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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 06:48
Survivre au Mal - 9 

 

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Dans une clinique une enfant naît, non loin un vieillard y agonise, branché à un respirateur faisant de chaque seconde un faux espoir. N’être point mort est-ce une preuve de vie ? Est-ce vivre que rester assis devant le spectacle de ses semblables en laissant la mort grignoter, avec si peu de plaisir, des restes pourris par la vieillesse ?

La mort effraie ceux qui ignorent la vie.

Le rat s’active sur sa femelle, le sapiens mâle également alors qu’il agit comme le premier, sans comprendre.

Au vrai, l’esprit du rat est en surface !

Le ciel est clair, le froid vif, le quotidien est d’une banalité à pleurer. La ville fonctionne et les esprits s’accrochent à l’épine plantée en eux, si facile à retirer que cela en devient impossible.

Un regard derrière une fenêtre, des yeux suivent une silhouette, l’imagination démarre… Délire, besoin de se soulager. Autant allumer la télé, cette toilette mentale dans laquelle se vide qui la regarde !

Un premier cri, un dernier soupir, entre les deux règne l’illusion. La différence dure le temps d'ouvrir les yeux.

L'âme lucide espère plus du dernier cri que du premier soupir.

N’est-ce pas ?

Les murs sont doux, blancs mais la porte n’est pas close, l’autre va, il est là, porteur de la clé pour l’enfer : un miroir.

- Vous vous éloignez de nous commissaire.

Diatek fit effort pour suspendre le cours de ses pensées.

- Je reviens.

- Ce qui est fascinant c’est que vous semblez à la fois perdu dans vos pensées mais capable de regarder autour de vous pour avancer dans les difficultés de la circulation.

- Une habitude, j’utilise le minimum pour l’extérieur. Une vitrine comportementale, mon esprit vagabonde au gré des courants. Il ne choisit pas, ne veut rien, les mots qui le souhaitent s’imposent, les images qui le peuvent se font accessibles. Je suis spectateur dans ces cas là, c’est ensuite que je fais le tri pour en garder le positif.

- Passionnant et dangereux.

- Vrai, tentant d’admirer le spectacle pour perdre l’envie d’en revenir. La folie n’est pas loin mais elle est derrière moi, si j’avais dû céder à ses sirènes ce serait fait depuis longtemps. Enfant déjà j’étais ainsi, cela fait partie de ma nature. Je reste lucide malgré moi.

- Je ne sais pas si cette capacité est enviable.

- Innée oui, vouloir l'acquérir serait dangereux et coûteux.

- Que restera-t-il de cette enquête. Sur le moment l’événement paraît capital, après un mois il disparaît et ne revient qu'au procès.

- J'en profite pour apprendre sur moi ou autrui. Nous sommes bien placés pour regarder le monde, nos semblables, et regretter ce mot.

- Une enquête est un miroir. On ne l'apprend pas à l’école de police.

- La force du réel, Kah !

- Vous avez raison. Se connaître peut donner envie de s'éviter.

- Deviens ce que tu es dit l’ancienne sagesse, elle aurait-pu rajouter qu’il faut supporter cette connaissance.

- L’important est à découvrir, se comprendre.

- Se regarder et admettre que nous sommes différent de nos rêves et ambitions. Curieux comme cette affaire nous conduit à digresser. Est-ce que dans la mort d’une enfant nous lisons une remise en cause de nous-même qui n’en sommes plus ?

- Probablement commissaire, ce ne sont pas des victimes banales. Pour l’assassin et nous qui en sommes finalement les plus proches.

- Nous touchons le mal Kah, embrassons la mort sur la bouche et apprenons à aimer son haleine, le contact de sa peau corrompue, à savourer les vers nécrophages et mentaux qui passent en nous et dévorent l’inutile. Cela se pratique en hôpitaux, des asticots dévorent les parties nécrosées des plaies. Ainsi ces vers psychiques rongent le superflu… Mais sans lui que reste-t-il de soi ? les faux-semblants se dissolvent face à une l'évidence avec laquelle nous devrons vivre.

- Je vais changer de métier si je crois plus en mon utilité.

