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7 février 2009 6 07 /02 /février /2009 07:01
Dans l'Ombre des murs - 8 
 

                                                  09


Vivant ? Mot curieux, nouveau jouet difficile à manipuler.

Les mots coulent, je me sens cascade, ruisselant. Émerger de la folie est plus ardu que sortir de son bain. L’esprit se vide des images qu’il crut siennes, des pensées qui, un temps, l'animèrent.

Poignard ? On dirait une clé, je la vois plongeant dans ma jambe, cherchant une serrure qui ne serait pas définitive. L’acier tranche mes chairs, lacère mes muscles, par réflexe je le jette, saisis les lèvres de ma plaie, bouche de l’Enfer, baiser diabolique, les écarte pour plonger une main à l’intérieur. Détaché des sensations je regarde quand une vague de souffrance remonte, mascaret de douleur alors que le sang forme une tache s'élargissant sur le sol.

Saisir l’os, l’arracher, ne plus bouger, enfin affronter l’ennemi.

Est-ce la raison de ma présence ici ? Auquel cas je ne m’étonnerais pas. Perte de sang, lésions cérébrales irréversibles, s’infliger un tel traumatisme traduit un grave trouble de la personnalité. Je n’ai pas souvenir de quiconque tentant de mettre fin à ses jours de cette façon, ce n'était pas mon but, seulement à m’arrêter d’écrire pour comprendre en observant de près ce qui me pourchassait.

Des mots, l’enfant joue avec ses cubes, l'image lui déplait, facile de la renverser pour en trouver une nouvelle, distrayante un moment, nous ne lui en demanderons pas davantage.

Regarder ma cuisse, trouver la cicatrice ou ne rien découvrir ? Cela ne reviendrait pas à avoir une explication plausible.

Quel endroit me conviendrait mieux. Penser, utiliser mon énergie, pas de contraintes, puiser dans mes souvenirs, lancer les mots, espérant qu’ils remonteront une prise intéressante et nourrissante.

Creuser, creuser encore, chercher à m’épuiser, à ce que tombent les barrières intérieures. Comment croire en ce qui est ou semble vrai ? Facile avec des mots, ils ne signifient rien, mais qu’ils aient un sens et la peur reviendrait. Et j’aurais peur qu’elle ne le fasse pas ! Peur de pouvoir faire face, de me percevoir vivant. Alors vous comprendrez que ce mot me terrifie !

Creuser, puiser dans ce flot d’émotions, porter les mains à mes lèvres. Découvrir que je ne ressens rien, que je ne tiens rien, que…

Dites-moi professeur, pensez-le fort j’entendrais ! La nuit ne tombe pas, ma perception du temps est-elle différente où s’étire-t-il comme en un rêve ? Il me reste un piège à comprendre, une mort à accepter. Je ne reviens pas de la mort j’en viens, tout simplement.

Fermer les yeux, voler, plonger dans l’espace, que rien n’arrête mes pensées. Ces murs me bornent et s’estomperont quand ma densité sera assez grande pour vivre sans limite extérieures.

Pour un peu je me serais attendu à apercevoir un enfant collé contre le mur, faisant tout pour passer inaperçu, celui que je fus, autrefois, quand je mimais les autres…

Je le revois, un parc sis sur les contreforts d’un massif montagneux, seul face à une paroi en surplomb, mur lisse, moqueur. Je pourrais le retrouver, imaginer ce qu’il ressentait, le rendez-vous qu’il prenait avec maintenant. Déjà j’avais besoin d’une limite devant mes yeux pour l’imposer à mon esprit, comme quand plus tard je trouvai refuge dans un placard, les murs à portée de mains, rassuré sur l’extérieur, pouvant plonger vers l’intérieur.

Seul il attendait, le sachant il aurait tout fait pour refuser cet écho d’un futur en formation qu’il était trop jeune pour assumer.

Mots comme des plaies suintantes, je regarde mes mains, mes pieds, Les clous du destin ont disparu, les aurais-je arraché ? La patience est ma plus sûre qualité.

J’ai eu si peur de moi. Fantasmes peluches, délires en compagnons de jeux. Rangés dans leur boite, oubliés dans le passé, qu'en faire.

