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3 juillet 2009 5 03 /07 /juillet /2009 05:53
Héritage - 3 
 

                                                 04


- Dois-je dire bonjour papa ?

- Ravi que tu aies compris.

- J’ai mis le temps, c’était difficile, tu fus si peu présent, dans ma vie.

- Pas de curiosité ?

- Mon instinct me soufflait qu'elle serait assouvie sans que j'aie rien à faire et que plus tard je saurais mieux ce serait. Il semble que nous ayons un faible écart d'âge.

- Vingt ans !

- Le hasard, ou le destin, mis en scène ta rencontre avec ma mère.

- Je préfère le premier, le second impliquerait un inquiétant calcul.

- Une préméditation ?

- C'est le mot. Mais c'est un domaine où ton intelligence trouvera à s'exprimer mieux que la mienne. Tes qualités dépassent les miennes.

- La différence est surtout dans leur emploi.

- L'héritage engendre parfois un conflit de générations.

- Des choix opposés comme cela arrive rarement.

- C’est une façon de voir.

- Voir ? Mais je sais ce que j’ai vu.

- Un test qui ne s’est pas terminé comme prévu.

- Un test ?

- J’avais envie de savoir ce que tu valais, la nature de notre lien, notre proximité. L'épreuve aurait pu te détruire, je pressentais qu'elle ne le ferait pas. J'aimerai disposer des moyens de m'exprimer clairement mais je manque de ton aptitude à la réflexion, je ressens, j'agis, l'animalité est puissante en moi, elle me dit que nous étions semblables, trop pour que je reste ou que je t'abandonne. Me basant sur ma vie je prévoyais tes difficultés, les risques que tu courrais, l'enfermement, la dislocation... Je fis au mieux pour protéger ton esprit. Ton cerveau traduira mes piètres phrases. Il me fallait intervenir. La chance que tu survives était infime, elle suffit. Ton silence est une approbation J’ai partagé tes sentiments, tes affects, ton incompréhension devant ce que tu percevais de ta nature et de ses différences de celle des autres. Tu aurais pu te replier dans un renfermement autistique, conservé le minimum social, un suaire à l’image de la norme. - J’ai opiné ! C’était vrai Kah, vrai. - Le choc te scinda sans te briser, chacune des parties évolua jusqu’à… Mais tu sais cela aussi bien que moi. Elles sont en voie de se réunir, c’est parfait. Ce qui se produisit fut différent de ce que j’avais prévu, je voulais te dire, t’expliquer, te montrer... Quand tu t’enfuis je sus que c’était la meilleure solution, j’aurais pu te découvrir aisément, pour moi pas de cachette introuvable. Les circonstances furent favorables.

– Il avait raison, les parois se rapprochaient, le choc me força à me réduire au minimum pour survivre dans l'espace qu'elles laissaient, ainsi j'ai eu le temps de les éprouver, de les comprendre pour les traverser. L’imaginaire s’ouvrait sur l'infini, la mort de cette enfant me montra l'en-dessous de l'être, le seul abri accessible, infime espace entre les crocs du destin. Trop littéraire, mais comment m'exprimer autrement ? L’hérédité ? lui-même parla d’héritage comme s'il en était débarrassé en me le confiant ! Ce qui est étrange est que j'ai peur de savoir mais que cette peur ne m'effraie pas... - J’ai suivi ta carrière, la comprenant mieux que quiconque, les médias ne se sont pas intéressés à toi, non par ignorance mais par crainte, l’instinct qui hurle de regarder ailleurs, d’éviter ce chemin car la maison de l’ogre est au bout, un ogre ne dévorant que l’illusion pour relâcher l’âme nue dans un monde devenu insoutenable. La comparaison est bonne, valable pour toi aussi. Tu as retrouvé le passé. Lien ai-je dit ? Désirs violents, pervers, tu n’osais pas les accepter en toi avant cette fameuse nuit, je t’ai permis de les rencontrer, le temps, lui, t’aida à les admettre. Leur message est simple : Tu es un individu, pas un pantin social rêvant d’une inaccessible conscience. Enfant moi aussi, j’ai accepté ma nature, mes désirs. Tu me comprends. Regarde mes mains, elles sont propres mais couverte d’un sang que je vois, que je sens, indélébile. Je me suis accroché à la réalité comme j’ai pu, par le crime. Peu de chose en regard de l’actualité, des morts sur les routes qui troublent si peu de consciences. Un nom qui ne leur convient pas. Nous sommes les plateaux indissociables d’une unique balance. Les journaux seraient ravis de découvrir que le père du meilleur policier du pays est un tueur, la situation ne manque pas de sel.

