Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 juin 2009 1 15 /06 /juin /2009 06:12
Survivre au Mal - 11 
 

                                                 12


Il s’amuse des commentaires, des affirmations, parfois sincères, du devoir, de l’ordre, et de la protection due à tout un chacun.

Il sourit.

- C'est drôle ?

Diatek regarde Truc ! il n’a pas mémoriser les noms de ses collègues. Il connaît ce visage, la voix le rend impatient de recouvrir le tout.

- Oui, ça ne change rien aux faits et ça me fait du bien.

- Tu es si malin, nos recherches, notre travail, tout cela est vain ?

- A parler sans réfléchir on dit des conneries. Les paroles n’ont pas grand sens, jacter occupe. Que pourrions-nous faire ? Nous attendons la chance, que le tueur cesse et nous serons bien attrapés.

- Nous sommes suspendus à tes lèvres.

- Elles sont assez solides, quoi que finement ourlées, pour cela.

- C’est toi qui dirige l’enquête, nous guettons tes lumières.

Petit bilan, répétons-nous, ça fait du bien. Que savons-nous ? Peu de choses : un agresseur, trois crimes. Folie, dit-on, les victimes n'étant liées que par leur meurtrier. La troisième est intéressante et connaissait l’assassin, elle avait confiance. Nous en sommes là, les témoignages sont confus, contradictoires, comme d’habitude.

- Et c'est distrayant.

- Oui. M'emmerder aiderait l’enquête ?

- Des enfants morts ça n’est pas risible.

- Je ne souriais pas d’eux.

- De nous alors ?

- Pluriel de majesté ?

- De moi ?

- De quelques-uns.

- Merci pour eux.

- Parfait, content ?

- Non !

- Tu sais où tu peux aller ?

- Et puis quoi encore ?

- Ah, alors, si tu en viens…

- Je vais te…

- Pas devant du monde quand même.

- Je…

- Messieurs dois-je vous rappeler que nous avons du travail ? l’entracte est terminé, passons à des discussions sérieuses. Diatek, vous pourriez donnez l’exemple.

- Je grattais ma semelle monsieur le directeur ?

- Je vais te…

- Encore ?

- Suffit, ou sortez régler vos différents, je ne fais pas garde d’enfants.

Approbation muette de l'assistance. La discussion continua jusqu’à ce que chacun aille vaquer, excepter les responsables de l’enquête.

- Diatek retenez-vous, dans notre mécanisme chaque pièce est utile.

- Je sais. Un moment d’égarement qui ne se reproduira plus.

- Parfait, refaisons un survol rapide. Kah ?

- Le commissaire Diatek en a parlé, la chance peut nous aider.

- Je doute qu’il y croit.

- Son désir d’être pris sera notre meilleur allié.

- Vous ne serez pas étonné d’apprendre qu’en haut lieux ces histoires dérangent les préparations du réveillon.

- La solution s'approche. Ce n'est pas une vision mais une sensation quasi physique. Le tueur est allé au bout de ses moyens.

- Puissiez-vous avoir raison, sinon, je me demanderais si vous l'avez.

- Et je m’en poserais davantage encore.

Intérieurement Kah se dit que son supérieur avait un sacré don.

Encore que sacré ne soit pas le terme qui convienne !

L’angoisse étire le temps comme une vibration cherchant à se perdre, aucun diapason n’a trois branches.

Le téléphone les fit sursauter. La technique aime se moquer de qui croit la dominer.

- Oui… parfait... amenez-le. Se retournant vers ses subordonnés le directeur les avertit que le clochard habitué des lieux du premier crime venait d’être retrouvé et qu’il était disposé à dire ce qu’il savait, tout en affirmant qu’il ne savait rien.

Les commissaires opinèrent, était-ce ce qu’ils attendaient. La plume poussant la balance de leur côté. Le policier savait que la piste glacée du tueur menait à une silhouette inclassable alors qu'il croyait sa collection complète. Une pièce de plus, de trop.

Le clochard fut introduit auprès d’eux visiblement intimidé par le décor, le lieu et les regards posés sur lui. Non qu’il n’ait l’habitude de la police, au contraire, mais à un autre échelon. Sûr de n'avoir rien à dire ils seraient contraint de le laisser sortir. Contraint.

L’insecte tremblait sous les regards des entomologistes.

- Je n’ai rien fait, c’est une erreur judiciaire.

- Êtes-vous accusé de quoi que ce soit ?

- Non… Mais vous allez me mettre quelque chose sur le dos.

- Du tout, vous êtes notre invité.

- Où est le buffet ?

- La bouteille qui gonfle ta poche c’est du jus de fruit ?

Le clochard sourit, enfin il retrouvait le ton naturel de la police.

- Vous êtes observateur. C’est pour me tenir chaud.

- L’endroit est chauffé. Votre carburant sera utile plus tard.

- Alors qu’il soit vite plus tard. Je me sens comme une mouche dans un bol de lait.

- Tu parles d’une mouche ; le lait, tu sais ce que c’est ?

- Bien sûr, un liquide mythique, personnellement je n’en ai jamais vu.

- C’est ce qu’on dit.

- Si nous en venions au fait, ce n’est pas que je m’ennuie…

- Entrons dans le vif du sujet. Tu dors la nuit.

- Bien vu, je comprends votre choix pour ce poste.

- Tu es perspicace, bien. Où dormis-tu dans la nuit de lundi à mardi.

- Ma situation m’incite à me préoccuper du futur principalement.

- Mauvaise réponse, je crois que tu vas nous trouver moins sympas.

- Comment voulez-vous que je m’en souvienne ?

- Dans le cerveau existe un système appelé mémoire. Je vais t’aider, une allée sur les quais, ça te dit quelque chose ?

- Une allée, sur les quais.

- Tu as compris, réponds maintenant.

- C’est un endroit où j’ai souvent dormi, plus possible maintenant, la porte menant aux caves est fermée, blindée. Je me souviens. J’avais sommeil, il faisait froid, j’avais peu de carburant. J’étais furieux, j'avais des affaires dans un coin, je parie qu'ils les ont jeté ces cons.

- C’est probable, ensuite.

- J’ai cherché un coin, y avait rien, j'me suis tiré.

- Par où ?

- J’ai traversé l’immeuble, vous le connaissez sûrement.

- Rien noté de particulier ?

- Non.

- Bruits, odeurs ?

- Celle des poubelles… Sympa.

- L’actualité c’est quoi pour toi ?

- Mon quotidien, j’ai tiré un trait sur les misères du monde pour m’occuper de la mienne, elle est proche, faire quelque chose pour elle revient à faire quelque chose pour moi. Les autres… le moins est le mieux. Je n’ai pas le temps, " Pas la place - pensa Diatek, une expression qu’il employait parfois dans le même cas - je vis au jour le jour, sans question, sans autre quête que celle de la survie.

- Tu parles très bien, tu as fait des études ?

- Y’a longtemps. J’avais une vie normale, et puis... voilà.

Diatek comprenait, la répulsion du quotidien, pas la résultante.

- Vous pouvez m’en dire plus ?

- Il y a en liberté un tueur d’enfant, dans une des poubelles que tu as effleuré lundi soir se trouvait le cadavre d’un nourrisson.

- Putain ! Vous ne pensez pas que c’est moi quand même ?

- Non, mais vous auriez pu vous croiser.

- Si je pouvais vous aider… Dans un autre cas je vous dirais d’aller vous faire cuire un œuf, là c’est pas pareil, des gosses, chopez-le vite.

- C’est notre but, nous comptions sur toi.

- Sur moi… Et bien…

- Oui ?

- Je me souviens, un bruit, un choc, j’ai tendu l’oreille un moment, je m’en foutais, vous pensez bien, que pouvait-on me dire de plus ?

- Vraiment rien de particulier ?

- A part le moteur chaud.

- Un moteur chaud ?

- Oui, arrêté depuis peu quoi. Je me suis chauffé les miches un moment, c’était bon, après quoi j’ai mis les bouts, voilà.

- Et ?

- Vous pensez que je sais autre chose ?

- Si ce n’était pas le cas tu ne poserais pas cette question.

- Vous êtes futé vous, pas comme les autres.

- J’apprécie l’opinion.

- Donc ?

- J’ai marché, la voiture est arrivée et a failli me heurter. J'étais sur la route mais c’était pas une raison.

- Et ? Je ne te cache pas que nous sommes pressés.

- J'ai regardé la plaque, mon année de naissance. C’est tout ce dont je me souviens, la marque, la couleur, tout ça, que dalle.

Les policiers hochèrent la tête et simultanément demandèrent :

- Et ce numéro, c’est…

                                                             * * *

Deux hommes marchent qui savent où ils vont, ce n’est pas si fréquent. Leurs pensées se suivent et se ressemblent, se frôlent et se reconnaissent, temporairement ils sont proches, unis par la peur de ce qui vient, de ce qu’ils devinent sans le distinguer précisément.

Chance, hasard ? Peu importe, la conclusion était déjà écrite, le point final posé il ne restait que trois lettres à taper.

La résistance intérieure est parfois impossible, perdure en soi le désir que cela cesse, que la force de tout stopper vienne de l’extérieur.

Diatek observe le geste machinal et répétitif de son coéquipier, la vérification que son arme est en place ; on ne sait jamais. Lui n’en porte pas, il sent qu’ils n’en auraient pas besoin. Un château de cartes peut monter haut, en ôter une suffit à le déstabiliser.

Ils vont lentement, pourquoi se presser, le chapeau est devant eux, le lapin est dedans, reste à tendre une main, à le saisir par les oreilles pour l'en sortir. Quel sera le visage de l’assassin. Il serait rassurant qu’il ressemble à une brute, front bas, regard méchant, c’est rare, ou seulement à mi-temps. Parfois il devient définitif quand le monstre est démasqué. Quand, enfin, il peut cesser de jouer le jeu des autres. Il peut arriver que ce soit l’inverse, les traits se détendent, apparaît alors une vérité que personne ne voulut voir.

Chacun dessine mentalement un portrait sans en fixer aucun trait. Le pire serait qu'ils se ressemblent, c’est de lui découvrir un aspect nouveau qui est inquiétant, troublant.

Là est le pire du pire, quand il ne nous est pas étranger !

Apprendre c’est souvent perdre, se dessaisir de ce que l’on tint en croyant vérité définitive. Ce que l’on porte alors est plus lourd et de se découvrir la force de le soutenir une inquiétante révélation.

Ils auraient préféré un long chemin, pouvoir se préparer, raffermir leur conviction, leur quoi ? Mais le trajet est court, si court.

L’immeuble est semblable à bien d’autres, l’entrée de l’Enfer n’est pas de fer rougi, elle est douce, accueillante.

Un vaste hall vitré, des boîtes aux lettres, un couloir, l’ascenseur. Un doigt qui appuie, le ronronnement de la machine dans un silence rythmé par deux cœurs qui accélèrent.

Couloir moquetté, huis sombre, quelques enjambées suffisent.

- Une porte bien angoissante non ?

- J’allais le dire, l’anodin est terrifiant. Une porte est un mystère.

- Vous parlez d’expérience.

- Oui. Je me souviens, ma première, derrière c’était autre chose, un fou plus redoutable que celui qui nous attend.

- Le chef vous a suivi quand vous avez dit que nous suffirions.

- Je souhaite qu’il ne s’en morde pas les doigts à nos enterrements.

Sonnette, le bruit court dans l’appartement sans visiblement intéresser quiconque.

- Il ne serait pas allé sortir le chien ?

Nouvelle sonnerie, vaine, le voisin sait peut-être quelque chose.

Des pas lourds s’approchent dix secondes après que Kah ait toqué. Des bruits de verrous, la porte s’entrebâille.

- Messieurs ?

- Nous cherchons des renseignements sur votre voisin, monsieur B, précisa Diatek tout en présentant une jolie carte plastifiée ornée de son visage souriant.

- Je le connais mal, bonjour, bonsoir, pas loquace, renfrogné, il va travailler, revient, sort peu. Il est préoccupé, je le comprends.

- Pourquoi ?

- A cause de sa fille.

Un vent glacé fait frémir Diatek, la lumière s’estompe alors qu’une lourde porte claque dans son dos et que, surgissent du passé trois regards, non, quatre, se posant sur lui.

- Qu’a-t-elle de particulier poursuit Kah conscient de la réaction de son partenaire.

- Je crois qu’elle est un peu atteinte mentalement, retardée.

Les policiers échangèrent un regard.

- Remarquez à la voir elle paraît normale, si ce n’est qu’elle ne dit rien, ne va pas à l’école, ne parle pas. Dommage, elle est plutôt jolie. Il paraît qu’il est nécessaire d’être toujours près d’elle sinon elle ne fait rien. Ça doit être difficile pour le papa.

- Quel âge ?

- Je ne sais pas au juste, dix-sept, dix-huit… Une jeune femme quoi.

- Il est allé travaillé aujourd’hui ?

- Il n’est pas sorti. Je l’entends chaque matin descendre l'escalier.

- Nous serons patient, il peut écouter de la musique avec un casque.

- Je suis navré de ne pouvoir en dire davantage.

- Vous nous avez bien aidé, merci.

Restés seuls les deux hommes laissent filer quelques secondes.

- Ça va mieux ?

- Oui, ça m’a fait comme un coup.

- Des souvenirs ?

- Lointains…

L’absence persiste. Diatek après avoir farfouillé dans sa poche en sort un petit instrument métallique qu’il utilise pour crocheter la porte.

Ombre et silence sont réunis pour les réceptionner, des lambeaux de pensées traînent ici ou là, Diatek les ressent comme autant de cris allant en diminuant.

La dernière pierre est posée, l’air s’épuise, le monde a disparu, l’illusion est minérale. La lumière fut un cauchemar. Heureusement, sans oxygène elle s’éteint. Le corps est muet. Qu’importe les cicatrices, les brûlures, les mains qui palpent, fouillent.

- Je sens l’atroce.

Diatek opina, l’appartement en était plein.

Le sang a séché, coagulé, il se brise, les pensées vont mourir, vont… Vie, mort. Qu’est-ce que c’était ?

L’ultime pièce, ils l’ont gardé pour la fin sachant que la solution les attendait derrière.

Quelle est cette image, ces silhouettes s’approchant ? Une ombre, un corps lourd revenant sans cesse, une bouche avide, un sexe tendu, le froid qui la pénètre, n’était-elle pas assez loin.

A peine entrebâillée l'odeur du sang leur vrille l'âme. Vite…

Qui est cette femme qui lui ressemble, qui dit non, qu’il ne faut pas, qu’il ne faut plus… Et l’ombre qui frappe, détruit… un éclair d’acier qui mord, mord… Embrasse ta mère une dernière fois ! La tête disparaît dans un sac plastique, deux vies s’estompent. Le ciment scelle un passé survivant.