J’ai voulu, j’ai cru, j’ai attendu, en vain, aucune aide ne vint, encore que le moindre contact m’eut brisé comme un choc peut détruire le diamant le plus pur, je ne parle pas de ma valeur, seulement de ma dureté, de mon désir de luminosité transparente.

Yeux fermés j’entends le flot des pensées courant dans cet endroit. Délires, souffrances, qu’y pouvez-vous sinon tuer l’être pour anéantir ses tortures, en faire des zombis, et encore, il est des zones où la chimie ne peut rien, où seul l'esprit trouve sa voie.

J’imagine les couloirs, chaque patient dispose de son territoire, celui-ci se tient près de la porte, celui-là près du radiateur, la douceur le rassure, la chaleur, enfant peut-être était-il battu et restait-il des heures dans un coin, tant de choses s’expliquent ainsi.

Celle-ci comptant ses pas, sa survie en dépend. Mais elle hésite, se trompe, le croit, recule et recommence encore et encore, autant de territoires synonymes de survies individuelles, de comportements ayant le même but. Le mien est d’écrire, et j'eus l’avantage que nul n’en prit ombrage, sans quoi je serais arrivé plus tôt.

J’aurais trouvé mon rôle de sauvegarde, une machine sans ruban ni feuillet. Le geste, taper sur les touches, le bruit m’aurait rasséréné, j’imagine quelqu’un me confiant du papier, qu'aurais-je écrit alors.

J’avance professeur, les graviers me blessent mais j'aime ça. Je tourne en rond, hamster ayant accédé à la bipédie. Rongeur qui s’arrêterait soudain de courir dans sa roue, hésiterait en lançant des regards inquiets autour de lui, comment, conscient, continuer ?

Souris blanche observant l’expérimentateur, cessant de courir, s’approchant du bord, levant la tête et plongeant son regard dans celui du laborantin pour le défier, lui dire qu’elle sait, sans mot, seulement par l’avertissement de l’instinct, par l’envie d’essayer quelque chose, par lassitude d’un comportement non naturel.

Le scientifique s’amuserait d’abord, ensuite … Que se passerait-il si les animaux de laboratoire cessaient de coopérer ? S’ils décidaient de renverser les rôles, n’est-ce pas déjà le cas ?

Combien de vos pensionnaires sont-ils fous professeur ? D’une folie comprenant le réel, s’y adaptant pour le manipuler en retour ? Je refusais de parler, de dicter, pas assez rapide, l’acte plus personnel m’eut rendu les choses plus difficiles en leur donnant une clarté plus grande. Maintenant c’est différent, j’imagine écrire, mes doigts courent sur le clavier, habitude !

Tant de murs sont en nous, dédale inutile, nous nous voulons cobayes pour détaler sans lever les yeux et découvrir que personne ne nous observe. J’eus besoin d’un regard attentif, utilisable. Le vôtre !

Vous ne m’en voulez pas professeur ? N’est-ce pas ?

Ai-je encore du temps ? Oui, juste assez.

C’est suffisant. Bienheureux les malcomprenants ! Pour les autres il existe des endroits comme celui-ci, gîtes amicaux, un peu limité côté confort mais sympa malgré tout.

Bienheureuses les ombres au pays des ténèbres !

J’ai senti sur les lèvres le contact de sa bouche. Sa pestilence était si forte que j’en fus arraché au sommeil. Si j’ai raison…

Raison ? Quel mot dans ce contexte ! Contexte, et en verlan ?

La mort en examen de passage en classe supérieure, niveau plus complexe, plus évolué ou à la béance du néant ? Et si cela relevait du choix personnel, moi, que puis-je vouloir de quoi ai-je envie ?

La Camarde fut la compagne de mes jeux, répondant à mes ordres, je la donnais, l’imposais par les mots sur le monde entier. Combien de presque semblables dans cet hôpital, la craignent-ils de l’avoir vue de trop près, combien tombèrent-ils dans la folie faute d’une réalité suffisamment forte pour les réceptionner.

J’ai saisi le sein de la folie, accroché par la force brute de l’instinct, de la vie. Le sevrage est difficile.

Je suis entré dans le mirage, appréciant ses promesses, sa voix, ses formes, pour résister à mon désir de rejoindre le troupeau. Si je l’eus jamais ! Je me souviens, ne le supportant plus, descendant du car transformé en bétaillère, incapable d’aller au cinéma, courant le long du mur dans la direction inverse de mes dissemblables.

