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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 07:56

 

Promettez... (6)


                                           07

 

- Je représente la première, un grand rôle.

- L'indication que ma route ne pouvait se perdre ainsi. L'auto dénigrement n'est qu'une forme d'auto justification, de lâcheté. Un filet de peur me retenait, quelques lambeaux encore adhèrent à ma mémoire, ce serait un jeu de les éliminer, un je… C’est moi qui serais u.

- Savoir dire est un grand pouvoir !

- Trop ! Je me suis laissé entraîné.

- Toujours avec humour.

- Le moyen de rester à distance de mes paroles. Ainsi tout garde sa forme. Un sourire, une moquerie, prendre le temps de la réflexion sans précipitation. A condition de ne pas se figer dans une attitude devenant une prison pire que celle que je voulais fuir. Longtemps je fis ainsi, les histoires coulaient de moi, situations violentes mais un calembour par paragraphe ; je ne m’arrêtais que sur eux, pas sur le sens de ce que je rédigeais. Écrire pour m’éviter. Aujourd’hui en serais-je capable ? J’ai perdu cette facilité, ai-je gagné quelque chose en retour ? Ça…

- Vous cherchez à vous mirer dans une eau pure, limpidité si parfaite qu’elle renverrait votre image sans la déformer, en l’inversant.

- Cette comparaison me rappelle un roman, Frankenstein, quand la créature, après avoir pris la fuite se retrouve dans une forêt, poussée par la soif elle s’approche de l’eau, boit et cesse son geste en voyant dans l’eau une face repoussante, la sienne.

- Est-ce ainsi que vous vous voyez ?

- Je connais la source de mon dégoût, restes de normalité dont je me débarrasse à chaque idée qui passe. La monstruosité n’est pas laide, parfois parée de beauté elle cache ses crocs et sa nocivité derrière un demi-sourire.

- Cette créature était faite de morceaux de cadavres animés par l’électricité. S’il n’y avait pas eu changement de cerveau elle aurait eu un autre comportement.

- Une histoire que je pourrais écrire ! Doté du cerveau prévu qu’aurait-il ressenti ? Ce pourrait être moi histoire de me rapprocher de quelqu’un. Nous sommes tous un puzzle de cadavres. Par l’hérédité, nous trônons au sommet d’une pyramide de charognes en attendant d’aller la rejoindre. La vie n’est que cela.

- C’est la part vivante de chacun qui survit à travers nous, pas la morte. Penchez-vous sur l’eau, vous verrez peut-être un monstre littéraire mais d’abord une créature animée par une somme de souvenirs vivants. Vous percevant difforme je me serais éloignée, j’aurais craint de tomber dans un piège. Combien de fois m’a-t-on dit de me méfier des inconnus ! J’ai pris le risque sans y penser, moi aussi je suis mon instinct. Pour un autre il m’aurait fait m’éloigner, le laissant sauter, pensant que c’était sa responsabilité. Vous cherchiez votre chemin. J’ai entendu votre appel, poser ma main sur votre bras était tout ce que je pouvais faire. J’aurais… Si vous aviez sauté malgré tout peut-être me serais-je accrochée pour être entraînée.

- J’oscillais, vous avez rétabli l’équilibre. Je suis la grande personne et pourtant j’ai plus de questions que de réponses. Est-ce la peur de gravir l’escalier… Tant de l’enfance me retient malgré les souffrances de cette époque, d’autant plus violentes que je ne les compris pas. Une vasque de larmes, quel meilleur miroir espérer ? Par lui je ne vois rien de gracieux ni de tendre. Je n’ai pas envie de ne retrouver que les bons moments comme tant de vieilles personnes s’évertuent à le faire. Le temps fait le tri, surnageront les plus importants. Chez moi je distingue une face lisse derrière laquelle s’agitent de nombreuses formes obscures. Votre enfance n’est pas ainsi.

- Mon enfance est un mirage. Comment comparer ? Trop d’émotions pour que je comprenne ce que j’ai vécu.

- Il n’est jamais trop tôt.

- J’aimerais attendre d’être vieille pour cela. Ce que je vois de mon passé… Des images d'adultes, ils m’observent, voyant une enfant, pas une personne.

- Voir chez les autres ce que nous ne sommes plus.