Kah se précipite, la lumière fait mal, Diatek résiste à la tornade qui le repousse. Le premier déplace le… le truc froid, le second, à genoux, prend la main de la jeune fille… Aucun ne peut plus répondre.

- Je ne veux pas comprendre répéta Kah, jamais.



La sirène approchait ils placèrent le manche bleu dans la main qui le méritait.

Les larmes font du bien, le puits déborde et cela était nécessaire.



Dans l’inconnu des doigts s’effleurent, des mains se rapprochent…

Partager cet article
Repost0
12 juin 2009 5 12 /06 /juin /2009 06:27
Survivre au Mal - 10 
 

                                                 11


Le rideau glacé de la nuit est agité où la folie cherche à le traverser, où ses griffes attaquent l’étoffe usée de la réalité. Bientôt l’apparence sera volée par ce trou d’obscurité, la paix régnera enfin.

Diatek ne peut trouver le sommeil. Lui qui auparavant s’endormait en quelques secondes une fois allongé est au spectacle. La scène dans son esprit est dans la pénombre mais il voit, il devine. Les images défilent, des phrases, des idées, des mots aux couleurs variées où domine le rouge. Il sait n'être pas seul à veiller, un autre esprit se perd dans une tempête qui l’engloutit, si ce n’est pas déjà fait. Une douce envie qui ne trouve que lèvres closes, bras croisés et regards se détourant devient un poison. Alors la faim domine. Le temps file, les regrets se brisent sur la démence, un mur totalement refermé.

Son passé s’agite, le puits emplit de larmes laisse remonter ce qu’il celait.

Il aima la haine, désira tout détruire, arpenter les rues tuant ce qui bougeait. Symboliquement il le fit, dessinant mentalement une cible sur un être, un dos, n’importe où, la détonation explosait dans sa tête. L’autre ne se doutait pas que la mort passait sur lui.

Ensuite vint le placard, monde confiné dans lequel il s’enfermait pour écrire en se tailladant l’âme.

Il voulait l’extérieur, l’étranger, et puis, et puits.

La réalité est tranquille, vue de loin, qui s’approche devine qu’elle est visible ainsi grâce au suaire qui la recouvre, la masque et la révèle. Il l’aima et se laissa violer par elle, y prenant plaisir, jouissant de sa souffrance avant de comprendre pourquoi il agissait ainsi.

L’enfance regorge de rêves ? On se voit ceci, se veut cela, ambitions que la réalité efface. Gare à qui n’oublie pas les ruines en soi !

Tuer un mort n’est pas tuer.

Par la magie de l’obscurité il retrouve la chambre de ses grands-parents. Curieux qu’il ne les revoit pas, eux qui moururent quand il avait sept et huit ans, à cet âge la mémoire est active. Décès à neuf mois d’écart. Ce retour est l’envie de savoir, en conscience. Il revoit les deux grands lits, les plaques de linoléum pour ne pas abîmer le parquet, le miroir qu’il brisa, accidentellement, plus tard. L’armoire qu’il repoussa avant de la récupérer, puis de la rejeter à nouveau. Une chambre qui fut noire, bleue, blanche finalement. La mémoire est joueuse, manipulatrice, les souvenirs les moins utiles sont mis en avant, les plus importants se terrent. Les ultimes pièces du puzzle, la dernière, celle permettant de le comprendre.

Le rendez-vous était pris depuis longtemps. Les traces devant lui sont étrangères, celles menant au réel et celles indiquant la folie. Si elles sont devant lui c’est qu’elles ne sont pas siennes.

Il aimait avoir du sang sur les mains, purger le monde d’adversaires trop proches de lui pour qu’il les supporte. Coloré de rouge le monde est plus beau, quand monte la rage il semble accueillant, vivable.

L’évidence de pouvoir avancer est effrayante.

Le lit où mourut son aïeul était-il à l’emplacement du sien, dort-il dans le creux laissé par la camarde dans l’espace ?

Ce sifflement ? Sa faux moissonnant, le cherchant peut-être… Mais non, il est trop loin pour qu’elle l’atteigne. Le froid est bien vif brusquement, il le ressentit déjà dans cette chambre, la mort le caressait, une autre main le retint, la vie fut la plus forte.

Incroyable, il pleut ! Bien sûr, sinon pourquoi ses joues seraient-elles mouillées, pourquoi ses lèvres ont-elles un goût de sel ? "Laisse-toi aller, ne contrôle pas…" Il le fit pendant tant et tant d’années, tant et temps damné ! Il est un grand garçon maintenant, il peut accepter, supporter et se décharger de sa rancune. Il sait, évidemment qu’il sait, et alors ? Ça n’en est pas plus facile pour autant, au contraire.

La folie ? Risible ! Elle ne le prendra plus, il l’aima si fort, profond-dément. Un doigt accroché au réel peut lui dire non, sa force se perd, ses efforts s’étiolent. Le gouffre dans lequel il se jeta n’était pas le bon, à moins que ça n’ait été le contraire.

Des murs, des murs… Les ongles ripent et se brisent pour découvrir une pierre tremblante, un espoir. La sortie est là malgré les voix affirmant le contraire, disant qu’en se retournant elle apparaîtrait, qu'elle est… Hait… Le salut est douloureux quand il est accessible !

Sa main caresse les parois seulement recouvertes de peinture, symbole pseudo ascèse.

L’heure approche, ses mains plongeront dans la lézarde, arracheront les pierres friables, les poussières du passé. En entendant le hurlement il soupirera de soulagement.

Ne plus hurler, oublier le sang, les mains, ce corps inutile, oublier l’envie de refuser, le désir de vivre… Courir, se perdre, n’être plus qu’apparence, même et surtout, pour soi. Ce n’est pas un mur, non, le mur est un piège, en fait l’univers est plein, sa prison est tout ce qui reste d’espace, elle diminue, se contracte, le néant triomphe.

Enfin ! Du sang, du ciment, le mur va se disloquer, il reste une voie, un signe. Là est le danger, le méchant qui fit, qui fait si mal. L’autre qui vient. Pourquoi résister, partir, en silence. Qui le remarquerait.

C’est qu(o)i l’autre ?

La poussière recouvre sans détruire, elle protège. La lumière nettoie, dissipe sans détruire ce qui le mérite.

Une simple porte, un premier pas.

Cette lumière effraie ceux qui ne laisseraient pas même une silhouette sur un mur.

Les pensées sont des ennemies, pourquoi vouloir survivre à ce prix ? Soi, ce n’est plus, ce ne fut jamais. Le ballon se remplit de rien.

Quel pacte fut donc signé pour tenir encore ? Le bois pourrit et ne repoussera plus longtemps les vers affamés. Eux rempliront l’espace, eux seront le suaire opalin qui recouvrira le réel. Chacun détiendra une parcelle d’esprit, prix de l’éternelle malédiction.

Confusion, émotion ! Qui sait, qui ose vouloir ?

Son arme ? Le sang fait peinture et donne sa forme à ce que l’on refuse de voir.

Trop tard.

Trop simple, il sut tenir, la preuve. Il étreint la souffrance, puisant dans ses souvenirs le moyen de jouer un rôle auquel il ne croit plus.

Foi ? Oui, même s’il emploie peu ce mot, bovinisé par ceux qui croient en connaître le sens, qui croient…

Quelle chance de ne pouvoir davantage.

Quelqu’un l’aida, il y a longtemps, on le lui dit, quelqu’un toujours là, accessible. Le mur, le vide ? L’enfance fut trahie, reste la prison.

Au-dessus de son lit était un crucifix. Place à la vie ! sa chambre est bleue maintenant, couleur de ciel, couleur d’yeux.

De SES yeux.

Pleurer, l’accepter, cela fait tant de bien.

Les larmes ont cessées, la source est asséchée, la terre est morte. Les mains ne trouvent que poussière, indifférence. L’esprit dut plier, la vérité est une trop lourde charge. Quelques pas, la fenêtre, le froid, le vrai, l’ami. Quelques fenêtres allumées, des gens vivent donc encore ? Des gens dans des casiers attendant leur place en boite…

Vide… froid… Que de rêves fit-il ainsi, yeux clos, debout, loin de cet endroit, ouvert à l’univers, une inépuisable énergie circulant en lui, la fureur de la vie étreint l’infini.

Le vide protège, la souffrance devint une armure, la protection d’une âme trop sensible mimant trop bien la mort.

La vie est l’ennemie. Impassible comme la mort. Celle-ci a faim, la peur s’estompe, les visages aux yeux vides ne sont pas le sien.

Diatek sourit de ses pensées, il revoie un petit instrument métallique dont il ne s’est pas servi depuis longtemps : Un diapason. Il est une moitié de cet appareil et connaît l’autre. Frapper doucement, le cri naîtra ; le choc fut donné, le hurlement retentit déjà. Reste à le subir.

Il n’est plus seul.

Sortir, se promener, marre de cette chambre, de son décor. Manteau, chaussures, franchir les portes. L’air frais nocturne, une fois encore. Errer, physiquement seul, l’esprit voyageant loin, revenant malgré tout au bercail. Le vent de la vie le fit avancer.

Le couteau… Qu’est-ce que c’est ? Un petit objet, un cadeau. L’encre est rouge, le mur aussi. Les mots ont disparus, le corps se vida pour nourrir l’esprit à son tour exsangue. Le papier est indifférent. Qui peut entendre la vérité, qui ?

Quelques minutes de marche, les lieux des crimes sont proches. Quel en est le centre ? Le pont à traverser, l’eau sombre qu’il vit si souvent en rejoignant l’école. Un jardin au portail facile à sauter. Endroit désert, les voitures sont rares à cette heure de la nuit.

Une statue équestre l’observe, tout est calme. Des jeux d’enfants, un bassin, une falaise en surplomb, des bribes de souvenirs errent.

Cela a si peu changé, alors que "son" école fut détruite, elle.

Une tour, un escalier en colimaçon attendant une réfection qui ne s’annonce pas. Les poches des politicards sont trop grandes. Le lieu du deuxième crime, troublant, comme si un message lui était adressé, une espérance spontanément exprimée, en vain.

Son passé a disparu, l’histoire ne repasse pas les plats, dès lors pourquoi ne pas se servir dans l’assiette d’autrui ?

Il venait souvent enfant, joueur calme, sage, comme une image.

La prison est douleur pour qui s’y sait retenu à jamais. L’oubli sera le seul sauveur, le néant rassure. Passé et présent se vendent, les murs se rapprochent, bientôt ils ne feront qu’un, l’univers sera plein. Le big crunch vérifié par tant d’âmes perdues, trop fragiles pour résister et vouloir. Chaque pulsation est un pas vers le vide sans que le visage trahisse rien, le regard reproduit ce que l’on attend de lui.

La mort œuvra ici, une souffrance longtemps contenue s’exprima, un reste d’énergie à épuiser. Des enfants passèrent en criant. Il le fit, inutilement, ensuite il fut l’apparence, une porte sur l’ailleurs.

Crier serait vain, ne lui reste que l'énergie dont il a besoin.

Le bout du chemin, le Graal est proche. Ne fut-il pas taillé dans une émeraude tombée du front de Lucifer ? D’où lui vient cette cicatrice.

N’est-il pas déjà plein de sang ?

L’Enfer est doux.

Attendre, la souffrance ronge, l’oubli est pour bientôt, plus de geste, d’expression, plus de pensée Chut, bébé dort !

Adolescent, avant de rejoindre les autres pour telle ou telle fête il s’allongeait, désespéré. La mort lui souriait alors, il se sentait mieux. Pour mourir il se voyait prendre ce chemin un soir d’hiver, une nuit glacée, monter au champ plus haut, s’allonger, attendre…

N’est-ce pas sa situation ?

Le Froid est un tendre complice.

Et s'il agonisait, son esprit tentant d’occulter la vérité ?

Le coma dépassé est un pont entre le sommeil et la mort.

La vie est un rêve, le réveil un cauchemar, quel choix !

Se voulant de pierre, il est de cristal et vibre. Bientôt il partira, sa vie est entre d’autres murs. Les siens sont épuisants à entretenir. Les pierres les plus basses sont les plus grosses pas les plus lourdes.

Il distingue les lumières de la ville, le bruit de fond qui ne cesse pas, crachotement d’un haut-parleur en attente de vrais sons.

Alors qu’il redescend un souvenir émerge, un après midi, l’attente près du portail, quelques minutes qui changèrent sa vie, qui le firent changer de vie.

ELLE vint.

Avec qui a-t-il rendez-vous ? Les branches du diapason ne hurleront que réunies.

Le cri explosa dans son esprit en premier mais résonna en un autre avant de lui revenir.

Seront-ils exacts au prochain rendez-vous ?

                                        * * *

La ville s’ébroue, s’étire, difficile de se lever. Se coucher peut être pénible, arrêter ses activités, laisser ses fonctions naturelles retrouver un rythme différent, acceptable. Le sommeil est un long tunnel semblant sans sortie. Il est doux de paresser au lit, dans la chaleur, la moiteur, pourquoi se risquer au-dehors ? Qu’a-t-on à y gagner ? rester couché, les yeux clos, le cœur battant… Battant ?

Pourquoi faire ?

Chaque nuit porte l'espoir de trouver au réveil un monde différent, acceptable, mais non, rien ne change jamais. Les éboueurs passent, ramassent les cadavres, la mort ne s’amuse plus de sa provende.

Ces deux derniers matins virent la même nouvelle : La découverte d’un enfant mort, et ce troisième ? Le proverbe allait-il mentir ? L’horreur est agréable un moment, trop elle devient insupportable. Pire : Dérangeante ! La nausée n’est pas loin, elle prend le goût de la réalité, de la proximité, le risque est trop proche pour être accepté, dominé par la loupe du possible il est intolérable.

Trois victimes, un bon chiffre, une petite série, un début de collection, bientôt pourtant il sera nécessaire pour que le public s’intéresse de découvrir d’autres moyens de meurtres rapides. L’émotion génère sa propre auto-défense. Viendra le jour où sa propre mort sera un spectacle. Alors le Paradis sera accessible.

Oublions la crise, parlons d’autre chose que pauvreté et exclusion, un tueur en série distrait la société lui faisant s’oublier, s’oublier sous elle. Bientôt il n’y aura un ministère des loisirs forcés. C’est beau d’avoir du temps à soi mais c’est souvent du temps pour rien. Le pire ennemi du chômeur c’est l’ennui, devoir s’occuper seul.

Bonjour le vertige.

Diatek n’a plus de télé depuis longtemps, pas d’ordinateur personne. Foin du multimerdia, des autoroutes de la communication. Les petits sentiers sont moins fréquentés mais par des gens de qualité.

Il imagine l’effet des médias, que l’on ait parlé de lui, que sa tête ait été montrée au peuple, elle en vaut la peine. Starification, mot à la mode, un clou chasse l’autre, une image pousse la précédente, c’est là l'oie de la société.