- Le conflit dégénération ! Les liens du sang !

- Le fils peut dépasser le père.

- Il a souri, tu vois Kah, j’évoque ce moment et ce faisant je distingue ce que je veux dire. Bien sûr le fils dépasse le père, c’est son rôle, parfois d'une façon que le géniteur n'attendait pas, lui voulait se prolonger sans soupçonner un changement possible. Rares sont les pantins osant lever les yeux. Je revis mon enfance, les images qui me venaient, le plaisir qu’elles m’apportaient, le devoir de les graver dans le réel pour survivre. Les voix murmuraient, mille souffles brulants, l’Enfer me tendait ses lèvres. Maintenant il le connaît !

- Jadis les villes étaient parsemées de terrains vagues et vielles bâtisses, ensuite les immeubles poussèrent n’importe où, n’importe comment. Un vieil immeuble, un terrain de jeux pour nous, je n’étais pas solitaire, au milieu du troupeau je passais inaperçu. La démolition se faisait attendre, nous glissions entre les murs branlants, montions dans les étages pour regarder au travers des planchers crevés, l’occasion s’est présentée ; un copain, nous tenant à la rampe nous avions conquis le dernier étage, en nous penchant nous pouvions voir l’enfilade des étages dévastés, je l’ai frappé avec une force que je ne connaissais pas, sa main a quitté sa prise, il a basculé en avant, j’aurais pu le rattraper, il l’attendait, croyait à un jeu. Il a compris ce que je voulais, son cri couvrit mon rire. Je l’ai vu tomber quinze mètres plus bas, un bruit sourd suivi d’un silence qui m’emplit d’aise. L’immeuble fut vite détruit, je ne fus pas soupçonné, comment un enfant tuerait-il un de ses compagnons d’amusement ? Et pourquoi ? Oui, surtout, pourquoi ?

- Je doute qu’il ait jamais su pourquoi. A cette question il aurait répondu : Par plaisir, cruelle erreur !

- Le premier d’une longue série, elle court encore. J’ai appris à faire durer le plaisir. Une vie que je ne peux ta raconter ici, cela viendra en un autre lieu. Je fis des disciples, tu l’as vu, j’eus du mal à en trouver de dignes de moi, la plupart imaginaient un plaisir nouveau, de l’avoir vécu les tuait. Avec le temps je pus choisir.

- Il attendait que je prenne ma place parmi ses disciples, que je le suive sur un chemin en spirale, croyant avancer mais tournant en rond sur une voie de plus en plus étroite. Il se voyait si fort, maître de ses désirs comme de ses actes, il ne fut jamais qu’un esclave ! D’un côté j’enviais les plaisirs qu’il avait connus ! Tuer pour sa propre satisfaction, illusoire ! Jouir d’un massacre qui n'apporte qu’un instant d’oubli. J’ai ressenti ce désir, m’en prendre à n’importe qui, n’importe où. Cet homme qui avance… L’image s’imposa un après-midi en moi, comme un ordre, ou presque. J’ai résisté et le plaisir ressenti, je le compris plus tard, fut plus important que celui que j’aurais connu en cédant à cette pulsion. J’ai approché des esprits possédés par le goût du sang. Mon enfance fut peuplée de fantasmes macabre… Fruits vénéneux de l’impression laissée par une certaine nuit mais aussi murmures de ma véritable nature. La même que mon père ! Le vertige me prit quand je me penchai sur l’abîme sans que jamais je puisse tomber, me retenant au dernier moment. Me retenant… Quelle fut ma responsabilité ? Maintenant je contemple le chemin parcouru et m’y vois agir manipulé par des désirs, des ambitions, des craintes et des espoirs dont je ne suis que l’émergence. La réalité n’est pas ce que nous en voyons, tous les physiciens te le diront, n’en va-t-il pas de même pour nous, notre vérité n’est-elle pas en deçà de notre réalité matérielle ? Ce que nous voyons du monde physique est une adaptation à nos sens, ce que nous savons de nous-même est soumis à la même évidence. Bien sûr il y a l’inconscient mais je me demande s’il n’est pas qu’un masque posé sur une imperceptible Vérité ? Imperceptible… De moins en moins peut-être, comme si la trame de notre esprit rejoignait celle de la matière, comme si la Création était Une et notre conscience soumise aux même lois qu’une galaxie ou qu’un atome ! La tentation du pire m’a offert l’univers illimité de la folie pour courir après un apaisement introuvable. Un geste suffisait, sans le vouloir mon père m’aida à résister. Le choc qu’il causa me fit dépasser les murs et leur ombre rassurante, effleurer la démence sans avoir la force, occupée ailleurs, de lui céder. Merci papa ! Fuite ai-je dit, les portes de sortie furent nombreuses, je suis passé trop rapidement, j’ai pu les ouvrir, regarder, désirer… Je m'égare, une vieille manie, je reviens à mon géniteur. Disciples… Il fonda une association à but non lucratif : Le Club des Atroces ! Joli nom n’est-ce pas ? Je passe les détails de cette rencontre et des autres, il me raconta sa vie, ses expériences… J’écoutais, entendant ce qu’il ne me révélait pas, ce qu’il ignorait.