Ils voulurent me retenir, me proposant une place intéressante, avec plein de faux avantages, de possibles en bulles de savon attendant d’éclater pour me rire au nez.

Enfermé, isolé, je pus commencer de vivre.

Chaque grain de sable de ce désert est un mot, chaque dune l’illusion de l’aboutissement alors que c’est l'immensité qui est la réponse. Je le sais maintenant après avoir failli ne pas comprendre.

Un sursaut au dernier moment. Je reconstitue une pensée à partir de son ombre qui laissa en moi une cicatrice profonde. Lame d’acier fouillant mes chairs… ou autre chose ? Ce qu’il fallait pour me retenir.

Regarder mes jambes, savoir, ce serait facile, y ai-je droit ?

Le métal froid, un hurlement qui me réveille, je ne désirais que la paix de l’oubli, mais non, j’ai crié pour vivre encore. Encore…

Approcher le gouffre, entendre son appel, me savoir capable d’y disparaître, il le fallait pour le geste de recul salvateur.

Dans mon enfance j’ai puisé les solutions pour passer au travers. Pour survivre ai-je fait autrement ?

Des bruits, je fus entendu, on vient me secourir, avantage d’habiter près de la caserne des pompiers.

Masque à oxygène, transfusion, c’est la vie des autres dont j’avais besoin, de cette façon je prends sans voler ce qu’on me donne.

Moins différent que je le pensais, défricheur d’un possible terrifiant.

J’aime cette expression "possible terrifiant !" Elle est claire n’est-ce pas professeur. Vous la comprenez.

Ai-je agit ainsi, ai je sauté dans une rivière glacé ? Dans un cas comme dans l’autre la représentation se suffit à elle-même.

Elle m’aime ?

Et si c’était vrai !

Elle… mais qui ?

Cela devrait me dire quelque chose, elle. Oui, je me souviens, c’est loin mais si marqué que je ne pouvais l’oublier.

Une image pour seule compagnie. Aurais-je tenu sans éprouver de sentiment ma résistance était inutile. Alors elle donna à ma vie le ciel dont elle manquait. La lumière existant en moi devait être sollicité, dans l’obscurité totale les mots m’eussent anéanti.

Le lui ai-je dit ?

Je me souviens d’une rencontre, moment d’une intensité hors du commun. En cet instant, quand elle devint réalité, je réalisai le péril de ma situation. Restant fictive elle m’aurait accompagnée sur le manège d'un délire définitif.

Je l’ai touchée, embrassée avant de partir sans me retourner, errant dans la ville les yeux pleins de larmes.

Elle fut l’incarnation du réel dont j’avais besoin pour que les ténèbres ne deviennent pas intégraux. Ce point de lumière aux confins de la lucidité. Je peux penser que je ne la reverrais jamais.

Belle histoire n’est-ce pas ?

Vous ne dîtes rien, jaloux !

Savez-vous ce que vous êtes professeur : Le chien de berger de la banalité, rêvant de quitter le troupeau.

Je suis bien sur mon chemin, seul, suivant la crête, regardant les espaces m’entourant, vous devinant tout en bas, si loin que je doute que vous existiez encore.

J’aime la sensation du vertige, la violence de l’appel, le mal que je me fis plus que celui que je commis. J’aime le présent et l’avenir même s'il prouve que je délire. L’important est de passer un moment sympa.

Le couteau, la rivière glacée ?

Était-elle là alors où y eut-il une autre rencontre ? Vous le savez mais il vous manque une pièce du puzzle, la seule que je détienne encore, la plus importante, celle qui explique tout.

Ai-je été à l’hôpital, le normal je veux dire ? Retour au point de départ, chance de renaissance, j’imagine la curiosité autour de moi, une blessure pareille ne se voit pas tous les jours, et puis les voix, les commentaires. Je suis si loin et pourtant je vois, j’entends. Comme tant d’autres, par en dessus, après coup peut-être, qu’importe, je ne cherche pas la vérité, seulement la vraisemblance, la cohérence !

Et maintenant ? Quelle porte à ouvrir, sur quelle suite du chemin. Combien de fois me suis-je déjà posé la question,?

Y a-t-il seulement une sortie ?