Des regards, des murmures, des questions esquissées, une curiosité plus ou moins malsaine.

Est-ce "cela" qu’il doit protéger ? Ces moutons qui, parfois, se déguisent en loup avec des dents de caoutchouc ? Qu’il réussisse et on l’admirera, dans le cas contraire il sera vilipendé, honni, par ceux qui, à sa place, en feraient moins.



Réunion de travail, la journée commence tôt, c’est presque l’état d’urgence. Déjà se réjouir qu’aucun corps n’ait été découvert. Des patrouilles circulent partout, être présent est impératif, attention, il ne s’agit pas d’agir, non, n’allons pas jusque là, seulement de faire acte de présence, c’est pas mal.

La presse est commentée, les journaux dégouttent de sang, les tirages montent, l’actualité était triste, pas le plus petit scandale, pas la plus petite affaire. Un tueur en série se dévoue. Merci qui ?

Les policiers commentent les commentaires, souriant que les opinions des spécialistes, ou assimilés, soient tous dissemblable. Chacun veut donner un avis particulier, le plus proche de la vérité gagnera notre considération et le droit d’écrire un livre pour revenir la semaine suivante.

Super.

Moins qu’ordinaire.

Diatek songe à tout cela, mais à autre chose aussi, ses pensées refusent d’être contenues, elles ont besoin de liberté, envie de s’activer, de chercher. Il sera plus efficace ainsi. Technique aléatoire faisant entrer en collision les informations jusqu’à ce que quelques-unes s’agglomèrent pour donner une nourriture correcte.

Le bureau de M. le directeur est plein, on dit que lui-même parfois… Médisance ! L’affaire est importante, beaucoup des commissaires et autres inspecteurs présent en veulent à Diatek de diriger l’enquête, tout en étant soulagé de ne pas être à sa place. Qu’il gagne et sa fortune est faite, qu’il échoue… Et un autre essaiera ! Chacun a son idée du monstre et du traitement à lui appliquer en cas de prise. Cela va de la balle dans la tête : "Au moins c’est du sûr", à "Qu’on me le laisse cinq minutes…" Des opinions tranchées. Faute de mieux.

Que faire d’un monstre ? L’étudier ? Est-ce seulement utile ? Il est des tueurs pouvant analyser leur comportement, expliquer ce qu’ils firent, pourquoi, sans éprouver de remords. Diatek n’apprécie pas les remords. Ceux qui prétendent être innocent malgré leur culpabilité patente lui sortent par les yeux. Trop facile, tactique de défense ! Le vrai fou sait, certes, qu’il l’est mais veut en douter. Il connaît la pulsion meurtrière, la jubilation dans l’exécution, le plaisir de la préparation. L’acte posé devient irréversible. Derrière soi claque une porte que rien ne rouvrira. Tueur est une activité socialement acceptée si elle est moralement, et encore, critiquable. Dans l’antiquité des prêtres ouvraient des poitrines pour arracher un cœur et lire dans ses ultimes battements les messages des dieux. De nos jours l’officiant est dénommé psychopathe, la différence est ténue. Pourquoi ne pas les laisser agir sinon parce qu’ils permettent à la société, en les combattant, de poser, par cela, qu’elle est évoluée.

Mon œil !

Partager cet article
Repost0
8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 06:48
Survivre au Mal - 9 

 

                                                 10


Dans une clinique une enfant naît, non loin un vieillard y agonise, branché à un respirateur faisant de chaque seconde un faux espoir. N’être point mort est-ce une preuve de vie ? Est-ce vivre que rester assis devant le spectacle de ses semblables en laissant la mort grignoter, avec si peu de plaisir, des restes pourris par la vieillesse ?

La mort effraie ceux qui ignorent la vie.

Le rat s’active sur sa femelle, le sapiens mâle également alors qu’il agit comme le premier, sans comprendre.

Au vrai, l’esprit du rat est en surface !

Le ciel est clair, le froid vif, le quotidien est d’une banalité à pleurer. La ville fonctionne et les esprits s’accrochent à l’épine plantée en eux, si facile à retirer que cela en devient impossible.

Un regard derrière une fenêtre, des yeux suivent une silhouette, l’imagination démarre… Délire, besoin de se soulager. Autant allumer la télé, cette toilette mentale dans laquelle se vide qui la regarde !

Un premier cri, un dernier soupir, entre les deux règne l’illusion. La différence dure le temps d'ouvrir les yeux.

L'âme lucide espère plus du dernier cri que du premier soupir.

N’est-ce pas ?

Les murs sont doux, blancs mais la porte n’est pas close, l’autre va, il est là, porteur de la clé pour l’enfer : un miroir.

- Vous vous éloignez de nous commissaire.

Diatek fit effort pour suspendre le cours de ses pensées.

- Je reviens.

- Ce qui est fascinant c’est que vous semblez à la fois perdu dans vos pensées mais capable de regarder autour de vous pour avancer dans les difficultés de la circulation.

- Une habitude, j’utilise le minimum pour l’extérieur. Une vitrine comportementale, mon esprit vagabonde au gré des courants. Il ne choisit pas, ne veut rien, les mots qui le souhaitent s’imposent, les images qui le peuvent se font accessibles. Je suis spectateur dans ces cas là, c’est ensuite que je fais le tri pour en garder le positif.

- Passionnant et dangereux.

- Vrai, tentant d’admirer le spectacle pour perdre l’envie d’en revenir. La folie n’est pas loin mais elle est derrière moi, si j’avais dû céder à ses sirènes ce serait fait depuis longtemps. Enfant déjà j’étais ainsi, cela fait partie de ma nature. Je reste lucide malgré moi.

- Je ne sais pas si cette capacité est enviable.

- Innée oui, vouloir l'acquérir serait dangereux et coûteux.

- Que restera-t-il de cette enquête. Sur le moment l’événement paraît capital, après un mois il disparaît et ne revient qu'au procès.

- J'en profite pour apprendre sur moi ou autrui. Nous sommes bien placés pour regarder le monde, nos semblables, et regretter ce mot.

- Une enquête est un miroir. On ne l'apprend pas à l’école de police.

- La force du réel, Kah !

- Vous avez raison. Se connaître peut donner envie de s'éviter.

- Deviens ce que tu es dit l’ancienne sagesse, elle aurait-pu rajouter qu’il faut supporter cette connaissance.

- L’important est à découvrir, se comprendre.

- Se regarder et admettre que nous sommes différent de nos rêves et ambitions. Curieux comme cette affaire nous conduit à digresser. Est-ce que dans la mort d’une enfant nous lisons une remise en cause de nous-même qui n’en sommes plus ?

- Probablement commissaire, ce ne sont pas des victimes banales. Pour l’assassin et nous qui en sommes finalement les plus proches.

- Nous touchons le mal Kah, embrassons la mort sur la bouche et apprenons à aimer son haleine, le contact de sa peau corrompue, à savourer les vers nécrophages et mentaux qui passent en nous et dévorent l’inutile. Cela se pratique en hôpitaux, des asticots dévorent les parties nécrosées des plaies. Ainsi ces vers psychiques rongent le superflu… Mais sans lui que reste-t-il de soi ? les faux-semblants se dissolvent face à une l'évidence avec laquelle nous devrons vivre.

- Je vais changer de métier si je crois plus en mon utilité.

- Au contraire, elle ne vous aura jamais paru aussi grande, vous mettrez de côté les illusions, les fausses raisons de faire ce métier. Perdu dans mes pensées je suis trop longtemps resté à l’écart. Cédant à une pression intérieure la bonde remonte d’elle-même.

- C’est instructif. En ferais-je bon usage ?

- Le temps vous répondra. Pourquoi sommes-nous là au lieu d’écouter les témoins, d'étudier des dossiers plein de renseignements inutiles ?

- Votre instinct ?

- Ce qui en reste. Profitons de ce que nous avons une raison d’être avant que les machines réalisent notre inutilité. Après un long mutisme voilà que je bavasse vous savez écouter, ou faire semblant.

- Un policier est un presque un confesseur.

- Presque...

- Garder en soi des mots provoque des ballonnements psychiques.

- Belle image Kah, belle image. Mais les libérer peut être assimilé parfois à une flatulence mentale. L’organique n’est pas répugnant, le spirituel seul l’est. Voulez-vous finir intégré à un ordinateur ?

- Je commence à l’être. J’ai un portable, bientôt tout sera connecté et nous oublierons même qui nous fûmes.

- Des engins utile mais la facilité qu'ils offrent est pernicieuse.

- C’est le moins qu’on puisse dire, un progrès sur le moment devient une contrainte que nous ne parvenons pas à surpasser.

- J’imagine la tête des journalistes s’ils nous entendaient…

- Le résultat compte, si nous restons le bec dans l’eau… Mais nous réussirons ! Oublions le virtuel. Le tueur est réel, normal en apparence, nous pourrions le croiser, lui nous connaît. Qui sait si, comme dans les films, nous ne le reconnaîtrions pas malgré tout.

- Ce serait super, que la magie s’en mêle pour nous seconder.

- Il me semble que la vie dans son quotidien doit vous être difficile ?

- Terne, fade. Avant de se trouver il importe de se savoir perdu. Cette attitude dépasse la volonté individuelle, elle est en nous, les faibles se terrent, s’engloutissent. Les linceuls ne manquent pas. Sacré est leur nom. Nous sommes des prédateurs de prédateurs ; les petits mammifères courent entre nos pattes alors que nous cherchons qui les dévore pour nous nourrir de lui à notre tour. Démarche socialement acceptée, mais, psychologiquement, est-elle différente ?

- Voilà le genre de questions auquel il faudrait éviter de répondre.

- Faudrait, portons notre socialité en masque, déguisons nos crocs en sourire, le monde nous donne l’autorisation de mordre en désignant nos victimes, profitons-en.

- Et tout ça pour…

- Encore une question dangereuse. Si nous levions les yeux nous verrions les fils qui nous manipulent, si nous prenions le temps nous verrions les mains, si nous faisions montre de plus de patience encore… C’est en portant nos regards au cœur des abîmes que nous nous rencontrerons. Jeune, si j’avais été une planète j’aurais choisi Mercure, une face brûlante, l’autre glacée, une mince zone tempérée, relativement, entre les deux, et si cela n’est pas la vérité peu importe. Parfois je me sens prisonnier du sol, de la terre, du minéral, tendant une main au-dehors, espérant, et redoutant, qu’elle trouve une prise, une autre main… Qui viendrait d’où ? Difficile d’avoir un but et de se sentir capable de l’atteindre. Rester à genoux est tentant mais pénible, l'esprit s'ankylose. Le savoir est la tentation nous montrant une réalité inaccessible. Il nous renvoie dans notre fange, dans notre reniement. En cela il est l’allié du Paradis.

- Nous nous éloignons.

- C’est juste, restons animaux parmi des bêtes, cherchons notre cible pour la dévorer ou la mettre en cage. Écoutons, sentons, utilisons des sens à peine existant, imprécis, mais qui sont actifs, en nous. Regardons les ombres, la peur n’est pas forcément laide, la mienne est belle, radieuse, douce comme le pire. Et pire que le pire !



Les deux hommes laissèrent le bruit de la ville les envelopper, parler est souvent le moyen de s’interdire de penser, pour ne pas s’entendre et risquer de se comprendre.

Trop longtemps retenu le cri devient murmure, c’est alors qu’il est le plus terrifiant.

La peur ? Peur de l’a… De l’avenir, de l’envie de changer, d’être.

De changer d’être ?

Le pire, donc le meilleur. Hmmmmm !

                                        * * *

Le temps est un disque rayé dont rien ne peut arrêter le bégaiement. Les ombres sont rieuses comme des souvenirs dévorant une vie rongée par les habitudes, les refus et les renoncements.

Un bureau en désordre, des dossiers empilés, rempart de papier né de l’extérieur pour s’en protéger. Un écran observe cela de son œil unique qui semble clos. Bientôt tout passera par lui, futur seigneur d’une société refluant dans le silicium, le minéral.

Des hommes chuchotent en parcourant les témoignages et opinions qui purent se soulager. Un puzzle dont la difficulté n’est pas dans l’assemblage des pièces mais de trouver celles qui sont utiles. Tant sont là pour perdre du temps. Laissons la bonne de côté, il y en a tant à essayer, qui sait ? Celle-ci, celle-là… Le plus souvent on ne savait pas comment aller au terme de sa mission rapidement.

Des gants seraient nécessaires pour manier ces feuillets dégoulinant de rancœur, ruisselants de bêtises et de frustration. Tant de vies ne sont que des poches de pus à l’emballage raide comme une momie, aux yeux si grands pour des mains si petites.

L’animal observe le minéral, ils ne sont pas ennemis.

Lire, relire, noter ici où là ce qui semble intéressant, renvoyant à d’autres mots, d’autres phrases à retrouver dans le flot d’inanités qui recèle, parfois, une observation fine. Personne n’est à l’abri d’un moment d’intelligence, d’utilité.

Difficile de se souvenir de ce que l’on fit, les yeux ne voient pas, l’esprit sait que les taches quotidiennes sont vaines, pourquoi se fatiguer ? Il se repose, s’endort et devient de plus en plus paresseux.

J’en sais quelque chose…

Enregistrer, retenir, trier, besogne lassante, frustrante. L’action est palpitante, excitante, lire c’est agir, loin des aventures accélérant le cœur. La réalité s’emplit de lenteur et d’un labeur demandant plus d’obstination que d’intelligence. Quelque chose se trouve là, Diatek le sent, le flair, ce vieux complice du policier, le lui dit. Dommage qu’il ne puisse prendre la parole et s’exprimer rapidement.

Entre ses doigts passa une note valable, sous ses yeux défilèrent quelques mots qu’il ne put conserver. Le fil qu’il perçut sous ses doigts se délite. Jadis tout allait si vite, si bien, tout était si simple. Dans le temps… Celui d’avant, d’avant la conscience, quand il n’était qu’un spectre au regard explorant l’extérieur pour se fuir.

A-t-il perdu ses aptitudes où sont-elles occupées ailleurs, œuvrant pour un travail personnel refusant de s'intéresser au monde. Son cerveau ne fonctionne pas au ralenti, il lutte, s’interdit, maintient ouvertes les plaies les plus profondes. Le sang frais est une encre sublime. Il crut avoir côtoyé le mal au point de pouvoir le considérer froidement sans plus rien ressentir qu’un amusement enfantin.

Il eut tort !

Il a plus gagné que perdu, reste que son lot est difficile à manier. Le jeu est plus intéressant en étant complexe.

Fermer les yeux, s’insinuer dans la peau du tueur, partager ses émotions, ces pulsions impératives qui lui firent prendre un couteau, qui cédèrent devant la peur que seul l'acte repousse, brièvement ! Il faut recommencer, encore, une vie pour une minute de silence, en mémoire de sa propre mort que l’on ne peut reconnaître.