- Cette nuit il me fallait être là, l’obscurité nous rapproche en éloignant les autres. Peu importe les mauvaises rencontres.

- L’enfance n’est plus sacrée, elle est idolâtrée, c’est le contraire. Mise sur un piédestal, comme une cible pour les détraqués voyant en elle l’incarnation de la société, cherchant à lui nuire pour se venger de ce qu’ils sont.

-Vous aimez l’enfance, son image ?

- Celle que j'aimais était sans visage, pour changer la mienne, pour rester petit sur le papier. Je voulais régresser, m’amusant à bêtifier, me le reprochant, luttant contre un désir d’ensablement. Je suis aspiré par la vase du passé. M’en arracher est un combat qui dure encore. L’enfant en moi voulait s’imposer, l’adulte en vous essaie de surgir, nos dissemblances font notre complémentarité. Nous cherchions le moyen de dépasser ce que nous sommes, de surmonter nos tentations. Puisant en l'autre la force qui nous manque nous y parviendrons. Chacun engagé sur un pont sans accepter de le traverser.

- Nous sommes de l’autre côté de ce pont physique, l’avons nous franchi ?

- L’évidence nous surprendra. Vous êtes fatiguée ?

- Non, non, seriez-vous las de moi ?

- J’essaie de voir la réalité, une enfant ne peut passer la nuit dehors, sur un banc à discuter avec une personne qu’elle vient de rencontrer dans des circonstances aussi curieuses. Le plaisir que je prends à votre présence ne m’autorise pas à vous l’imposer.

- Ma santé ne risque rien, la nuit est une amie, je ne redoute pas le froid.

- Vos mains sont glacées.

- Les vôtres aussi

- Problème de circulation.

- Mais vous avez raison. Nous avons besoin de repos, de nous retrouver face à nous-même pour comprendre ce que nous vivons, pour nous préparer à ce que nous vivrons bientôt. Ne dîtes rien, laissez moi partir, demain, même heure, même endroit, nous nous retrouverons. Nous avons tant à nous dire, à découvrir de l’autre et de soi. Demain, deux mains…

* *

Elle s’éloigne comme un fantôme laissant en moi une brèche par laquelle pourraient remonter des formes que je ne veux pas encore distinguer. Cortège de spectres attendant un rendez-vous inévitable, fixé par...

Seul comme après un rêve, à douter de ce que je viens de vivre. Ce n’était pas une illusion. Dans mes bras, ses mains dans les miennes, je me suis aperçu dans ses yeux.

La suivre, savoir d’où elle vient, et déjà mon imagination malsaine me fait la voir sortir d’un cimetière, convoquée par de mystérieuses puissances pour venir à ma rencontre, porteuse d’un secret qu’elle doit me confier, qui éclairerait ma vie d’une lumière que rien n’estomperait. Je suis bien dans les ténèbres, je m’y suis fait. Je rêve d’une aube à venir, d’un jour nouveau m’offrant un monde qui serait mien.

Je rêve !

Sourire avec elle, briser ce masque impassible collé sur mon âme. Je crains ce dont je vais me découvrir capable.

D’émotion ?

Marcher, errer, retrouver mon pitoyable logis, sentir son poids comme s’il était vivant, empli d’une masse de non-dits gluants, décomposés par le temps et le silence.

Jeter sur le papier ce que je viens de vivre, être sûr de n’avoir pas déliré. Dans l’encre noire se tient une vie pleine de promesses et de menaces. Pour moi c’est pareil.

Un éclat dans le regard, savoir qu’en l’autre il existe aussi. Humidité inhabituelle, elle n’est plus là pourtant je sens sa présence, ce qu’elle éveilla en moi qui attendait, espérait, qui fait ses premiers pas, chancelants, sachant vers qui aller.

Où est passé le saurien du passé que je voyais comme un semblable, une projection d’une part de moi ? L’enfance peut maîtriser l’animalité, jouer avec elle un moment, si cette relation dure elle coure le risque de s’habituer, trouvant en cette situation un charme l’emprisonnant. Mais l’animal se révolte. Je vois la scène, par les mots la décris. Il sent sa cavalière, réalise un sentiment trop différent pour qu’il l’accepte encore. Sa force est si grande qu’il peut se révolter contre ce qu’il éprouve.