Penser, chercher lucidement ce que je dois trouver. Quelque question que je pose, je peux me répondre ce que je veux, et son contraire.

Croire en mes délires m’aiderait. Qu’est un fou doutant de ses récits ? Un simulateur ou un individu dangereusement éveillé ? Suis-je ici pour y croire ? Pour que la démence s’empare de moi ?

Des semaines de coma, mon cerveau lésé au moment de retrouve la surface, l’éveil se poursuit, pénible. Il ne s’agit pas d’ouvrir les yeux, de sourire en criant à la cantonade. Je poisse d’interrogations qui se détacheront une fois les réponses trouvées.

Me rendormir, laisser les murs se refermer et m’engloutir. Laisser ce que je peux de ma vie, et si je ne donne pas la bonne direction au moins en interdire une pour l’avoir explorée sans y trouver mieux que mon destin. Je suis au carrefour, tant de voies s’offrent que je crains qu’elles ne conduisent à une seule destination.

Il doit y en avoir une bonne, je me fais confiance pour oser la choisir.

* *

- Bel endroit pour un Centre de Reconstitution et Rééducation Mentale ! Appellation moins désobligeante qu’asile de fous. Une réserve d’inadapté d’un côté, de pauvres types friqués de l’autre, des cobayes et des payants, c'est intelligent.

- Je suis heureux que vous le reconnaissiez.

- Sans me forcer, il y a tant à faire. Je me souviens avoir été captivé par la neurologie. La difficulté des autodidactes n’est pas d’apprendre ou comprendre, c’est de tout mettre dans l’ordre. Vous le pourriez ?

- Vous voudriez vous y mettre sérieusement ?

Trop tard, mais pour vous tout se tient, une pensée ne peut être séparée de son milieu physique, comme un comportement s’explique par le contexte familial ou social. Il y a une forme de reproduction.

- L’idée est bonne mais vous connaissez la vanité des spécialistes, chacun croit détenir le vrai savoir et méprise les autres disciplines.

- Un esprit assez ouvert pourrait faire l’union des recherches dans des domaines pas aussi éloignés qu’ils en ont l’air.

- Je crains qu’il n’existe pas.

- Pas même vous ?

- Vous voulez me flatter mais je connais mes capacités.

- Ce n’est pas grave pour moi. Je songeais à ces âmes errant en vain.

- Servir autrui leur apporterait un soulagement ?

- Oui, quelque état de démence qui ait été atteint il reste une part de soi au cœur de circonvolutions mystérieuses, inexplorées, comme la surface de notre planète. N’y a-t-il pas encore des endroits où notre curiosité ne nous fit pas aller. Que savons-nous des secrets de notre encéphale… Je me sens partir dans le discours pseudo-scientifique logique pour un psychotique cherchant à étayer ses théories en prenant pied sur des réalités qu’il croit dominer. Peu importe c’est un jeu et s’il ne sert à personne je me serais fait plaisir et vous aurais apporté l’illustration que vous cherchiez pour je ne sais quel article comme : " Le génie et la folie finirent par se mélanger !"

- Se mélanger ou s’unir pour avancer de concert vers les terres inconnues de la psyché humaine.

- Ce serait bien ! J’évoquais un substrat résistant du soi profond, accessible par certaines émotions, réceptif à une satisfaction, celle de ne pas souffrir pour rien. Oui, la Passion est une clé incomprise par ceux qui l’utilisèrent. Se sacrifier, dans le sens premier. l'opportunité manque mais peut-on la provoquer ? Utiliser la souffrance serait un médicament plus efficace que les vôtres, esclaves chimiques de vos perversions médicales, avec pour risque de soulager vraiment la cause de ses tourments. Le nourrisson ressent ce qu’on lui dit sans connaître les mots. Un malade mental n’est pas loin de cet état.

- Jolie comparaison. Vous auriez aimé qu’on vous parlât, bébé ?

- Cela m’aurait troublé, déséquilibré. Malgré les apparences je prêche pour ma paroisse, elle est si peu fréquentée, même par moi. Les murs se lézardent, les vitraux sont tombés, je marche dans la nef et les craquelures de la voûte appellent le désespoir.

- Je ne pensais pas que vous prendriez cette comparaison.

Dans l'Ombre des Murs - 10

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Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

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