Dans le sourire glacé d’un enfant mort persiste la souffrance d’un cadavre ignoré.

Ce qui était permis spontanément ne l’est plus volontairement.

Que disait-il ? Une main en cherche une autre ? Il avait raison, elle là, surgissant du passé, l’attendant. Certes, sortir de terre lui fera admettre son état, il ressentira ce froid qu’il voulut aimer alors qu’il venait de l’extérieur. Les vers reflueront de son corps. Nés de son esprit, nourris de peur ils ne résisteront jamais à la lumière. Un simple contact, voici ce dont il a besoin, simple à trouver, difficile à accepter. Quand les vagues d’émotions vinrent lécher son il ce n’était rien, le je continua, les ressentant violemment. L’acide le fit reculer, se contracter, chercher à s’anéantir. La carapace est dure. Ce n’est pas un couteau dont il besoin, c’est d’un ouvre-boites.

- Vous souriez commissaire ?

Diatek croisa le regard goguenard de son collègue. Le rire est nécessaire, surtout quand il s’arrête.

- Je m’évadai. Cette lecture me lasse. Avons-nous mérité ça ?

- Choisi ! Dans ces poubelles nous pouvons trouver un indice. Nous sommes payés pour nous salir les yeux autant que les mains.

- Joliment dit.

- N’est-ce pas ? Marcher, errer, d’accord ! Point trop n’en faut à mon âge. Les égouts puent mais les arpenter est moins fatigant.

- Les rats nous observent attendant que nous quittions leur domaine.

- Il me semblait être plus bas.

- Plus profond. Dans les ténèbres. Inutile de chercher quelle lampe pourrait nous aider à les percer. À notre regard de s'acclimater à notre environnement, ensuite il ne restera plus qu’à le supporter.

- Qu’à…

- Comme vous dites, pas de leçons valables nées de l’observation extérieure. Plonger en soi, arpenter ces déserts hantés, découvrir qu’ils ne méritent pas ce nom, laisser de côté l’expérience, ce regard du passé. Là est la solution.

- Le pire n’est pas de regarder une ombre mais de reconnaître qu’elle est sienne, qu’elle est soi. Vous déteignez sur moi. Je ne le regrette pas, pas encore. Travailler avec d’autres sera difficile.

- Qui peut le plus peut le moins, vous verrez combien c’est vrai. Ce sera une leçon de tolérance, de maîtrise de soi, utile dans notre job.

- Vous avez encore beaucoup à m’apprendre.

- Beaucoup…

Le regard de Diatek se porta vers la fenêtre, passant au travers il se perdit dans un passé pas si lointain mais semblant une autre vie. Revenir permet-il de reprendre l’ouvrage abandonné ? Et pourquoi faire ? Pourquoi s’obstiner à avancer, ce chemin comme tous les autres conduit au cimetière, il ira seul, ne laissant derrière lui qu’une ombre qui l’escortera jusqu’au bout. Ensuite…

- Je me demandais si notre meurtrier avait des enfants ?

- Possible, il a pu vouloir revivre son enfance ainsi. Il pourrait y avoir là l’explication de ses actes. Son fils, supposons que c’est un garçon, arrive à l’âge qu’il avait quand un événement traumatique ravagea son existence. Inconsciemment il voulait modifier son enfance, ce fut le contraire… Pourquoi ? Quelle déception rencontra-t-il ?

- Ce pourrait être le père d’une des victimes ?

- Pour les avoir rencontré je n’y crois pas, encore qu’il puisse s’agir d’un corps non découvert. Voulant retrouver son passé il n'y survécu pas. Au lieu d’être un bien ce fut un choc définitivement destructeur.

- L’explication pourrait être la bonne.

- Gardons-nous de croire qu’en quelques phrases nous venons de cerner la psyché du tueur. L’hypothèse mérite d’être conservée, analysée, sans plus, pour le moment.

- Avoir des enfants c’est se prolonger.

- C’est souvent se répéter.

- Vous n’aimez pas les enfants, ni votre enfance.

- Logique, je ferai un tueur crédible.

Crédible ? C’était peu de le dire !

- Non, trop basique pour vous. Mais ma remarque n’est pas fausse.

- En effet.

- Ce retour c’est pour la retrouver ?

- Entre autre, je doute que ce soit aussi sommaire. Il y a autre chose… L’avenir m’en dira plus, dès qu’il aura le temps de s’exprimer.

Partager cet article
Repost0
5 juin 2009 5 05 /06 /juin /2009 06:15
Survivre au Mal - 8 
 

                                                   9


Les policiers observent les badauds, peu s’arrêtent mais tous tournent la tête, les regards s’allument, les bouches salivent et le besoin de téléphoner s'impose… C'est juste un souvenir !

Y a-t-il des taches sur le sol ? Une silhouette dessinée à la craie comme un fantôme prisonnier ? L’odeur de mort a disparue mais ils la perçoivent malgré tout.

Venant de l’intérieur.

Participons à la douleur d’une famille cruellement touchée, tournons-nous vers l’avenir, aimons-nous les uns les autres.

Surtout les autres, bien cuits, accompagnés d’un excellent Chianti.

Un jour, de fiers et sécurisés immeubles remplaceront ces pavillons confortables. Ils rapporteront plus d’argent. Une famille n’a pas droit à tant d’espace, deux mètres sur un, voici l’espace, létal plus que vital, nécessaire dont chacun disposera bientôt.

- Difficile d’imaginer que la solution soit proche s’inquiéta Kah

- Et pourtant… Quelles traces peuvent-elles persister dans l’air, les murs ? Si nous pouvions y accéder… La souffrance et le désespoir sont des émotions violentes, un écho a pu être piégé quelque part.

- Des médiums et autres vont proposer leurs services.

- La misère est une matière première inépuisable. Restons dans le cadre de notre profession, bien que je m’en écarte parfois. De petites récréations mentales font du bien à l’esprit confiné. Oui, la solution nous attend. La mort savait à qui s’adresser, la liste des copains de la victime nous aidera, le fait que l’âge des proies augmente a un sens.

- Ce serait intéressant de pouvoir communiquer avec elles.

- Une table tournante comme témoin, j’imagine la scène au tribunal.

- Le mobile des crimes vibre de la souffrance du tueur. Mort, folie, les fils qui le dirigent sont solidement tenus par des mains glacées.

- Vous semblez bien les connaître.

- Trop bien.

- Comment, ensuite, supporter son quotidien, ne pas se demander le pourquoi ou le comment ? Surtout comment, moi, j’en sortirai.

- Quand j'ai commencé il n'existait pas de soutien psychologique Parfois les choses changent en bien, même si c’est pour s’adapter aux contraintes de la société moderne. Je vous sens lourd d’interrogations en ce qui concerne mon passé.

- Si je n’étais pas curieux je ferais un autre métier.

- Juste, vous comprendrez que je ne vous dise rien.

- Bien entendu.

Pour la première fois ils échangèrent un regard complice. Diatek se remémora ses premiers partenaires, des aventures partagées avec eux… Des souvenirs douloureux.

- J’ai pensé arrêter, pris quelques mois de repos, mon retour devait marquer un nouveau départ, l’expérience est peu concluante. Pas de regret, avancer était nécessaire, je ne peux éviter une confrontation dont j’ai, malgré tout, quelques chances de sortir vainqueur. Un pas, un autre, savoir que cela n’aura de fin que la mienne, et encore… Je n’ai pas envie de me retourner pour voir un mur de corps raidis par la bêtise, pris dans la bestialité, sans autre face qu’une forme blanche, malléable, et dégoulinante de terreur. alors je me verrais le premier à arpenter des territoires où la conscience ne mit jamais le pied. Vous voyez, je me laisse emporter, il n’y a pas si longtemps…

- Oui ?

- Il n’y a pas si longtemps je passais mon temps à écrire, j’étais loin, croyais-je, les mots coulaient de mon esprit par mes mains, accepter suffisait. Parler me laisse le temps de comprendre quoi que j'ai à me dire je suis capable d’y survivre et de poursuivre.

- Seul, demanda Kah ?

- La solitude est lourde pour qui n'existe pas vraiment.

- Vous manqueriez à nos services.

- C’est gentil de me le dire, j’en étais sûr mais une confirmation est rassurante. Un tour de manège de plus, utile, trop utile.

- Finalement je pense que les journalistes vous éviteront, par excès de matière, ils veulent des personnages simples, sommaires. Trop de pensées, d’esprit, de personnalité, qui se reconnaîtrait en vous ?

Diatek sourit.

- Résumons, les faits nous indiqueront la marche à suivre. L’enfant est dans sa chambre, il joue, il a rendez-vous. Quelqu’un tape aux carreaux, il ouvre, sort… Ensuite il est tué sur-le-champ.

- Quelle certitude que tout ait été arrangé ?

- Il pouvait voir au travers des volets, l’assassin ne pouvait être sûr de la bonne réaction. La logique veut que la rencontre ait été prévue.

- Ce qui me fascine c’est la rage souriante. Comment quelqu’un tenu par une haine féroce peut-il discuter en sachant que son interlocuteur va mourir de sa main ?

- Le besoin ! Le tueur a besoin de sa victime, le mot n’est pas trop fort, c’est comme un charme qui agit. Je ne crois pas au hasard, comme dans la nature, le prédateur attrape l’animal le plus faible. En l’occurrence ce n’est pas une faiblesse physique ni intellectuelle mais une fragilité psychologique que le tueur ressent. C’est une explication basée sur l’expérience pas sur des études chiantifiques. Je suis certain pourtant qu’elle est bonne dans une majorité de cas.

- L’assassin frappa deux fois.

- Ce qui n’en fait pas un facteur ! L’enfant n’a pas crié, du moins personne ne l’a entendu, il est tombé, ensuite le second coup fut porté. Inutile il indique une violence croissante, le besoin de tuer encore une fois.

- Il n’est pas possible d’imaginer qu’un seul enfant ait été la cible, les autres seraient là pour noyer le poisson ?

- Envisageable mais invraisemblable.

- Le tueur serait venu à pied ?

- Une voiture se fait remarquer en pleine nuit, trop de bruit, surtout dans une petite rue.

- En croisant des gens d’apparence anodine je me demande si le meurtrier n’est pas là, tout près, si c’est cet homme souriant et bonhomme, ce grand maigre, ce petit gros, si c’est machin ou truc, s’il nous regarde passer en souriant certain que nous ne le prendrons jamais. Qui sait, l’idée me vient comme ça, s’il n’a pas pour but de se suicider, ainsi nous resterions dans le mystère et lui laisserait planer une ombre inquiétante pour longtemps.

- Le cas s’est déjà présenté.

- En totale contradiction avec ce que nous savons des tueurs en série.

- L’exception confirmant la règle.

- J’espère que ce ne sera pas cela, surtout pas.

- Il pourrait venir se livrer. Si j’avais un enfant je m’inquiéterais…

- Puisqu’il choisit des victimes plus âgée à chaque fois, supposons que la prochaine devrait avoir environ dix ans, à moins que cela ne corresponde au traumatisme fondamental, s’il y en a un. Mais c’est souvent le cas, un point de départ. Sa quête s’arrêterait à ce barrage, comme si c’était le but, se rencontrer et se comprendre enfin.

- Il répondra à ces questions quand nous l’aurons pris.

- S’il le peut.

- Vous comptez l’abattre ?

- Fut un temps… Mais c’est si loin tout ça.

- Je ne serai pas indiscret.

- Je préfère.

Les deux hommes restèrent silencieux, du coin de l’œil Kah surveillait son partenaire non sans s’interroger en cherchant dans sa mémoire ce qu’il savait de cet homme.



L’apparence trahit-elle la réalité, le monde est-il aussi terrifiant et nauséeux qu’il semble ? Ces gens qui marchent, ces automobilistes prêt à rager contre ces imbéciles de piétons qui les méprisent, avant que les rôles ne s’inversent ? Qui peut comprendre ce qu’il est, et admettre ce qu'il n’est pas ? la vie se résume-t-elle à une perpétuelle agitation ou cette agitation masque-t-elle l’absence de vie ?

Diatek se pose mille questions pour éluder la seule valable. La réponse serait facile à trouver, alors tout serait différent et à son tour il ne pourrait plus reculer. C’était son espoir en retrouvant sa ville : se replier sur son passé pour masquer qu’en lui la volonté de vivre était à l’œuvre et qu’il s’abandonnait à ses manipulations.

Le décor avait peu changé, des badauds, des bagnoles, des crottes de chiens. Le quotidien normal et dissimulateur.

Est-ce cela le bonheur ? Mais non, il le sait, la crise et les difficultés ne sont là que pour emplir l’esprit de préoccupations basiques. De même que l’envie d’accumuler de l’argent, l’exaspération de pulsions fondamentales, pourquoi chez certains cette libération ne serait-elle pas l’envie de tuer ? Il ne s’agit plus de manger ses proies, ce qui arrive pourtant, mais, symboliquement, tuer c’est voler une vie, intérioriser un être, le réduire à l’état de pantin mental. La plus subtile, ou vicieuse, forme d’absorption.

Le bonheur ? L’atteindre c’est le tuer, se perdre dans un ennui sans fin. L’éternité ne peut être autrement.

L’enfant aimait sa maison, l’adulte qui retourne dans les murs de son passé le recherche mais n’en trouvera que l’ombre fuyante au détour d’une porte, d’un coin de rue, d’un escalier.

Les fantômes aussi se lassent.

                                        * * *

Des mains espèrent encore. Le mur serait-il enfin parfait ? L’angoisse ronge le ciment, un rai de lumière pourrait s’infiltrer. Il ne faut pas. L’occultation de l’ailleurs doit être complète pour y disparaître.

Ou le croire.

Pourquoi l’esprit veut-il conserver l’espoir, répéter les mots menteurs qui affirment que demain est possible, que la sortie est proche ? C’est faux, rien ne changera. L’effort pour s'insensibiliser fut trop grand pour reculer. La souffrance serait trop vive, elle est l’ennemie, le monstre riant dans le noir, qui veut et veut, toujours davantage.

La main ne sortira pas de l’eau au dernier moment, elle ne se tendra pas pour un ultime appel, la vie si perverse pourrait la saisir.

Si la victime est sans réaction c’est qu’elle perçoit que la mort, en face, lui ressemble.



Diatek cherche pour ne pas trouver, s’arrête sur un détail pour le faire éclater entre ses pensées sans parvenir à la certitude d'avoir échoué.

Le pire est fragile, il demande que l’on croit en lui constamment.

Son imagination explore toutes les directions. Le froid serait bien, une ère glaciaire qui recouvrirait le monde d’un linceul de frissons. Alors le temps serait figé, l’apparence prisonnière, rien ne changerait plus.

A bien y réfléchir cela ne modifierait rien.

Retenir le temps, trouver la formule mathématique, l’équation magique le réduisant à merci. La lire pour que naisse l’éternité.