L’enfant joue avec la bête, si cela dure les rôles s’inversent.

Les mots coulant hors de moi ils disent, ce que je pense, ce que je suis incapable de comprendre quand ils ne sont pas extériorisés. Les exprimer me permet de les structurer.

Curieux, je pensais émotion et la prédation s’impose. La seconde peut-elle effacer la première, y trouver refuge pour se repaître de rêves insanes ? Sont-elles aussi opposées que j’allais l’écrire ? Retenir mes mains me donne le temps du doute. Je les vois, face à face, se regardant, se découvrant. L’agressivité pour première réaction mais en se contenant chacune trouve en l’autre des parts d’elle-même comme seules deux sœurs en découvrent.

Combien de masques ai-je, quand le dernier sera arraché… Mais non, c’est déjà fait ! Face à moi-même j’ai du mal à me reconnaître. Je voulais la violence pour me défendre du sentiment et voilà que je ne sais plus le faire. J’hésite, tâtonne, je fais mes premiers pas, acceptant enfin les battements de mon cœur.

Je ne suis pas un loup ni un reptile animé de sa seule soif de vivre, pas davantage une créature composée de cadavres, un puzzle mal terminé dont la pièce la plus importante manquerait. J’ignore qui je suis mais sais ce que je ne suis plus. C’est important !

Lacérer l’émotion, m’amuser comme avec une poupée que je démembrerais avant de la rejeter dans un coin. Le faire avec une allégorie est possible, tentant, avec elle… Je ne sais plus y penser. J’oublie ma sauvagerie, ma rage.

Pour l’instant c’est réciproque. J’ai le temps de les domestiquer pour les utiliser. Que ce ne soit plus l’inverse ! L’animalité voulait me protéger, à moi de faire que cette protection ne devienne pas une prison.

Ce n’est pas ma peur que j’ai balancée dans la rivière, c’est quelque chose de fondamentalement mauvais. J’ai l’impression d’avoir passé un pacte avec Satan et réussi au dernier moment à le rompre. C’est une image ! Sur le pont ne m’attendait pas une créature velue avec des sabots mais presque. J’ai dansé avec le monstre pour qu’il me défende, j’ai chevauché son dos et reculé comme il se retournait, ses mâchoires claquèrent arrachant des lambeaux de peau sans que ses crocs me retiennent. Les cicatrices resteront, comme une victoire, la preuve que le combat fut utile.

Une image, vraiment ?

Murs muets, mon ombre ne bouge plus sans moi, elle ne parle pas en me tendant les bras comme elle pouvait le faire. Abaissant ma volonté j’y aurais cru… Entrant dans la paroi je n’y aurais pas trouvé d’abri. La bête seule pouvait lutter contre ce désir pour échapper à la meute des terreurs et des angoisses qui m’attaquaient, elle eut la force de les combattre, ainsi occupée, épuisée, je pus échapper au piège.

Puisque j’apprécie d’user d’analogie avec des séquences de dessins animés ou de films : quand le héros, dos à l’abîme voit arriver le fauve et fait un bond de côté. Conscient j’aurais été incapable d’agir ainsi, malgré moi cela a marché ! Quand elle mit la main sur mon bras mon mouvement précipita le tueur dans l’eau. Un jour, échoués sur la grève, je trouverai ses restes, récupérerai un trophée, verrai son vrai visage, découvrant celui que je crus mien pendant si longtemps.

Je dois être vivant sinon comment pleurerais-je ?


Hantée de routines la journée est passée si vite qu’il n’en reste rien. Je suis en avance, l’attente est agréable, la crainte qu’elle ne vienne pas un plaisir supplémentaire. Souvenir d’hier, impression d’un temps écoulé comme s’il n’avait pas existé.. L’émotion est là, non plus hostile, non plus ce terrain fangeux dans lequel je craignais de m’embourber pour rester prisonnier, immobile, soumis aux tentations auxquelles je ne saurais plus échapper.

Je vivais dans mon désert, m’étonnant des mirages, ces sites merveilleux que les mots dessinent mais seulement accessible par qui se noie définitivement.

Une nouvelle encre coule de mes yeux et j’hésite à l’utiliser. Elle formerait de jolies phrases pourtant. Je suis si habitué à me repaître d’images atroces, que ce qui vient semble maléfique, penser le contraire me déstabilise.