- Au contraire, elle ne vous aura jamais paru aussi grande, vous mettrez de côté les illusions, les fausses raisons de faire ce métier. Perdu dans mes pensées je suis trop longtemps resté à l’écart. Cédant à une pression intérieure la bonde remonte d’elle-même.

- C’est instructif. En ferais-je bon usage ?

- Le temps vous répondra. Pourquoi sommes-nous là au lieu d’écouter les témoins, d'étudier des dossiers plein de renseignements inutiles ?

- Votre instinct ?

- Ce qui en reste. Profitons de ce que nous avons une raison d’être avant que les machines réalisent notre inutilité. Après un long mutisme voilà que je bavasse vous savez écouter, ou faire semblant.

- Un policier est un presque un confesseur.

- Presque...

- Garder en soi des mots provoque des ballonnements psychiques.

- Belle image Kah, belle image. Mais les libérer peut être assimilé parfois à une flatulence mentale. L’organique n’est pas répugnant, le spirituel seul l’est. Voulez-vous finir intégré à un ordinateur ?

- Je commence à l’être. J’ai un portable, bientôt tout sera connecté et nous oublierons même qui nous fûmes.

- Des engins utile mais la facilité qu'ils offrent est pernicieuse.

- C’est le moins qu’on puisse dire, un progrès sur le moment devient une contrainte que nous ne parvenons pas à surpasser.

- J’imagine la tête des journalistes s’ils nous entendaient…

- Le résultat compte, si nous restons le bec dans l’eau… Mais nous réussirons ! Oublions le virtuel. Le tueur est réel, normal en apparence, nous pourrions le croiser, lui nous connaît. Qui sait si, comme dans les films, nous ne le reconnaîtrions pas malgré tout.

- Ce serait super, que la magie s’en mêle pour nous seconder.

- Il me semble que la vie dans son quotidien doit vous être difficile ?

- Terne, fade. Avant de se trouver il importe de se savoir perdu. Cette attitude dépasse la volonté individuelle, elle est en nous, les faibles se terrent, s’engloutissent. Les linceuls ne manquent pas. Sacré est leur nom. Nous sommes des prédateurs de prédateurs ; les petits mammifères courent entre nos pattes alors que nous cherchons qui les dévore pour nous nourrir de lui à notre tour. Démarche socialement acceptée, mais, psychologiquement, est-elle différente ?

- Voilà le genre de questions auquel il faudrait éviter de répondre.

- Faudrait, portons notre socialité en masque, déguisons nos crocs en sourire, le monde nous donne l’autorisation de mordre en désignant nos victimes, profitons-en.

- Et tout ça pour…

- Encore une question dangereuse. Si nous levions les yeux nous verrions les fils qui nous manipulent, si nous prenions le temps nous verrions les mains, si nous faisions montre de plus de patience encore… C’est en portant nos regards au cœur des abîmes que nous nous rencontrerons. Jeune, si j’avais été une planète j’aurais choisi Mercure, une face brûlante, l’autre glacée, une mince zone tempérée, relativement, entre les deux, et si cela n’est pas la vérité peu importe. Parfois je me sens prisonnier du sol, de la terre, du minéral, tendant une main au-dehors, espérant, et redoutant, qu’elle trouve une prise, une autre main… Qui viendrait d’où ? Difficile d’avoir un but et de se sentir capable de l’atteindre. Rester à genoux est tentant mais pénible, l'esprit s'ankylose. Le savoir est la tentation nous montrant une réalité inaccessible. Il nous renvoie dans notre fange, dans notre reniement. En cela il est l’allié du Paradis.

- Nous nous éloignons.

- C’est juste, restons animaux parmi des bêtes, cherchons notre cible pour la dévorer ou la mettre en cage. Écoutons, sentons, utilisons des sens à peine existant, imprécis, mais qui sont actifs, en nous. Regardons les ombres, la peur n’est pas forcément laide, la mienne est belle, radieuse, douce comme le pire. Et pire que le pire !



Les deux hommes laissèrent le bruit de la ville les envelopper, parler est souvent le moyen de s’interdire de penser, pour ne pas s’entendre et risquer de se comprendre.