Il s’amuse de son délire, sait que rien ne transparaît, qu’il ne sera plus emporté, lui. Quelque chose d'inexplicable le retient. Étrange ciment empêchant sa dislocation, la peur n’est pas l’ennemie, sans elle le monde serait glacé comme celui auquel rêve tant de gens, auquel croient tant de spectres se croyant vivants.

Enfant il passait ici, empruntait cette rue, marchait des heures sans rien voir, l’esprit courant sur des terres magnifiques. La folie vint à sa rencontre, les bras tendus. Il fut le plus fort. Un combat pénible et long dont nul ne sut rien. Le prix fut exorbitant, il l’acquittât. Il sait qu’il lui faut mériter sa souffrance, sa Passion, mériter...

Oui, quelqu’un passa par ces rues qui lui ressemblait, quelqu’un qu’il aurait pu devenir, quelqu’un que la folie n’eut pas emporté s’il avait été plus fluide. Résister fragilise et amène sa propre désintégration.

Les ombres furent amicales, les murs tentateurs, un fil lumineux persista à lui parvenir. Les obstacles furent des marches qu’il gravit vers un futur qu’il craint d’entrevoir.

Une simple porte de placard ?



- Prenons cette rue Kah. Si nous avions des chiens de chasse mentaux ils retrouveraient les effluves de la démence, ce serait super.

- Nous n’en sommes pas là.

- Imaginons ! Le tueur est repu, la main dans sa poche il tripote son arme. Il est impensable qu’il soit passé ici sans croiser personne.

- Et pourquoi pas ? S’il habite près son parcours fut bref, le froid dissuadait les promeneurs, sans oublier la peur d'une mauvaise rencontre. Facile de faire le faraud dans son coin, quand il s’agit de prendre un vrai risque il y a moins de volontaires. L’idéal serait de rencontrer l’heureux possesseur d’un caméscope qui l’aurait étrenné la nuit dernière.

- Cela nous faciliterait bien les choses.

- Trop, notre plaisir en serait amoindri.

- Plaisir ?

- Le mot vous dérange ?

- Au contraire, en prendre dans l’exercice de sa profession, même la nôtre, est nécessaire. Défendre la société, protéger les faibles…

- Vous pensez qu’il n’en valent pas la peine ?

- Chaque cas est particulier, ce n’est pas la fortune qui fait la valeur de l’individu, sinon dans le contexte d’une société dégénérée. Mais c’est là une remarque qui pourrait m’attirer quelques inimitiés.

- L’amitié n’a pas de sens pour vous ?

- Je m’en méfie, dans le cadre professionnel c’est dangereux.

- J’ai entendu parler de vos anciens partenaires.

- Tant mieux, cela nous évite de les évoquer.

Kah se le tint pour dit, momentanément. Il reviendrait à la charge.

Chacun reprit le cours de ses réflexions. Diatek sentait son jeune collègue supputant à son sujet. Finalement il aurait préféré un complice moins intelligent, à croire que cette dernière était contagieuse. Mais il pensa cela pour s’amuser, il avait toujours eu du mal à contrôler son ironie. Avec ses adjoints… Il se ressaisit pour repasser dans sa mémoire les divers éléments de l’enquête.

Il se souvint de leurs éclats de rire quand la tension d’une affaire était trop lourde le rire les soulageait avant de replonger.

Rire en public est obscène, vivant donc suspect.

Avoir un autre ami, un nouveau partenaire ?

Non, il était trop tard, trop tard. Qui sait ce qui lui arriverait. Il ne trouverait de réponse que dans le face à face avec lui-même.

Le Horla l’observe dans les miroirs, prêt à l’y attirer pour prendre sa place. Il va l’affronter, aimer la souffrance, violer la folie et dépasser la mort, ou l'inverse !



Des ombres lui font signe, le gué est sûr.

Piège !

Et si…

Non, non, pas cette fois !

Les vagues gonflent, l’océan se forme, le vent se lève. L’esprit est poussé vers le large où les abysses promettent la paix. Il en reviendra, il a sa lumière.

La vie, dit-on, vient de la mer, en fait elle ne fit qu’y transiter le temps d’un baptême, elle vient de plus loin, de l’Aube.

Le monstre ne peut la vaincre. Son enfance est détruite, aucune de ses victimes n’aura son visage, il ne prendra aucun des leurs. Les sacrifices humaines ne donnent rien, même si le sacrifié est l’officiant.

Les murs ne protègent que de l’extérieur !



Il vit une lumière, par elle il réalisa la présence des parois, le piège se refermant. Le refuser fut le… Non, le refuser EST le plus difficile !

Accepter de voir, renoncer au cocon, sortir. Les premiers pas de l’âme sont plus émouvants que ceux du corps.

Un refus de plus, de trop… Elle dira oui, elle est encore là.

Le vent se lève, il a faim de soi, les filins de peur ne le retiendront pas, l’espoir gonfle les voiles, le cri est un océan qui n’est pas infini !

                                        * * *

La peur rode mais la vie a des obligations difficile à différer, les courses, le travail, le chien a sortir, les enfants à conduire à l’école.

Le jour apaise les craintes comme si le danger ne venait que de l'ombre, comme s’il ressemblait à ces vampires dont on dit qu’ils ne peuvent sortir qu’au coucher du soleil. Ce qui est faux, la preuve…

Dans l’obscurité les terreurs puisent leur crédibilité, la lucidité s’estompe, le visage de l’esprit s’impose, les ténèbres pour miroir.

Le loup porte un costume trois pièces, ou un jean décoloré, comment s’y retrouver si les règles ne sont plus respectées, si les rôles se superposent, comment ? A qui se fier. L’âme se cache d’elle-même, de sa vérité, elle ne la supporterait pas.

Des murs ? Une forteresse grandissant de jour en jour, prison trop solide, bientôt ne restera de place que celle pour un esprit allongé dont la respiration sera impossible. Le silence, l’immobilité, l’univers sera de pierre, une source, apparente, de sécurité.

Des familles pleurent, d’autres ruissellent de joie ; comme si cela avait le moindre lien avec un assassin. Que change-t-il à l’ordre du monde ? Il focalise une attention qui l’attendait, qui l’espérait, le voulait pour ne plus regarder vers elle-même !

Partager cet article
Repost0
1 juin 2009 1 01 /06 /juin /2009 05:50

 Survivre au Mal - 7

                                                  8


Les communiqués de la préfecture sont sibyllins, difficile de masquer le vide d’une enquête débutant. Comment en un jour mettre la main sur un tueur intelligent et pervers ? La routine est utile, vérification des individus fichés, des malades mentaux plus ou moins en liberté, mais les pires savent se dissimuler et si, parfois, un pensionnaire en récréation d’asile se fait prendre d’autres ne sont jamais repérés et mourront en emportant leurs secrets et leur tableau de chasses.

Il ne croyait pas à une piste trop évidente. Certes la folie progresse, elle apparaît tôt mais ses premières manifestations ne sont pas des homicides, seulement des comportements particuliers que les parents voient rarement, trop de changements interviendraient. Là, proche, l’étrange et le monstrueux se font concurrence et nous évitons le miroir qu’ils tiennent devant nous.

Tuer des mouches ? Empoisonner les chiens du voisinage, casser ses jouets ? Un enfant agissant ainsi ne devient pas, forcément, un tueur en série. La démence dangereuse laisse une place à la lucidité afin de savoir comment dominer discrètement afin d’agir plus violemment ensuite. Elle astique ses serres derrière une apparence trop sage. Oui, méfions-nous d’abord des enfants trop tranquilles jouant dans leur coin sans s’intéresser à leurs camarades, lesquels se tiennent, instinctivement, à l’écart. La folie leur tend une main secourable et leur offre les paysages infinis du délire.

Tuer c’est aussi couper son propre cordon ombilical, trancher la corde qui fait lien avec le réel et autrui, une corde qui serre, retient l’esprit voyant s’ouvrir devant lui un espace infini prometteur de plaisirs et de satisfactions prodigieuses. Il lui suffit de céder à la tentation. Qui peut séjourner dans le désert et continuer à dire non ?

Qui ?

Diatek sait qu’il pourrait n’être que le second !

Un criminel de ce genre revient rarement sur les lieux de son crime, il l'emporte et le revit jusqu'à ce que sa faim se réveille.

Les regards les plus avides sont ceux des innocents. Mais… N’être pas coupable est-ce être innocent ?

L’expression contrite dissimule le regard souriant, la mine apitoyée étouffe les murmures déçus de ne pas en voir plus, de ne pas avoir été là alors que ceux qui ont ce regret ne l’auraient pas supportés.

Il manque de criminels tant le nombre de victimes "méritantes" est élevé !

Témoignages à compiler, affirmations à vérifier, recoupements à effectuer. Un troisième crime différent, la victime est sortie d'elle-même sans se douter de ce qui l’attendait. Pas de lutte, tout fut rapide, une main frappe un enfant content d’échapper à la protection parentale, si pesante, si utile. Il n’a pas compris. Comment dans une société refusant la mort, injectant du formol mental pour faire croire à l’éternelle jeunesse, à l’éternité bientôt accessible. Comme si cette dernière n’était pas la pire malédiction.

L’assassin joua finement, se tenant sur les dalles de pierre formant chemin pour ne laisser aucune trace derrière lui.

Outre le sang figé du cadavre est évident celui, froid, du tueur, qui appela sa victime alors que ses parents étaient proches. Le rendez-vous avait été pris avant, ainsi l’enfant n’avait-il pas été étonné.

La petite rue est si tranquille. Peu de fenêtres en hauteur, encore que l’hiver fasse qu’elles sont fermées pour se protéger d’un froid que le garçonnet brava pour s’approcher d’un autre plus profond et définitif.

La première victime avait été choisie, le forfait mûrement réfléchi, une fois commis il interdisait tout recul. Le deuxième enfant s’était présenté de lui-même, manipulé par les circonstances. Le pli était pris, la folie meurtrière ne pouvait plus se satisfaire d’images, se nourrir d’attente, elle voulait être alimentée encore d’où la nécessité de puiser dans l’environnement une proie facile. Ce troisième cadavre sentait le coup de fringale à contenter sur-le-champ. La mémoire avait été ouverte au chapitre des connaissances, l’obsession était impérieuse. Tuer est un soulagement temporaire.

Diatek le comprit rapidement, c’était écrit en lettres invisibles sur les feuillets de l’évidence. La silhouette du tueur ne lui apparaissait pas, pas encore. Il redoutait de s’en approcher pour mieux la distinguer, pour laisser passer en lui les flots de peur expliquant ces assassinats.

Malheureusement il ne put couper à la conférence de presse, trois cadavres sont une pâture attirant trop de bêtes à micro, à caméra, à stylos. " Nous faisons le maximum… Tout ce qui est en notre pouvoir… Moyens considérables en hommes, en matériel… Nous… "

- Et vous commissaire ? Vous semblez jeune pour mener la traque ?

- Je semble seulement. La valeur n’attend pas le nombre des années vous le savez. L’âge ne porte pas en soi les qualifications requises. Je connais mon métier. Tous nous souhaitons conclure rapidement, cela implique une discrétion déplaisante mais nécessaire.

- Vous semblez faire peu de cas de vos obligations médiatiques ?

- Merdiatique.

- Grâce à nous vous deviendrez une vedette.

- Je laisse ce désir aux Mères Denis de l’actualité.

- Passer de l’ombre à la lumière vous éblouit.

- Celle que vous offrez est artificielle.

- Les médias font partie du paysage maintenant.

- Comme les tours de béton et les décharges publiques, oui.

- Vous ne souhaitez pas entretenir de bons rapports avec nous ?

- Pour ce qui est des rapports je les préfère autres, quand à ce pluriel de majesté à vous de savoir s’il est justifié ou révélateur. Les obligations périphériques à mon métier sont de pénibles contraintes. Je suis policier, rien de plus.

- Et nous journalistes, rien de moins.

- Et pour cause !

- Vous avez besoin de nous.

- Je ne parle pas de mes besoins en public.

- Ce n’est pas ainsi que vous obtiendrez notre collaboration.

- Qui dit que je la recherche ?

- Vous préférez travailler dans l’ombre et le secret.

- Je préfère la méthode qui me convient, du moment qu’elle donne des résultats c’est suffisant pour moi. D’autres dans la profession sont heureux de se montrer, de faire parler d’eux, maintenant vous faites partie du décor, vous arrivez plus vite que les mouches. A la différence qu’elles sont utiles. Aucune de vos questions ne concerne l’enquête, quand celle-ci aura donné des résultats nous aurons peut-être l’occasion de nous revoir en attendant vous pourrez dire du mal de moi ça n’a aucune importance.

Tranquillement le policier s’éloigna, laissant derrière lui micros et caméras. Kah l’applaudit silencieusement, heureux de n’avoir pas eu à affronter la horde des charognards.

- Pas mal, vous avez l’habitude de vous exprimer ainsi ?

- Je vais me faire taper sur les doigts. Je n’attends pas d’articles élogieux, quand au contraire ça m’indiffère complètement. A mon avis il n’en diront pas lourd, ils garderont ça pour une prochaine fois, je leur souhaite de la patience. Facile de tenir tête à ceux qui ont de grandes gueules mais de petites dents.

- Jolie formule.

- Oui, j’en suis content.

- Être populaire vous paraît inutile ?

- Populaire est un mot que j'associe à soupe… Un journal n’est pas le meilleur papier pour s’essuyer ! Je ne vise pas de siège électoral, de poste important, je n’ai pas à ménager de susceptibilités, de fausses vedettes. Se mettre à genoux n’est pas la solution, au contraire

- La diplomatie est une qualité.

- Je sais en faire preuve quand les circonstances l’exigent.

- Ce n’était pas le cas ?

- Oh non ! L’obligation de paraître me dérange. Si le tueur est arrêté rapidement mes déclarations passeront et ils m’emmerderont moins dans le futur. Média et médiocre ont une même origine étymologique. Vous aimeriez devenir une vedette ?

- Vedette est un grand mot, je me souviens de célèbres commissaires venant à la télé expliquer leur travail, c'était intéressant.

- Tout dépend de qui maîtrise le jeu. Ne vous laissais pas griser. Quand nous aurons solutionné cette enquête vous serez au premier plan, moi je suis un sauvage.

- Vous ne redoutez pas qu’un journaliste soit intéressé par votre personnalité, qu’il soit tenté d’en savoir davantage sur vous ?

- Et alors ?

- Vous êtes un homme étonnant, un policier… Comment dire ? Qui eut une carrière discrète, sinon obscure.

- De quoi intéresser des fouille-merde…Pourquoi se faire du souci par avance ? Affrontons les problèmes quand ils sont devant nous. S’il faut prendre des cours de communication pour faire son métier...

- Si nous changions de sujet.