Immobile trop longtemps, je ne sais plus marcher.

L’eau noire est un ailleurs en lequel je ne crois plus.

Un pas léger comme un souffle, sa main se glisse dans la mienne. Comment figer le temps ?

Mauvaise solution. Pourquoi ai-je envie de me perdre ?

Quel adversaire/partenaire dois-je redouter ?

Qu’une bulle se forme autour de nous et l’Enfer s’y installerait. La valeur de l’instant est dans sa fragilité, dans l’évidence de sa fin. A moi de l’accepter pour en goûter la saveur, en apprécier chaque seconde. Je me souviens de la scène finale d’un vieux film, le diable pétrifie deux amants s’embrassant. Le film souligne qu’ainsi il perd, mais non, au bout de peu de temps il sera gagnant, ils regretteront une situation sur laquelle ils ne pourront plus agir.

Rêve minéral, inaccessible pour l’instant mais qui sait de quoi la technologie sera capable bientôt. Quoi de plus terrifiant que la certitude du lendemain ?

Son contraire ?

Je me retourne, une curieuse chaleur m’envahit quand elle sourit. Me vient un aveu que jamais mes lèvres ne murmurèrent.

Sa main clôt mes lèvres, elle secoue la tête. Ses yeux dévorent le cocon m’enfermant. Nos ombres forment une créature étrange. Deux âmes se nourrissant mutuellement.

Je ne savais pas à quel point j’avais faim.


- A quoi pensez-vous ?

- Au temps s’écoulant, nous savons arrêter les fleuves, les utiliser comme esclaves mais lui reste indomptable parce que nous ne le comprenons pas. Les définitions abondent, le cernant plus ou moins, mais qui pourrait s’en approcher au point de le ressentir. Un jour, qui sait… Je pensais aux souhaits que l’on fait les sachant irréalisables, à notre réaction dans le cas contraire. Un rêve est beau par notre incapacité à l’incarner, attirant notre espérance, suscitant notre désir et motivant notre imagination.

- Penser ainsi est facile, contempler un désir en l’extériorisant afin de perdre l’envie de l’incarner. Matière informe il reste à la disposition de notre curiosité qui le modèle et remodèle sans cesse.

- Dur d’ouvrir les yeux, de déchirer symboliquement l’instant, d’arracher le masque.

- Un mot que vous aimez.

- J’en ai tant porté, hier le dernier est tombé alors que je me penchais sur la nuit, il m’a glissé de l’âme sans que j’aie le réflexe de le retenir.

- Est-ce la vérité que vous voudriez arracher ?

- Je me suis cru déguisé, mais non, je veux découvrir la face de la création.

- Le temps serait ce masque ?

- Qui sait ! Je voudrais être hors de ce courant. Nous ne sommes pas dans un champ regardant passer les trains, considérant le mouvement pour ressentir les heures. J’ai vu passer tant de feuilles, passagers d’encre dont beaucoup me tirèrent la langue. Le convoi filait sans moi. Je ne sais s'il existe, si, dans un virage alors qu’il ralentirait, il me serait possible de le quitter.

- Sauter dans l’inconnu ne vous ferait pas peur ?

- Me précipiter dans le connu m’effraie. J’ai écris une histoire commençant dans un train, une réincarnation compliquée. Les 999 premières pages étaient gorgées de massacres, je bâclai la fin par lassitude. La séquence dans l’hospice promettait pourtant beaucoup. Un train autorise… Une pensée… Pour sauter de ce convoi devrais-je atteindre la motrice ? Le meilleur endroit pour trouver une porte. Remonter les compartiments, apprendre de chacun, faire des rencontres, accroître mes connaissances en me délestant du superflu, arriver à la locomotive, la chaudière, regarder les flammes, retenir un cri de constater le combustible. Vieille idée d’un chemin intérieur, l’envie d’arriver quelque part, l’idée, qu’il existe un endroit d’où il est possible de regarder la réalité autour de soi.

- Vous en êtes proche, un pas suffit. Pénible mais faisable par le pouvoir de la volonté.

- Je me suis tant dit que je ne savais pas vouloir !

