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- Tu imagines la tronche des policiers entrant ici ?
- Oui, et pourtant j'ai l'impression de ne pas être dans la maison.
- Ici mais pas maintenant, si j'ose dire, cet endroit semble si ancien.
- Surtout cette pierre, j’aimerai savoir d’où elle vient.
- D’ailleurs me dit mon père.
- Un météorite.
- Disons que cette explication est la bonne.
- Ces dieux, ces représentations valent un prix fou.
- Leur valeur n’est pas là.
- Je m’en doute. Si nous sortions, la visite continue ?
- Juste.
Le policier referma la porte, sans se concerter ils écoutèrent, en vain, la pièce pour être vide n'était pas inoccupée pour autant.
Un long couloir jusqu’au palier, le policier s’arrête, fait signe à son ami de rester à l’écart et d’observer, cela fait il appuya sur un motif mural avant d'en faire autant de l’autre côté. Morton nota que son ami comptait, un dispositif pour imposer un laps de temps entre les deux pressions, trop d’écart, ou pas assez, et rien ne se produirait.
D’un coup s’escamota un large morceau de parquet, une trappe épousant la forme alternée des lattes.
- Nous traverserons le mur du dessous, tu vois que c'est étroit.
- Y a-t-il un risque que nous restions enfermés ?
- Oui.
- C’est rassurant.
- Je fais ce que je peux. Nous verrons, mais tu peux rester là.
- Et ta sœur ?
- Mon père l’a mangé quand elle avait un an !
Morton ne trouva rien à dire, il préféra penser que c'était une blague.
Il compta les marches, estima leur hauteur, arriva à un ensemble de dix mètres au moins à partir du premier étage, correct.
Devant eux s’ouvrait une salle creusée de trois passages.
- Pour les constructeurs cet endroit est un abri anti-atomique.
- Avec des plus qui surprendraient la police.
- Mon père m’affirma qu'arrivée là elle ne pourrait repartir.
- Il te dit pourquoi ?
- Non.
- Tu l’as cru ?
- Oui.
- Moi aussi, je ne suis pas de la police, une chance.
- N’est-ce pas ?
- C’est coquet.
- Si tu veux visiter je te laisse quartier libre.
- Pour que je me perde ou tombe dans je ne sais quel piège ?
- Bon, moi j’ai quelque chose à voir.
Diatek glissa dans l'ombre, le chemin naissait au rythme de ses pas.
- La lumière vient d’où ?
- Des fibres optiques captent le soleil sur le toit.
- Elle baisse, l'écho trahit une pièce immense.
- Reste calme, tout ira bien.
Morton fit effort pour s’en convaincre.
- Allons, le puits nous attend.
- Nous ?
- Surtout moi ! Ici pas de reproductions de déités dans les murs mais des trophées, n'y fait pas attention. C’est par-là, le froid est chez lui et pourtant tu percevra une intense énergie comme si ce lieu était une sorte de batterie.
- Dans quel but ?
- Je l’ignore.
- Est-ce qu'elle est employée ?
Le policier hésita.
- Oui… Je me sens comme une mère en route pour la salle de travail, à ceci près que j’accouche et nais simultanément.
- Tu ne fais jamais rien comme les autres.
- Le puits est derrière cette porte, je…
La main hésite sur la poignée d’argent, volontaire elle tourne, pousse le battant. Le policier fait un pas en avant.
Les ténèbres sont en lui. Il respire profondément, cherche à avaler une salive qu’il ne trouve pas et rouvre les yeux.
Une surface brillante dans l’obscurité au niveau du sol et un souvenir, inattendu, un conte quand il se voyait écrivain, une maison, une pièce secrète ; l’inconscient de l’inconscient ; un seul objet, un miroir.
C’était évident et il n’a rien compris, il cherchait le reflet de sa vérité et celui qui se terrait derrière l'image de ce qu'il croyait être.
Par mille regards morts l'observe le vrai maître des lieux.
Se jeter au sol, implorer machin ou truc, n’importe quoi susceptible de tout effacer. Pourquoi a-t-il suivi le chemin, les formes sombres étaient amicales, il n’avait pas compris. Il se voudrait martyr, que la lucidité le quitte mais elle ne l’entend pas ainsi.