- N’oublions pas que nous avons un tueur quelque part, actif, féroce et efficace. Chaque crime le rapproche de nous, pas l'inverse ; nous le poursuivons mais lui s’efforce, avec des moyens personnels et dramatiques, de briser la cage de silence qui l’entoure.

-C’est étrange de fonctionner ainsi, par impression.

-N’est-ce pas ? Le flair est-ce un mélange d'expérience et d’intuition, la capacité à laisser son cerveau fonctionner sans le contraindre par d’abusives règles. Est-ce si étrange de se passer de chaînes ?

-C’est inhabituel.

-Le mot est bon, inhabituel. Anormal diraient certains qui prennent la routine pour un obligation alors que c’est seulement un tranquillisant.

- Il se peut que je me trompe mais il me semble que vous prenez très à cœur cette enquête. Qu’elle a une signification personnelle ?

- Je l’utilise ainsi, symboliquement bien sûr. Chaque événement évoque en nous des échos utilisables, pose devant nous un miroir dans lequel découvrir une image nouvelle, et inquiétante, de nous, est possible. Pourquoi un crime d’enfant nous touche-t-il, ou un meurtre de vieillard ? pourquoi sommes-nous indifférents aux milliers de décès quotidiens ? La mort est présente, active, nous faisons notre possible pour ne pas le comprendre, pour ne pas l’admettre. Nous la voyons frappant un enfant, nous baissons les paupières devant les ravages de sa faux.. Combien de morts seraient évitées avec de petites modifications de comportements. L’époque trouve là une expression révélatrice de ce qu’elle est, de ce qu’elle veut ou vaut. Pourquoi la folie meurtrière tient-elle la vedette alors qu’elle n'est pas nouvelle ? Que nous dit-elle d’une nature humaine refusée et qui a trouvé cet alibi pour se libérer ? Quelle soif étanche-t-elle ? La société nous pose de plus en plus de poids sur le dos, nous sommes partagés entre la satisfaction de nous courber, d’être comprimé, encadré, dirigé et la volonté ancrée en nous de nous redresser pour choisir un chemin plus satisfaisant. La vie ne se satisfait pas de lâcheté et s’exprime à sa façon. Nous habitons des hôtels particuliers ou des HLM mais tous nous oublions sur quoi ils sont érigés.

- Voilà qui captiverait les journalistes, les vrais, les curieux.

- Nous évoquerons le sujet plus tard. Nous avons tant d’informations à collecter, ces crimes sont des lignes qui se recoupent. Il suffit de si peu pour découvrir une piste et attraper l’assassin. Un indice nous crevant les yeux sans que nous comprenions son importance. L’intuition est utile dans ces circonstances, laisser en nous les pensées s’interpénétrer et espérer qu’une illumination viendra éclairer nos doutes et solutionner nos interrogations.

- Un quatrième aurait d’importantes répercussions. La ville est en état d’alerte, tout peut arriver maintenant.

- Une étincelle mettrait le feu aux poudres. Rien de tel que de bons dictions puisés dans le savoir populaire pour résumer une situation.

- Une étincelle de démence embrasant une poudrière de folie.

- Une formule digne de moi !

- Je le prends comme un compliment commissaire.

- C’en est un. La folie… Ce genre de crimes est-il inutile ? Nous baignons dans une lumière artificielle, nous immergeons dans une société virtuelle, quel moyen pourrait employer la nature pour secouer notre assoupissement ? Elle est attirante, présentée comme une porte vers la liberté. Une vitrine plutôt ! Je comprends qu’il soit fascinant de disposer du pouvoir de vie et de mort, mais c’est une illusion, tuer n’est pas cela, au contraire. Une liberté sur écran, pour spectateurs assoiffés d’hallucinations ! Comme l’univers, supportable par la télévision, redoutable, seul, la nuit, par l’évidence mise sous notre nez. Mais cela nous éloigne de notre affaire.

- Vous revenez dans votre ville pour vous poser ces questions et voilà que ce sont elles qui vous sautent sur le dos.

- Elles me guettaient.

- Vous espéraient.

- Comme si leurs réponses devaient me conduire au tueur.

- Symboliquement, par une libération intellectuelle.

- C’est tout à fait ça, vous étiez bon en psycho ?

- Pas mauvais, et vous ?

- Aussi.

- Mais vous avez raison, nous dérivons.

- C’est mieux que de délirer. Le problème en la circonstance est que nous ne pouvons déguiser un policier en nourrisson.

- Le tueur ne se laisserait pas prendre. Il tourne à plein régime et ne tiendra pas longtemps. Les ténèbres l’envahissent, le dissolvent.

- La liberté se masque d’ombre.

- C’est magique de parler si bien.

- C’est facile, tentateur pour aligner des phrases semblant sensées mais ne voulant rien dire. C’est le moyen de critiquer et de se placer au-dessus des autres, j’y cède souvent alors que je ne suis pas si différent que je le voudrais. Si nous pataugeons dans la merde c’est qu’il y a partout des trous du cul la produisant et je dois à la vérité de dire que j’en fais partie.

- Il y a une bonde quelque part pour l’évacuer ?

- Espérons-le, mais qui plongera pour la chercher.

- Un fou.

- Oui, un…

                                        * * *

Cette vitre est une transparence trompeuse, elle fait de cette prison sans barreaux au fond de laquelle croupit une âme qui sait que pleurer ne résoudrait rien, qui ne veut plus chercher, ne peut plus comprendre et en souffre encore davantage.

Fini les larmes, les cris, seul subsiste le silence renvoyant les échos d’un vide qui ne mérite pas ce titre alors que rien ne pourrait le combler. Il n’y a plus de mots, de bouche pour en prononcer, de main pour se tendre loin de ces murs devenus rassurants maintenant, plus loin, au-delà, ce pourrait être pire que le pire.

Le corps bouge, se manifeste, programmation sociale, rien de plus. Ne peuvent en voir l’aspect véritable que des spectres gorgés de terreur, damnés, ils ne sont pas aussi nombreux qu’on croit !

Des bancs de brume veulent échouer l’esprit, se retirant ensuite afin qu’il constate sa réalité, que son désespoir grandisse de se sentir proche du salut sans pouvoir l’atteindre.

L’agonie devient parfois promesse de paix.

Les mains ne savent plus, la bouche a oublié sa nature, le regard perçoit un amas de formes en mouvements. L’appartement est joli, les parois couverts d’un beau papier. Mais qu’y a-t-il derrière? Quelles monstruosités coulant des parois pour submerger le monde ? Quelles horreurs errent-elles dans les rues et les chemins en riant d’une satisfaction diabolique ?

Les doigts perçoivent la dureté des murs, la joue demande un froid qui ne peut, encore, s’imposer. Le rempart n’est pas achevé, il est nécessaire d’en boucher chaque interstice, qu’il soit opaque.

Les voix du dehors sont un piège, un tas de mensonges, des mâchoires en quête d’une proie tendre et délicate, des crocs, des crocs… Bleus.

 

Partager cet article
Repost0
29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 05:54
Survivre au Mal - 6 
 

                                                   7
 

Il s’est nourri d’émotions violentes, de plaisirs pervers. Fuyant sans bouger, hamster dans une invincible cage, usant ses pattes sur une roue de vie pour moudre un temps qui n’existait plus.

Quand il s’arrêta un grain de sable tomba dans le sablier.

La nuit est lente, l’obscurité s'emplit d’anciens murmures tissés par mille derniers souffles. Il écoute les voix émanant de mondes qui ne devraient pas exister, distingue les corps qui jamais ne grandiront et qui sont là, près de lui, bûchers d’enfances détruites prêtes à se sacrifier, à s’offrir pour, par lui, goûter la vie et mériter le néant.

Une âme massacrée peut encore trouver le repos. Et la sienne ?

Il ne lutte pas, encaisse les chocs, le séisme mental venu du fond des âges et qui l’atteint par les failles de son passé.

Mais qui survit vraiment ?

Il sourit des mots qui viennent, des phrases naissantes. "Tu fais trop littéraire…" Voilà ce qu’elle lui dirait, elle, si proche, une vie que la main peut saisir, que le cœur peut mériter quand l’âme bat le rappel de ses souffrances comme d’autant de raisons de ne pas bouger.

L’amour ? Un corps sur un autre, sur du vide, le néant qui s’amuse.

S’il y croyait encore…

Deux âmes sur un chemin, similaires. La souffrance appose son sceau sur les esprits et leur permet de s'identifier. Dommage qu’ils s'évitent. Voir son semblable masqué peut amener à lâcher le sien.



Un bruit sourd, des fragments sur le sol, un courant d’air sur le visage, le désir à nouveau de respirer, l’affolement en constatant que c’est possible. Peur ?

Tuer est impérieux, tuer l’autre faute de se trouver. Satisfaction qui, assouvie, disparaît. Un peu de temps gagné à cultiver un faux espoir.

La mort est le salut, ils le savent et l'appellent en fuyant. L’amie aux bras si doux, si rassurants. S’y perdre, ne laisser de soi qu’une flaque de néant sur laquelle les autres marcheront sans la remarquer.

Il sait, il sent. Ses… Leurs sensations, leur similitude. Le monstre est proche et l’aide plus qu’aucun ami ne l’aurait pu.



Derrière les volets clos chacun sait ce qu’il faudrait faire. Les mesures sont faciles à prendre afin de rétablir la sécurité, rassurer les braves gens. Les enfants sont surveillés, un monstre peut surgir de la nuit, frapper, tuer, laisser en s’en allant le corps brisé d’un enfant.

Si c’est chez le voisin…

La nuit est glacée, le ciel trop clair laisse fuir la faible chaleur de la veille. Le tueur est-il dans cette famille heureuse ? Est-ce cet homme seul que ses voisins ne remarquèrent jamais, avant aujourd’hui ?

Discret rime avec suspect. Coïncidence ?

Avec le temps un peut être ressemble à une preuve.

Des couples s’agitent pour oublier un danger qui ne les menace pas. Qui peut s’affirmer à l’abri derrière les statistiques ? Le calme est excitant pour qui vampirise la douleur des autres.

Diatek tourne la tête, sur la chaise nounours le regarde, un cadeau avec son nœud papillon rouge de travers. Il a passé l’âge de lui parler et pourtant il a envie d’un geste, de le prendre, de se réchauffer au froid d’une peluche.

Jouet ?

Tous ne sont que cela ! Joujoux sans valeur qu’un caprice peut briser. Faible risque, pour laisser de côté celui d’affronter sa conscience. Le vide se remplit à coups de désespoir, de larmes, d’instants de rage.

Il l’aurait voulu…

La loi est peu distrayante, le permis est moins stimulant et libérateur que l'interdit, maintenant abattre un tueur d’enfants lui serait difficile, même si cet assassin eut le bon goût de n’occire que des mâles. C’est masculin, c’est moins que rien se plait-il à dire.

En espérant que ce soit vrai !

Il ne sème pas, sinon de petits lambeaux d’être dans l’idée à peine reconnue de pouvoir reculer pour se retrouver.

Victime n’est pas une qualité ! Il n’existe pas de contes créditant la douleur que le titulaire pourrait utiliser. La souffrance passée ne se dépense pas sur les autres.

L’enfant mort ne sent plus rien, lui !

Une famille s'ignore amputer, la mort prit le visage convenable.

La peur a faim.

Diatek ne se voit pas le tuer, sa haine est éteinte, le dégoût de soi qui rejaillissait sur les autres. Pourtant un monstre est plus rassurant mort qu’emprisonné avec lequel on se trouve des ressemblances.

Dire qu’il préférait le couteau... Le contact humain.

La fatigue semble amicale, le danger est patient, son sourire écarlate difficile à écarter.

Des ombres attendent derrière la porte, espérant leur fin proche. l'enfant a peur mais joue avec elles quand il n’a personne d’autre.



Le silence était total, il avait oublié qu’il avait oublié, dormant avec la radio pour s’éveiller loin de son désert, ridicule ! L’homme intelligent n’est jamais seul, dit-on, mais être homme c’est être solitaire. Alors ?

Les larmes ne submergèrent pas les souvenirs, son supplice l'ancra dans le réel. Sa recherche de cousins d’âme était quête de la sienne.

Un couteau, manche bleu, tuer, tuer… Tu es…

Rien murmure l'ombre, un mirage pour toi que les murs contiennent.

La lumière fait mal en réveillant, la part de soi que l’on refuse en est plus puissante. Nier sa culpabilité ne l’altère pas. Se vouloir étranger n’atteint pas la réalité.

Enfant, des monstres dansant autour de son lit, il s’endormait, certain d’être protégé.

De qui ?

" Tu es le Diable ! " Lui dit-on un jour. Il aurait voulu n’être que cela !

                                        * * *

Difficile de définir le bonheur, il se fait remarquer plus par son absence que par sa présence, par le bruit qu’il fait en partant.

Une mère se lève, un jour normal, aucune raison qu’un événement vienne désorganiser la routine familiale. Les enfants à réveiller, le petit déjeuner, bref les activités ménagères qui lui sont dévolues.

Si l’imprévisible était attendu il perdrait tout intérêt. Le temps d’un regard tout est changé, un faux pas, un moment d’inattention, une autre direction prise. L’erreur se concrétise, on veut reculer… Trop tard ! La nouvelle réalité s’impose sans même y prendre plaisir.

De loin c'est parfait. Couleurs vives, formes douces, paysage ouvert. De près les teintes sont criardes, les formes fragiles guettent le souffle destructeur. Le sol est nu. Les autres continuent pourtant, leur chemin est-il différent où ne voient-il pas ce qui se passe ?

Chacun des enfants a sa chambre, au rez-de-chaussée une grande pièce fut divisée afin que chacun se sente chez soi, responsable de son espace. Une fenêtre étroite donne sur un petit espace vert, plus loin un muret protège de l’extérieur. Une rue tranquille. Quelques arbres luttent contre le froid, le printemps leur fera du bien.

Pour eux il reviendra.

L’habitude la guide, d’abord le plus jeune, c’est lui qui met le plus de temps à se lever, ça lui passera dans quelques années…

Une seconde donne l’idée de l’éternité. Le temps d’ouvrir une porte, que naissent sur les lèvres quelques mots qui se perdent dans un murmure d’incompréhension.

D’un coup le silence est trop lourd, la ville trop lointaine, ce lieu si tiède exsude un froid angoissant, insupportable.

Allons ! Elle se rassure, le garnement a voulu faire une farce, c’est tout lui ça, il s’est réveillé tôt et en profite pour se faire remarquer, il aura droit à une sévère remontrance sitôt qu’elle l’aura trouvé.

L’autre chambre, le grand, sûr que c’est un coup mis au point entre eux, elle va attendre, faire semblant de chercher, ils croiront avoir réussi leur affaire.