- Trop souvent pour que ce soit vrai. Difficile d’avancer quand l’envier de reculer est omniprésente, seul celui qui ose y parvient ! La peur vous a quittée, votre vielle amie ne vous effraie plus. Vous avez arraché ses déguisements trop laids pour être vrais, vu son visage à demi décomposé, vu les larmes de pus coulant de ses orbites, vous l’avez prise dans vos bras, espérant le dégoût l’indifférence vous envahit alors. Elle ne fut pas la plus forte, elle ne le sera jamais. Trop froide pour être vraie.

- La page parfaite serait intégralement noire, ce serait une délivrance de la rédiger.

- La porte noire… Ne cherchez pas la perfection, sinon la vôtre, l’expression la plus ressemblante de celui que vous êtes vraiment. Vous la reconnaîtrez en vous en rapprochant, sentant un écho de plus en plus harmonieux entre vos pensées et leur expression. L’évidence vous stupéfiera de simplicité, vous douterez que ce puisse être aussi simple. L’héritage culturel complique tout et fait que nous n’osons pas savoir. Je comprends votre scepticisme. Par abus d’imaginaire vous avez esthétisé le but à atteindre, comme certains, sans parler de ceux qui l’idéalisent. Vous avez le pouvoir de regarder au travers du maquillage, d’apercevoir l’aspect décharné de la vérité nue dont tant adorent le costume, le rite, le rien !

- Vous verbalisez mes pensées, termes étranges, pleins d’aspérités tranchantes.

- C’est vrai, d’où le plaisir. Les mots qui mordent sont vivants, les autres sont les couleurs mortes d’une palette tentant vainement d’orner le néant.

- Je ne veux plus reculer, notre rencontre certifie que je suis sur le bon chemin, le vide seul aurait uni nos refus. Il est préférable que ce soit la vie qui nous rapproche. Comment dire cela à une enfant ?

- L’enfance est apparence, l’important est dans l’expérience, le vécu comme on dit maintenant. Je peux penser avec nostalgie à l’époque où je jouai dans la cour de l’école, c’était plaisant mais ma route s’est éloignée brusquement. Je me suis retournée, mes camarades, regardaient ailleurs, ils sentaient que nos voies prenaient des orientations incompatibles. Je me souviens de leurs yeux, mi-apitoyés, mi-contents, lâches et voraces à la fois. Le froid m’envahit plus tôt qu’il aurait dû, ils le perçurent et furent terrorisés. Je ne leur en veux pas, ils suivirent leur instinct. La vie était pour eux ce qu’elle ne serait plus pour moi. J’ai eu des regrets, des moments ou l’effroi fut près de me submerger, je dus sembler sereine, acceptant les faits avec philosophie. C’est la moins mauvaise façon de les prendre. J’ai baigné si longtemps dans la souffrance qu’elle semblait appartenir à l’air. Maintenant elle s’est estompée, je ne sais plus la ressentir comme avant, un cal mental m’aide à endurer le temps qui passe, je sais voir ma chance. Moi aussi je porte un masque, sauf devant vous. Il évolua au fil des désirs se posant sur moi, j’ai suivi ma voie, être et paraître simultanément.

- Je suis ainsi, adapté sans être perdu.

- Devenir ce que l’on est suppose de l’accepter. Que de forces espèrent être employées, que de pensées attendent de se former dans l’univers foisonnant de notre imaginaire. Nous trahir serait nous contenter de ce que l’on nous appris à croire être. Là est l’effet nocif, pour nous, des contraintes socioculturelles. Vous êtes sorti de votre berceau, cette cage dont chaque barreau est une angoisse, dont chaque ombre est une terreur. La porte était grande ouverte mais vos yeux eurent du mal à l’accepter. Un oiseau hésite quand il approche du vide avant de s’élancer. Il ne doute pas de ses moyens, de ses ailes, il ne peut conceptualiser la chute et l’erreur, mais en son cerveau se produisent de nouvelles interactions qu’il ressent. Nous sommes craintifs face à ce que nous sommes nés pour réaliser, mais capable de le comprendre et de nous enfermer devant ce qui est une émotion nouvelle plus qu’une terreur justifiée. Vous avez vécu dans une unique pièce alors que beaucoup sont disponibles. Vous les connaissez, vous avez approché tant de portes, collant l’oreille contre le battant, glissant un œil vers la serrure, vous devinez, anticipez.

- Vous en savez plus que moi.