- Difficile de suivre, la situation est compliquée, ces retrouvailles se produisirent après le décès de tes partenaires ?

- Oui, et tu te demandes comment ils trouvèrent la mort ? En service commandé, lors d’une mission dangereuse, pour cela ils reçurent une jolie médaille, à titre posthume, et leurs familles une rente suffisante.

- Ce qui n’explique rien.

- Il les a pris par surprise, et pour cause…

- La ressemblance ?

- Oui… Chacun eut un moment de surprise, croyant me voir sans en être sûr, un temps qui lui suffit pour frapper. Il m’apporta leurs têtes, ainsi voulait-il trancher ce qui en moi désirait la réalité des autres, il n’avait pas compris que par cet acte il signait son arrêt de mort. Pas compris… Maintenant je me demande ce qu’il voulut vraiment. Je suis resté calme quand il a retiré les voiles noirs, les têtes de mes amis étaient sur la table, yeux écarquillés d’incompréhension. Le test fut réussi, mais pas comme il l’espérait. Je l'ai suivi aux États-Unis, son quartier général. Dans la sauvagerie ambiante il avait fait son nid. Je savais que j'allais le tuer avant d'éliminer ses partenaires, ce qui ne saurait tarder. Eux doivent savoir que je suis cause de la disparition de leur maître. Ils ont peur, redoutent le coup qui les tuera, le temps les fragilise. J’ai pensé, brièvement, aller voir des collègues du FBI, j’imagine leurs têtes ! Intervenir m’incombait. Ils classifient les tueurs en série en trois catégories, j'ai rajouté : les "tueurs polymorphes" changeant leur mode opératoire, ayant assez de recul sur eux-mêmes et leurs actes pour les modifier et échapper à la détection. Quand le moment sera favorable je me ferais une joie d’argumenter, de développer mon sujet plus tard. Ils jouissent, outre de leurs forfaits, d’assez d’intelligence pour réussir socialement. Ils ne cèdent pas à la facilité qui perd l’assassin qui, réussissant ses premiers crimes se croit invincible. Tous sont inattaquables, responsables et influents, insoupçonnables ; leurs vies ne sont opaques que où il faut pour dissimuler la vraie obscurité. Rien de plus inquiétant pour un policier que des gens sans zone d’ombre. La vertu est le masque du vice !

- Antiaméricanisme primaire ?

- Secondaire ! J’étais favorable à ce pays jusque dans les années 80, après quoi mon opinion s’est inversée. Maintenant je m’en méfie, le pire danger n’était pas à l’Est, l’Histoire l’a prouvé ! L’intelligence détruit, elle a raison. Je m’étonne de dire cela, si le monde n’est pas œuvre de la démence est celle de la connerie. L’intelligence devient folle d’être inutilisée. A s’imaginer supérieur on se révèle le contraire. Les tueurs libèrent la sauvagerie de tous, ainsi la société continue, pourrissant en regardant ailleurs. Ce ne sont pas les paroles que la bouche d’un policier doit proférer n’est-ce pas ? Je me sens loin des autres, à un stade différent. Il en existe trois, buccal, anal, génital, j’en rajoute un : Social !

- Et un autre, si tu dépasses le quatrième.

- Juste, il n’est pas encore baptisé, nous y reviendrons.

- Tu parlais d’un voyage au pays de l’oncle Sam.

 

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