Un doute pourtant, et s’il n’était pas là ? Impossible, elle les connaît ces petits diables, toujours prêt à la faire bisquer, sans méchanceté, par goût de blaguer, pour mettre de l’animation dans la maison.

Le pire n’arrive qu’aux autres c’est connu, pourtant une crainte subtile s’insinue en elle. Elle a peur pour rien, combien de fois imagina-t-elle le pire alors que l’un des deux s’était attardé chez un petit camarade ? Jamais elle ne vit ses craintes confirmées, jamais…

La lumière du couloir éclaire l’autre chambre. Le lit… Une seule forme y est étendue.

Le temps d’une profonde inspiration, quelques pas… Personne sous le lit, derrière le petit bureau, force lui est de se rendre à l’évidence, il n’y a qu’un seul enfant ici.

La maison est grande. Il s’est planqué ailleurs, ce petit malin a prévu qu’elle irait voir chez son frère, il a trouvé une autre cachette.

La cuisine… Non ! le salon, derrière le divan ou le grand fauteuil, c’est sur qu’il se trouve… ailleurs ! Les toilettes, la salle de bain, derrière le rideau de douche, ce serait bien de lui d’avoir choisi cet endroit.

Mais non, tout est vide, froid, désert.

Son mari qu’elle est allé trouver la rassure, il s’est mieux caché qu’elle le pense, il a pu changer de cachette en cours de route, ainsi tout s’explique, inutile de se faire du souci.

Dans sa propre chambre, derrière la porte, sous le lit… Il n’y a personne, la porte d’entrée est fermée de l’intérieur, la fenêtre de la chambre aussi et… Non ! la fenêtre est juste tirée de l’extérieur, en la poussant elle s’ouvrirait, de même les persiennes sont habilement coincées pour donner l’impression d’être normalement close.

Si son épouse ne le trouve pas dans la maison c’est sans doute qu’il ne s’y trouve pas. Il pousse les persiennes, l’air glacé le fait à peine frissonner tant l’inquiétude le coupe des perceptions extérieures.

Se penchant il cherche des traces.

Il recule, titube en fermant les yeux, sa femme se précipite, le bouscule, à son tour elle regarde vers le sol…



La réaction de chacun trahit sa nature. Pour l’un c’est l’envie d’aider, pour l’autre la méfiance, chez un troisième la curiosité domine.

Le hurlement traverse la rue, frappe aux fenêtres, réveille les esprits. Dans le tas un pense à téléphoner à la police, on ne sait jamais.

La douleur trop violente s’anesthésie, au début, la souffrance est niée, la réalité recule, le passé n’a plus de sens, demain c'est quoi ?



Le cadavre du cadet de ce couple vient d’être emporté quand il tente de répondre aux questions, sa femme est alitée dans leur chambre, aidée par une injection pour trouver un calme précédant une tempête intérieure qui ne laissera rien intacte derrière elle.

Les caméras ont pris place autour de la maison, la réduction de leur taille les rend aisément transportables, un homme seul peut à la fois filmer, s’occuper du son, du commentaire et de l’investigation, sommaire, nécessaire pour le préparer. Quelques mots, le papier ne manque pas, en rouleaux !

                                        * * *

La mort est tabou de près, en vrai, en proche. Chez le voisin elle est spectacle, réjouissance, plaisir malsain mais plaisir avant tout quand elle passe dans la boite à horheures fixes.

Elle est belle et monstrueuse, la différence est ténue. Fascinante au loin elle terrifie à mesure qu'elle s'approche. Elle s’empara d’un enfant en giflant celui qui se voit hors de sa portée, croyant qu’existe un domaine où sa loi ne peut s’imposer.

Il est des esprits (?) se nourrissant de charognes pour oublier qu’ils sont corrompus, rongés, boursouflés par les gaz de la décomposition.



La camarde s’ennuie à moissonner ces épis si petits, si friables, rares sont ceux qu’elle met de côté comme promesses d’une récolte magnifique à venir. Ces graines éclatent entre ses doigts en libérant d’infects miasmes. Et pourtant la masse pourrissante des vivants recèle ici ou là, oui, là ! Quelques perles dignes de poursuivre leur chemin, de faire progresser la vie, de lui préparer un prochain festin.

Des mots murmurés, la laideur attire plus que la beauté, elle fait moins peur, sans doute parce que proche de chacun. Ce pauvre petit, innocente victime, un ange maintenant...

Une promesse d’avenir soufflée par la folie.

Promesses… Hitler ou Pasteur ?

La mort ne se frotte pas les mains, elle attend de se les laver !

                                        * * *

Des spectateurs défilent, vampires aux dents qui, pour être factices, n’en sont pas moins pointues. Le malheur des autres fait plaisir à voir. Pour les curieux habitant loin nul doute que l’office de tourisme, une fois l’affaire réglée, ne mette en place un circuit suivant les crimes, avec photos des victimes dans la pierre. À notre époque il faut faire flèche de tout bois, y compris celui des cercueils, s’ils sont petits il y en a moins, cela requière une plus grande efficacité.

La mort d’un enfant permet toutes les exégèses, ses parents le diront parfait, intelligent, riche d’avenir. Il sera sage, disponible. Pourtant combien de monstres eurent-ils la tête tranchée avant de pouvoir mordre, combien de dictateurs ne purent-ils s’exprimer, rendus muets par la pointe d’un couteau. Le drame a une saveur particulière quand il libère ses effluves de douleurs, d’envies sombres et refoulées, ses pulsions maléfiques que VOUS n’assumez pas. Rassurez-VOUS, tout près, un monstre œuvre pour NOUS.

Des gens ont vus, entendus, des ombres furent aperçues, chacun porte en soi un soupçon dont il entend faire profiter la société, sans vouloir faire de tort à quiconque, bien entendu, ce qui est rapporté l’est au conditionnel, avec un sourire à peine est-ce qu'y sait.

La tension circulant dans les rues est perceptible, nul besoin d’avoir mauvais esprit pour deviner craintes et interrogations, maintenant chacun sait qu’il ne faut plus se fier à n’importe qui, qu’un sourire amical peut dissimuler des crocs avides, qu’une main offrant un bonbon peut le remplacer par un couteau, le pire est toujours proche, il prend n’importe quel visage, y compris le sien.

Voire… le MIEN !

La peur est agréable à petite dose, à distance, un danger lointain fait frémir, de plaisir, proche il devient angoissant. Que fait la police ?

Les caméras circulent, la ville sera montrée, utilisée, les endroits bizarres dévoilés, les particularismes soulignés. La monde a les yeux braqués sur cette cité moyenne et tranquille.

Diatek ressent cela, son expérience lui fait remarquer les détails par lesquels le trouble apparaît à la surface de comportements se voulant habituels mais révélant les efforts faits pour tricher. Lui qui espérait le calme pour son retour, qui voulait réfléchir dans un quotidien apaisant et routinier n’est pas déçu. Rien que pour cela il devrait en vouloir à cet assassin qui l’a attendu avant de se laisser aller à ses pulsions.

Il fut souvent confronté à la réalité du pire, à son appétit incoercible, de se remplir de la souffrance de l’autre, pour lutter contre la sienne.

La sienne, lasse hyène ?

Il regardait les cadavres, observait les blessures, supputait sur l’arme utilisée, la nature du criminel. Il y a là, près de chacun, des possibles auxquels peu osent penser.

La route normale est éclairée, au milieu, les bords sont obscurs, le sol est inégal, qui se penche dans l’ombre devine des formes curieuses, des apparences trompeuses, forcément, cela ne peut exister, ne peut être permis, on le saurait. Mais non, il est facile de refuser de voir, de s’interdire de comprendre.

Son plus grand regret est la célébrité qu’il voulait fuir et qui l’attendait chez lui. Il connaît les journalistes, leur culte du scoop, du n’importe quoi tenant le curieux en haleine. Une tache de sang, de l’inédit susceptible d’évoquer des mystères inquiétants. Est-ce le goût affirmé des téléspectateurs ou le leur ?

On ne peut pas avoir le leurre et l’argent du leurre !

Avec lui ils ne seraient pas déçus, sa carrière est une ombre gorgée d'atrocités, des moments à garder loin de la place publique.

Qui les supporterait ?

Partager cet article
Repost0
25 mai 2009 1 25 /05 /mai /2009 05:18
Survivre au mal - 5 
 

                                                   6


Deux puits plongeant au cœur de l’enfer. La proie ne comprends pas, face au danger elle sait que faire mais ses muscles refusent d’agir, sa volonté est prise dans d’invisibles liens lui interdisant de se mouvoir. Le regard était amical, il a changé si vite, pourquoi ce couteau, et le froid ? Il est temps de rentrer, c’était idiot de sortir, se coucher, être au chaud, au chaud… Elle n’a qu’un soupire d’étonnement quand la lame pénètre son ventre, son visage exprime la surprise plus que la douleur, ses yeux écarquillés regardent la lame rouge de sang alors que l’ombre devient pourpre. Tout s’éloigne comme dans un rêve.

Un songe… Ce n’est que cela, un mauvais rêve, elle va se réveiller, elle allumera, dormira avec la lumière, on ne lui dira rien, ce n’était pas de sa faute. L’air lui manque, ses oreilles bourdonnent, le froid a succédé à la chaleur. Elle dort puisqu’elle ne sent plus son corps, qu’elle ne sent plus rien, qu’elle n’est plus rien, qu’autour… Mais si, il y a ce regard sans âme mais brûlants de désespoir. Une main venant du vide, un éclair, une lame pénétrant à nouveau, affamée…

Quand le pas s’éloigne elle n’entend plus rien, pas même le bruit de son sang coulant sur un sol ravi.

- Commissaire ?

Diatek hoche la tête, ferme les yeux, fait effort pour reprendre pied dans sa… Non ! Leur réalité. Elle ne peut être ainsi, elle ne peut…

- Heureux de vous retrouver parmi nous.

- Quand le train arrive pas question de refuser d'y monter, qui sait s’il reviendra. J’ai la sensation qu’un nouveau crime vient d’être commis.

- J’ai l’impression d’être dans une série télévisée.

Diatek se tut, il possédait son don avant que le petit écran ne s’en empare sans supposer qu’il puisse appartenir à la réalité.

- Avoir le pouvoir de ces enquêteurs rendrait la vie difficile.

Rendraient…

- Des précisions ?

- Une lame pointue et tranchante comme un rasoir.

- Nous allons assister à une curée médiatique. Sans parler du drame que cela serait. J’emploie le conditionnel pour conjurer le sort mais la logique appelle un crime supplémentaire, impossible de surveiller une ville entière face à un prédateur d'enfants.

Diatek opine sans livrer le fond de sa pensée. Il connaissait l’aura l’entourant et la savait si loin de la réalité qu’il convenait de ne pas en rajouter devant son directeur et son collègue. Il porta son regard vers la fenêtre ne voyant au dehors qu’une obscurité tentatrice, gorgée de pulsions troubles redoutant la lumière et heureux de ténèbres propices à l’exaspération des désirs les plus inquiétants.

- Messieurs espérerons que l’aube ne nous apportera pas un cadavre supplémentaire. Cette affaire semble ancienne alors qu'elle n'a qu'un jour. Je suis heureux de votre entente, le travail d’équipe est important et… - Le directeur ne finit pas sa phrase, inutile de faire allusion aux anciens collègues de Diatek - Je vous souhaite une bonne nuit, sachant que pour vous comme pour moi elle sera courte.

Les deux commissaires sortirent sur un salut à leur supérieur. La lourde porte matelassée refermée dans leur dos ils se regardèrent.

- Puis-je vous livrer le fond de ma pensée commissaire ?

- Je vous en prie Kah, la connaître m'intéresse.

- Vous confirmez votre réputation. Tant de bruits courent sur vous.

- Des bruits loin de la réalité j’en suis sûr.

- Je veux bien le croire. Il n’empêche que vos états de services sont flous alors que dans notre milieu tout se sait facilement, ce n’est pas à vous que je l’apprendrai. Il m’a semblé que notre directeur allait faire allusion à vos anciens partenaires mais qu’il s’est retenu. Ce n’est pas ce qui se sait qui est troublant, c’est le fait qu’il y ait tant de choses cachées qui laisse parler l’imagination.

- Qui sait si un jour nous n’aurons pas l’occasion d’en parler plus précisément. Vous pensez que j’élude le sujet ? Vous avez raison. Laissez la bride sur le cou de votre imaginaire, il vous aidera, ne vous fiez pourtant pas à ce qu’il pourrait vous dire. Nous sommes tentés de céder à l’envie de sortir du quotidien tant celui que nous côtoyons est pénible. C’est parfois justifié, parfois seulement.

- Je comprends ce que vous dites, je garde mes questions de côté en attendant l’occasion de les laisser prendre l’air.

Dans les yeux d’un enfant se reflétait l'ombre d’une nuit souriant de la peur qu’elle suscitait et des cauchemars qu’elle ferait naître.

L’aube ne les tuerait pas tous !

                                        * * *

Dureté, froideur, La pierre vit sans chaleur ni âme.

Les mains tâtonnent, aucun moyen d’échapper à une prison illuminée par de rares éclairs. Pouvoir douter serait agréable, un éclair de plus et le doute se fragilise, l’espoir menace de se désintégrer.

Les murs, d’un agglomérat de chairs mortes et d’envies minéralisées, sont invisibles.

Qu’est-ce que cela, et moi, qui suis-je ?

Si le froid restait à l’extérieur…

Il y a une raison, impossible d’entrer en un lieu en passant au travers des remparts et… Mais il y a une autre explication, le temps érigea les parois, la peur, la souffrance imposèrent un abri devenu geôle.

Les images du monde sont floues, difficile de s’y accrocher alors que la tempête fait rage, le radeau du passé se disloque. L’océan d'angoisse ne veut pas le détruire trop vite. Une victime morte est une source de plaisir tarie. Il veut une victoire lente, que chaque seconde soit un succès, que chaque instant représente une morsure de laquelle naîtra l’envie de renoncer, le désir de se renier pour lutter encore, contre soi, jusqu’à consumer l’ultime parcelle d’âme.

La folie entretient la souffrance. Elle est une présence glacée contre laquelle les assauts de la raison s’épuisent en vain. Impossible d’ignorer sa présence une fois celle-ci perçue. Elle est belle pourtant, au début, prometteuse d’un univers de plaisirs. Un désert en réalité, une vitrine s’estompant une fois la porte d’entrée franchie.

D’abord câline, elle prend tout ensuite. Son baiser est mort sûre.

Les mains cherchent, l’esprit réfléchit, il doit s'enfuir le sait mais ne peut rien. Le mur devant lui est seul, les côtés sont libres, un effort suffirait pour partir. Le chemin du salut est accessible, si proche et pourtant inaccessible pour qui est enfermé en lui-même.

Avancer… Chaque pas fut douleur, chaque instant angoisse, le temps devint un ennemi, une seconde était une mort n’emportant rien mais instillant en l’âme la certitude qu’elle était là, invincible maîtresse.