- Nos routes se ressemblent mais la mienne est plus courte. Je dus aller… Non, ne me demandez rien ! Je dus aller plus vite, les circonstances et ma faculté à les accepter décidèrent pour moi. Faculté naturelle, comme un oiseau sait se servir de ses ailes sans apprendre, en regardant, en écoutant sa nature. Là est notre point commun le plus fort, le lien le plus étroit. Allant trop vite je ne peux aller aussi loin que vous qui avez le temps et l’utilisez comme il faut. La société voulut bander nos yeux, brider nos esprits mais ils découvrirent le moyen de voir malgré cela. Tous, ou presque, disposent de ces facultés, l’obligation manque, la facilité anesthésie. Il est préférable de grandir à l’écart. La normalité est un carcan, nous nous sommes redressés avant qu’il soit cadenassé et sommes surpris de penser par nous-même. Nous sommes peu dans ce cas. Mieux vaux une véritable nuit à une fausse lumière. L’obscurité nous protège, le froid est amical, incitant les importuns à rester chez eux. Seuls au monde, ensemble, et non plus chacun dans sa prison. Nous ne partageons pas la même mais voyons que les murs sont illusions, il nous est permis de les traverser. L’infini devient accessible.

- Joli mot ! Prometteur et menaçant à la fois, l’un accompagne l’autre. L’infini, l’avenir, le presque présent, une pensée nous en sépare, mur ténu, facile à déchirer.

- Il est aisé d’avancer les yeux ouverts, la route est là, vous avez les moyens de la prendre, facile, accepter sans vouloir. C’est déjà le cas. Une simple crainte à surmonter. Attendez-vous qu’on vous prenne par la main ?

- Non, vous avez réussi à me retenir.

- D’autres signes viendront quand vous les accepterez, un pas vous ouvrira de nouvelles perspectives. Vous pensez à quelque chose ?

- La lettre d’un éditeur, un refus de plus.

- L’élément déclencheur. La vie vous fait signe, par crainte de changer vous vouliez disparaître. Un signe, une menace, par réflexe vous avez dit non, tellement habitué à votre sort que vous pensez le changement néfaste. Sans temps pour vous lire, la plupart des éditeurs ont buté sur votre style. Je vous devine compliqué. Il faut du travail, ils cherchent des textes formatés. Celui-ci prit son temps.

- Six mois, au moins, je l’avais oublié.

- Vous chargiez vos envois de refus, illisible mais perceptible. Quelqu’un a pris le temps de pénétrer l’aridité de votre œuvre, y découvrant une vie grouillante par rapport à tant d’ouvrages existants. Quand vous rentrerez vous lirez cette lettre, on vous demandera d'appeler un numéro, vous serez calme au moment de le faire. Je sais combien vous reconnaîtront en vous découvrant. Cette lettre est en souffrance dans votre boîte depuis plusieurs jours, l’éditeur est surpris de votre silence, je suis sûre que vous n’avez pas le téléphone, personne ne peut vous joindre rapidement. S’il le pouvait il viendrait vous voir, il apprécierait votre décor, trouverait qu’il vous ressemble, spartiate, débarrassé des vestiges du passé.

- Nécessité alimentaire, je voulais me purger, me nettoyer de ces restes d’autres vies.

- Vous ne pouvez vous vendre ainsi. Ce que vous êtes vient du passé, d’ancêtres qui vous léguèrent chacun un petit quelque chose, l’ensemble de ces rivières constitue le fleuve impétueux que vous êtes.»

- L’image est injustifiée mais charmante.

- Ne perdez plus de temps, vous avez tant à dire.

- Vous le verrez.

- Je le vois déjà, le destin vous attend.

- Nous pourrions nous rencontrer le jour.

- Non… Nous avons le temps de parlez de moi, je préfère vous écouter.

- J’ai l’impression que vous êtes une arme.

- L’arme de la vie intervenant au bon moment.

- On peut dire ça.

- La méfiance ne vous quitte pas ?

- Je la tiens en laisse, pour éviter l’inverse.

- En laisse, justement, changeons de sujet, n’avez-vous jamais eu d’animaux ?

- Bien sûr, que pourrais-je en dire ?

- Eux le pourraient, ils furent compagnons de vos jeux, de votre enfance.

- Mon enfance…

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Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

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