Trop longtemps retenu le cri devient murmure, c’est alors qu’il est le plus terrifiant.

La peur ? Peur de l’a… De l’avenir, de l’envie de changer, d’être.

De changer d’être ?

Le pire, donc le meilleur. Hmmmmm !

                                        * * *

Le temps est un disque rayé dont rien ne peut arrêter le bégaiement. Les ombres sont rieuses comme des souvenirs dévorant une vie rongée par les habitudes, les refus et les renoncements.

Un bureau en désordre, des dossiers empilés, rempart de papier né de l’extérieur pour s’en protéger. Un écran observe cela de son œil unique qui semble clos. Bientôt tout passera par lui, futur seigneur d’une société refluant dans le silicium, le minéral.

Des hommes chuchotent en parcourant les témoignages et opinions qui purent se soulager. Un puzzle dont la difficulté n’est pas dans l’assemblage des pièces mais de trouver celles qui sont utiles. Tant sont là pour perdre du temps. Laissons la bonne de côté, il y en a tant à essayer, qui sait ? Celle-ci, celle-là… Le plus souvent on ne savait pas comment aller au terme de sa mission rapidement.

Des gants seraient nécessaires pour manier ces feuillets dégoulinant de rancœur, ruisselants de bêtises et de frustration. Tant de vies ne sont que des poches de pus à l’emballage raide comme une momie, aux yeux si grands pour des mains si petites.

L’animal observe le minéral, ils ne sont pas ennemis.

Lire, relire, noter ici où là ce qui semble intéressant, renvoyant à d’autres mots, d’autres phrases à retrouver dans le flot d’inanités qui recèle, parfois, une observation fine. Personne n’est à l’abri d’un moment d’intelligence, d’utilité.

Difficile de se souvenir de ce que l’on fit, les yeux ne voient pas, l’esprit sait que les taches quotidiennes sont vaines, pourquoi se fatiguer ? Il se repose, s’endort et devient de plus en plus paresseux.

J’en sais quelque chose…

Enregistrer, retenir, trier, besogne lassante, frustrante. L’action est palpitante, excitante, lire c’est agir, loin des aventures accélérant le cœur. La réalité s’emplit de lenteur et d’un labeur demandant plus d’obstination que d’intelligence. Quelque chose se trouve là, Diatek le sent, le flair, ce vieux complice du policier, le lui dit. Dommage qu’il ne puisse prendre la parole et s’exprimer rapidement.

Entre ses doigts passa une note valable, sous ses yeux défilèrent quelques mots qu’il ne put conserver. Le fil qu’il perçut sous ses doigts se délite. Jadis tout allait si vite, si bien, tout était si simple. Dans le temps… Celui d’avant, d’avant la conscience, quand il n’était qu’un spectre au regard explorant l’extérieur pour se fuir.

A-t-il perdu ses aptitudes où sont-elles occupées ailleurs, œuvrant pour un travail personnel refusant de s'intéresser au monde. Son cerveau ne fonctionne pas au ralenti, il lutte, s’interdit, maintient ouvertes les plaies les plus profondes. Le sang frais est une encre sublime. Il crut avoir côtoyé le mal au point de pouvoir le considérer froidement sans plus rien ressentir qu’un amusement enfantin.

Il eut tort !

Il a plus gagné que perdu, reste que son lot est difficile à manier. Le jeu est plus intéressant en étant complexe.

Fermer les yeux, s’insinuer dans la peau du tueur, partager ses émotions, ces pulsions impératives qui lui firent prendre un couteau, qui cédèrent devant la peur que seul l'acte repousse, brièvement ! Il faut recommencer, encore, une vie pour une minute de silence, en mémoire de sa propre mort que l’on ne peut reconnaître.

Dans le sourire glacé d’un enfant mort persiste la souffrance d’un cadavre ignoré.

Ce qui était permis spontanément ne l’est plus volontairement.

