une solidité décourageante.

Vu l’exiguïté du lieu un seul voyageur à la fois peut profiter du monde qu’il quitte histoire de lui faire regretter son entêtement. Je m’installe, le véhicule m’emporte.

Des rues désertes, une ombre parfois se faufile comme si apercevoir ce sombre cortège portait malheur. La ville, les faubourgs, la campagne enfin.

Vouloir rime avec illusoire, je me sens bien.

La longueur du voyage implique des arrêts brefs dans des relais obscurs et inquiétants, rien ne doit retarder la livraison.

Peu m'importait le temps du voyage, j’attendais en rêvassant.

Nous atteignîmes une grande forêt, des arbres immenses aux frondaisons enchevêtrées dissimulant le ciel. Nous allions aussi vite que le permettait la route, je me plaquais contre une vitre pour admirer ce paysage étrange, inédit. Je n’entendais rien du dehors mais je devinais un monde d’absence comme si ces arbres étaient un décor, un lointain souvenir, une trace oubliée que la vie ne voulut, ou ne put, réinvestir. Pas un mouvement, pas un animal pour risquer une tête en surveillant notre passage. Une indifférence totale, désincarnée.

La lumière revint d’un coup, je fermais les yeux avant de m’y réhabituer, découvrant en les rouvrant un paysage différent, désertique, une roche nue, un sol sablonneux, une étendue plate que barrait la forêt que nous venions de traverser, celle-ci disparue à l’horizon restait un infini sans ombre. Nous venions de passer une frontière pour pénétrer un univers vide qui ne saurait nous supporter longtemps.

Machinalement, ai-je cru, je me portais de l’autre côté du véhicule, j’attendais la même étendue désolée, ce fut vrai d’abord, avant que je ne distingue au loin une ombre verticale, un phare dressé au milieu d’un océan minéral.


Je dus attendre avant de découvrir la Forteresse.

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