Des centaines de visages à l’abri du temps, un masque de plus vient d’être arraché, le sien !
Le froid n’est pas extérieur, ce n’est pas celui, salvateur, du vide, c’est la peur qui disparaît, qui l’abandonne.
Un papillon est aussi une forme temporaire, comme l’humain.
L’image d’un garçonnet s’estompe, une illusion dont il s’allège. Il voit son père roulant, ignorant sa destination, découvrant cet endroit et décidant d’y construire sa maison, les ouvriers travaillant d’arrache-pied autant pour les primes que par envie d'être loin. Ils creusent les fondations, une pelle heurte un mur, le travail cesse, son père accourt, fait dégager la roche, les pierres, le cercle, l’évidence est là, les travaux le confirmeront, un puits apparaît avec l’escalier pour en atteindre la base, le système de contrepoids est si simple qu’il fonctionne encore.
De mémoire d'homme, cette région n'abrita jamais aucun peuple. De mémoire d'homme ! De gros billets étouffent les questions presque autant que la crainte d'avoir une réponse. Reste-t-il même un seul des ouvriers à disposer encore de son esprit, sinon de sa vie ?
Les indiens… Avant eux il n’y avait rien dit l’Histoire officielle.
Certes ! Mais avant rien ?
Il assiste au baptême du puits. Quatre sœurs qui s'y réveillant se mettent à pleureur, à crier, personne ne viendra les secourir. Plus tard c’est un homme qui reprend ses esprits le visage contre la pierre, il se redresse péniblement, regarde autour de lui, la lumière est faible mais il distingue le décor malgré tout, il se souvient. Marchant dans la rue, il sentit une piqûre, dix secondes plus tard il eut un malaise, heureusement quelqu’un se proposa pour l’aider. Heureusement ?
Un piège, où est-il, pourquoi ? Qu’y a-t-il sur le sol ?
Des corps d’enfants blotties les unes contre les autres, maigreur avouant de quoi elles moururent, visages révélant une souffrance défiant les mots.
Il hurle.
Tant d’autres. Le premier refusant de mourir de faim. Cherchant un moyen il le trouva, d’autres s’en inspirèrent, ne gagnant qu’un sursis.
Court, si court !
Diatek est emporté par les images, les bruits s’amplifient, les gémissements, les hurlements de rage et de haine, les mâchoires… Il titube, gémit, hurle à son tour, des centaines d'yeux vides sourient.
* * *
- Ça va mieux ?
- Oui. C’était…
- Nous en parlerons plus tard.
- Ce puits, indicible, le temps qui gît là est inimaginable et ce qu'il abrite... J’ai vu des choses, les ai vécues, savourées, bourreau et victime à la fois, j’ai senti ma bouche mordre et mon bras être mordu, j’ai mâché la chair que je venais d’arracher et hurlé en regardant ma blessure. Je suis mort mille fois, mes forces me quittèrent, mon corps pourrit et préserva mon esprit aussi longtemps que possible, plus qu’il aurait dû. J’étais mon père et plus, ce qu’il y a derrière est monstrueux… Et je n’en ai pas peur !
Sans parler Morton soutint son ami dans leur sortie du sous-sol, derrière eux le mécanisme se referma de lui-même
Ils poursuivirent jusqu’à se trouver à cent mètres de la maison, le soleil ne les réchauffa pas mais l’air leur fit du bien.
- Nous pouvons tout détruire.
- Pas le puits ! Rien n'est terminé, loin de là.
Morton opina. Il prit le volant, son compagnon lisant le quotidien acheté à l’aller.
- Où allons-nous ?
Le policier prit son temps avant de répondre :
- Vers l’ouest, mais en avion ce sera plus confortable.
Il tendit le journal plié à son ami, indiquant un article.
- À Los Angeles un cadavre a été retrouvé à moitié dévoré, des traces de dents humaines, ou apparentées.
- La suite ?
Diatek hocha la tête.
Ils laissèrent la maison derrière eux, ce n’était qu’un au revoir
!