Que disait-il ? Une main en cherche une autre ? Il avait raison, elle là, surgissant du passé, l’attendant. Certes, sortir de terre lui fera admettre son état, il ressentira ce froid qu’il voulut aimer alors qu’il venait de l’extérieur. Les vers reflueront de son corps. Nés de son esprit, nourris de peur ils ne résisteront jamais à la lumière. Un simple contact, voici ce dont il a besoin, simple à trouver, difficile à accepter. Quand les vagues d’émotions vinrent lécher son il ce n’était rien, le je continua, les ressentant violemment. L’acide le fit reculer, se contracter, chercher à s’anéantir. La carapace est dure. Ce n’est pas un couteau dont il besoin, c’est d’un ouvre-boites.

- Vous souriez commissaire ?

Diatek croisa le regard goguenard de son collègue. Le rire est nécessaire, surtout quand il s’arrête.

- Je m’évadai. Cette lecture me lasse. Avons-nous mérité ça ?

- Choisi ! Dans ces poubelles nous pouvons trouver un indice. Nous sommes payés pour nous salir les yeux autant que les mains.

- Joliment dit.

- N’est-ce pas ? Marcher, errer, d’accord ! Point trop n’en faut à mon âge. Les égouts puent mais les arpenter est moins fatigant.

- Les rats nous observent attendant que nous quittions leur domaine.

- Il me semblait être plus bas.

- Plus profond. Dans les ténèbres. Inutile de chercher quelle lampe pourrait nous aider à les percer. À notre regard de s'acclimater à notre environnement, ensuite il ne restera plus qu’à le supporter.

- Qu’à…

- Comme vous dites, pas de leçons valables nées de l’observation extérieure. Plonger en soi, arpenter ces déserts hantés, découvrir qu’ils ne méritent pas ce nom, laisser de côté l’expérience, ce regard du passé. Là est la solution.

- Le pire n’est pas de regarder une ombre mais de reconnaître qu’elle est sienne, qu’elle est soi. Vous déteignez sur moi. Je ne le regrette pas, pas encore. Travailler avec d’autres sera difficile.

- Qui peut le plus peut le moins, vous verrez combien c’est vrai. Ce sera une leçon de tolérance, de maîtrise de soi, utile dans notre job.

- Vous avez encore beaucoup à m’apprendre.

- Beaucoup…

Le regard de Diatek se porta vers la fenêtre, passant au travers il se perdit dans un passé pas si lointain mais semblant une autre vie. Revenir permet-il de reprendre l’ouvrage abandonné ? Et pourquoi faire ? Pourquoi s’obstiner à avancer, ce chemin comme tous les autres conduit au cimetière, il ira seul, ne laissant derrière lui qu’une ombre qui l’escortera jusqu’au bout. Ensuite…

- Je me demandais si notre meurtrier avait des enfants ?

- Possible, il a pu vouloir revivre son enfance ainsi. Il pourrait y avoir là l’explication de ses actes. Son fils, supposons que c’est un garçon, arrive à l’âge qu’il avait quand un événement traumatique ravagea son existence. Inconsciemment il voulait modifier son enfance, ce fut le contraire… Pourquoi ? Quelle déception rencontra-t-il ?

- Ce pourrait être le père d’une des victimes ?

- Pour les avoir rencontré je n’y crois pas, encore qu’il puisse s’agir d’un corps non découvert. Voulant retrouver son passé il n'y survécu pas. Au lieu d’être un bien ce fut un choc définitivement destructeur.

- L’explication pourrait être la bonne.

- Gardons-nous de croire qu’en quelques phrases nous venons de cerner la psyché du tueur. L’hypothèse mérite d’être conservée, analysée, sans plus, pour le moment.

- Avoir des enfants c’est se prolonger.

- C’est souvent se répéter.

- Vous n’aimez pas les enfants, ni votre enfance.

- Logique, je ferai un tueur crédible.

Crédible ? C’était peu de le dire !

- Non, trop basique pour vous. Mais ma remarque n’est pas fausse.

- En effet.

- Ce retour c’est pour la retrouver ?

- Entre autre, je doute que ce soit aussi sommaire. Il y a autre chose… L’avenir m’en dira plus, dès qu’il aura le temps de s’exprimer.

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