Les souvenirs de l’enfance volent dans la nuit, leurs becs sont acérés mais la peau se reforme, reste sensible, l’être n’est pas encore à nu. L’enfance meurt lentement quand il ne reste rien d’autre en soi.

Des remparts, une forteresse vide à l’intérieur de laquelle erre un esprit ignorant qu’il génère ce décor pour s’interdire l’extérieur. Le comprendrait-il que trouver la sortie lui serait impossible seul. Une main manque, une présence, un autre cœur.

Le réveil ne viendra plus, pourquoi espérer ? Autour de soi reste un champ de bataille parsemé de millions de cadavres, un océan de cendres, un linceul grisâtre que nul pied ne foulera jamais.

Plonger ses mains dans cette terre, en retirer par poignées ces petites créatures blanchâtres et frétillantes, sentir leurs morsures, leurs formes fuselées passer en soi et s'en repaître sans fin. La souffrance est le salut pour qui veut rester vivant.

                                        * * *

- Encore un voyage ?

- Quand les pensées se pressent, et cela arrive souvent en début d’enquête, je les laisse faire, elles s’organisent d’elles-mêmes, c’est un spectacles fascinant, d’autant qu’il se produit en soi.

- Comme un vertige ?

- Si vous voulez.

- Une sensation forte que je ne jalouse pourtant pas.

- Vos capacités sont aussi bien.

- Je doute d’en avoir beaucoup.

- Leur maîtrise importe plus que leur quantité. Elles sont vous.

- Vous êtes aussi un sage.

- J’ai appris des circonstances, non sans me dire que si j’avais réfléchi avant… Mais si je l’avais fait je n’aurais pas eu l’occasion de m’en faire la remarque. Nous sommes des édifices pouvant monter haut si nos fondations sont solides, prenons le temps de les consolider sans nous précipiter vers un enseignement fascinant mais qui ferait s’écrouler le château de cartes que nous sommes.

- Cela vous est arrivé ?

- On peut l’expliquer ainsi.

- Et vous avez pu en édifier un autre ?

- Il s’édifie tout seul, je l’explore en m’interrogeant sur sa nature.

- Et sur l’architecte ?

- Parfois, sans réponse. C’est trop tôt, je dois atteindre son sommet, une explication me couperait l’envie d’en savoir davantage, la force de m’engager dans l’escalier que je vois devant moi.

- Je comprends, enfin je fais semblant.

- Rappelez-vous l'antique pensée : Deviens ce que tu es ! pas un d’autre que vous pensez meilleur. Une enquête impose parfois d'en apprendre sur soi. Nous sommes plus que des pions avançant malgré eux, nous disposons du pouvoir de nous interroger, de voir ce que nous sommes. Nous traquons un monstre qui brandit un miroir. Pourquoi sommes-nous sur ses traces, pourquoi avons-nous choisi ce métier, car nous l’avons choisi ! Ce n’est pas le hasard qui nous mit sur sa piste, ce que nous voyons de lui nous en apprend sur nous. Difficile de s’interroger ainsi, j’ai connu peu d’individus supportant ces questions. Je ne sais ce que vous ferez de mes paroles, peut-être les considérerez-vous comme divagations, avec raison, une chance reste qu’elles aient un sens, indiquent une direction.

- Je saisis la portée de vos paroles commissaire, je ne dis pas pouvoir en faire bon usage tant elles sont lourdes à intégrer.

- Demain ou dans dix ans vous vous en souviendrez. Ce tueur agit pour nous, combien contiennent leurs pulsions par l’exemple de qui ne put y parvenir. Formule biscornue, j’en conviens et les parents des victimes ne pourraient m'entendre mais notre action n’implique pas d'éviter toute interrogation. Nous voyons la société dans son intimité la plus dangereuse, là où se forme la lave qui le recouvrira. Mais je délire n’est-ce pas ? Vous pensez que je suis bien gentil mais que mes grands discours ne veulent pas dire grand chose.

- Je voudrais vous comprendre, vous répondre, j'étais nul en philo.

- Ce n'est pas trop tard. Ne la voyez pas poussiéreuse comme une discipline scolaire et, souriante, elle vous dévoilera le quotidien.

- Vous portez un regard lucide et désabusé sur notre civilisation.

- Avec un arrière goût de subversion qui ne me déplait pas.

- Finalement vous n’aimez pas le monde que vous défendez.

- Le défends-je seulement ? L’Apocalypse est commencée, elle est en œuvre et nous refusons de le voir.

- Vous jouez aux gendarmes et aux voleurs ?

- Il y a de ça.

- Cette motivation en vaut bien d’autres.

- Le résultat est positif pour la société.

- Vous n’êtes pas aussi cynique que vous en donnez l’impression.

- Vous êtes perspicace commissaire, je suis heureux de travailler avec vous. Dépêchons-nous avant que la technique nous rattrape, nous dépasse et nous laisse désemparés dans un monde incompréhensible.

- Vous êtes sûr du troisième crime ?

- Sûr serait trop dire, peut-être s’agit-il d’un meurtre symbolique, l’assassin renonçant à dominer ses pulsions, préférant leur céder, repousser la souffrance dans un futur moins lointain qu’il le voudrait.

- La folie est une chose curieuse.

- Par définition ! Que valent les sains d’esprits ! Ne sommes-nous pris entre le marteau des fous et l’enclume des cons ?

- Jolie formule.

- Je devrais la noter pour un recueil, il pourrait avoir du succès.

- Ce serait une raison de ne pas le publier.

- Je vois que vous commencez à me connaître, j’en suis fort aise. En attendant d’agir je propose que nous allions casser la croûte, le ventre vide nous ne ferons rien de bien.

Kah opina, découvrant qu’il avait faim.

Les viandes froides et les cornichons leur avaient ouvert l'appétit.

                                        * * *

Le froid condensait les respirations, ailleurs, aucun nuage ne se formait devant une bouche béante. Ni rire ni pleur n’en sortiraient plus. Un gouffre comme une envie de mordre le vide.

Diatek frissonna, de l’intérieur venait l’appel du passé et la certitude que le renoncement ne le protégerait plus.

                                        * * *

Les mains se tendent, le cœur s’affole, courir, survivre, le corps domine un esprit englué dans la peur et qui cède, se condense jusqu’à un trou noir mental, les pensées sont absorbées, détruites.

Dans la nuit les yeux voudraient ne plus voir, l’obscurité est l’écran sur lequel les souvenirs passent en boucle. D’autres images sont nécessaires pour un instant de fausse quiétude, pour masquer le passé par une imagination moribonde.

Un moment de répit, un court moment de paix.

Deux regards, également perdus dans les visions d’un passé refusé, sensations bouleversantes, coups de fouet d’une sauvagerie telle que l’esprit met de côté ces sensations qui le détruiraient. Le corps est l’ennemi, le souvenir peut ressurgir. Tout oublier, s’oublier, se perdre… Vain espoir !

Chaque pas est torture. Qu’importe la difficulté du chemin ! Une seconde de crainte est une pierre de plus pour cet abri derrière lequel l’enfant va se dissimuler, se souhaitant minéral, inerte, froid, absent.

Sauvé ?

Le temps d’un soupir et constater que le pire est toujours proche.

Les couloirs sont nombreux, une vie ne suffirait pas pour les explorer. Qu’importe, la sortie n’est pas là puisqu’on l’y cherche, elle n’est pas ailleurs et pourtant elle n’est pas loin.

A quoi bon ? Hurler, déranger les autres, exhiber la preuve de sa faute ? Ne rien dire ni montrer, se protéger. L’instinct est l’unique ami sur lequel compter. Devenir une boule, engloutir sa souffrance au point que, rien d’autre n’existant, elle devienne acceptable. Ne plus conserver que d’infimes contacts avec le monde, les autres, ceux qui ne voient rien. Et pour cause, ils n’ont plus d’yeux, ils n’ont plus rien.

Le vide rassure jusqu’à ce qu’y apparaisse ce que l’on fuyait. Les angoisses, les peurs, l’air est garni de griffes acérées, de crocs tranchants auxquels il n’est plus permis d’échapper.

L’âme est prisonnière de rien, subtile geôle, celle d’où l’on ne s’évade pas. La gigue endiablée des monstres continue, ils tournent, manège infernal, à chaque pas un cri meurt dans une larme de sang, un trait rouge qui n’est pas final, pas encore.



Diatek sait qu’il n’est pas seul, que sur ce chemin errent deux âmes. Ce derrière quoi il courait pour ruminer son insatisfaction, priant pour une attente sans fin et un espoir toujours déçu, fossilisé, qu’un coup de vent où un éclair dissoudrait.

La lumière n’éclaire que le cœur du chemin. Lui fait tout pour ne pas la perdre ; l’autre erre sur les bords, prêt à sortir du sentir pour se perdre dans une campagne que son esprit battra sans jamais rencontrer une maison qui soit mieux qu’un piège supplémentaire. Le sol est boueux, gluant, rouge, les cailloux sont pointus, brûlants, présents ! Les larmes nourrissaient le sol, mais il n’y en a plus, trop coulèrent pour se perdre sans qu’un regard ose les regarder. Le pont vers la vie n’est plus possible. Devant c’est le désert, sait le désert, et son rire muet aspire le reste d’une âme perdue.

Les yeux du policier se portent vers un angle de sa chambre, vers cette pièce minuscule dans laquelle il passa tant d’heures. Maintenant encore il ne sait s’il doit la voir comme une tombe ou un ventre maternel, si toutefois il y a une différence !

Y retourner, savoir… Il n’ose pas, pas encore, trop de larmes y coulèrent qui faillirent devenir le formol que son esprit désirait pour se reposer. Des années durant il se laissa porter par ce qu’il croyait être la vie, il agissait, voyageait, il déroulait les bandelettes si douces protégeant l’enfant qu’il refusait. Il le vit, ne comprit pas ce que cela voulait dire. Quand l’autre lui tendit les bras il n’osa pas reculer.

Il connut la tentation de l’ombre des murs, de se laisser aspirer par le vide. Quelque chose le retint au seuil du silence et de l’immobilité, puisant en lui des capacités qu’il ignorait posséder.

A moins que ce ne soit l’inverse.

Ses délires ne le détruisirent pas, ils suintèrent des pores de son âme tel le pus d’une plaie. Il ne fut pas détruit et reste debout, lucide, accroché à une lumière s’alimentant des ténèbres ; se servant d’elle pour ne pas réaliser que c’était lui qui osait, qui pouvait, que la force il le tenait et pouvait l’utiliser.

Les périls furent nombreux, il arpenta des lieux d’où nul esprit n’était revenu intact. Le sien était différent. Fou il pouvait affronter la folie.

Au fond, il le sait maintenant, ce qu’il redoute ce n’est plus la peur, plus l’horreur. Tout cela fit trop partie de lui pour lui arracher plus qu’un sourire. Non, ce qu’il craint c’est de découvrir ce qui le fit avancer, ce qui est là, proche, attentif et patient.

Amical ?

Partager cet article
Repost0
22 mai 2009 5 22 /05 /mai /2009 05:24
Survivre au mal - 4 
 

                                                   5


- Voilà.

- Façon de dire agréable, vue de l’extérieur, de l’intérieur...

- Votre force est le plus grand danger sur votre chemin. La sève montant trop vite fait éclater l’arbre.

- Jolie image, vous êtes poète à vos heures.

- Creuses. Une vieille ambition qui n'amuse que moi.

- Attention à l’ouïe.

- À mon âge ça ne me gênera plus. Je voudrais fermer les oreilles comme les yeux, ce serait agréable de s’isoler, laisser les autres discourir vainement sur des sujets sans importance. Si vous saviez quelles stupidités j'entends. Au-dessus de moi grouillent des autorités autant à leur place qu’une araignée morte dans un bol de lait.

- Mais il y a tant d’araignées que le lait ne se voit plus.

- C’est vrai, il se peut aussi que tout le lait ait été bu.

- Laissons les grosses araignées dans leur bol et allons boire ailleurs.

- Laissons de côté ce formalisme qui tient debout les costumes vides, sourire n’est pas interdit, sortir la tête de la merde non plus.

Sortir la tête… Diatek le sait, si ce n’était QUE de la merde… Quelque part, tout près, se dissimule un être capable de tout, ballotté par des désirs qu’il ne comprend pas et des pulsions qu’il ne maîtrise plus.

La folie est-elle libération ou asservissement ? Il voudrait répondre à cette question mais c’est déjà fait, il sent, il sait… Une force sauvage remonte, remplit les vides et désagrège les fondations fragiles d’une personnalité. L’apparence est encore socialement acceptable, mais derrière la vitrine se tient un cri attendant la libération, qui sait s’il ne peut ni ne doit aller trop vite. Il se détruirait. Plus lentement il sera, plus violent il sera ! Le conditionnement culturel pousse l'individu sans volonté, mais après tout il est parmi ses semblables.

Il sait, en lui l’infiltration se fit et pourtant il est toujours là, lucide, conscient, alors qu’il eut l’occasion de s’effondrer, alors que le vide qu’il ressentait fut tel qu’il aurait dû disparaître à l’intérieur.

Mais non ! Alors ?

La folie seule protège de la démence, moins et moins font plus.

Il perçoit le hurlement qui voulut se libérer, regrettant de se savoir plus fort que lui et tant pis pour qui ne peut comprendre cela.

Commissaire ? Amusant, non ? C’est lui qu’il vit dans le puits après avoir traversé cette rivière repue de tant de cadavres plongés en elle, quêtant, par un retour aux sources, un impossible pardon pour avoir, une seconde parfois, voulu exister.

                                        * * *

La vitre fraîche est douce. Non, les mots ne libèrent pas, ils révèlent.

La terre est gorgée de sang que ses empreintes font ressurgir, traces brillantes sur un sol noir. Il marche, parmi d’autre… Si le vide ne le détruisit pas c’est qu’au cœur d’un trou noir psychique se formait un être prêt à naître, prêt à n’être…

Émotion déstabilisante mais éducative, de chaque combat il sortit allégé d’une écaille perdue dans les ténèbres. La folie ne hurle pas, elle murmure !

Il rouvrira la porte bientôt, bientôt… Il s’y attend derrière !

La parenthèse carmin se ferme, la vie continuera jusqu’au point final.

La bête est en action, les bêtes ? L’autre, plus fragile la perçut, sut sa solitude rompue, dès lors elle put mordre, s’imposer, pour mourir. Qui ne se sent pas vivant ne peut se tuer et espère que sa prochaine victime aura son visage.

Le temps est un complice doux et vicieux, comment se préparer ?

Il pourrait être comme eux, comme "ça", disait-il, méprisant, quand il était jeune alors que le mot "normal" lui semblait la pire des insultes. Qui est normal, sinon celui qui ignore son unicité, ou la refuse ? La société autorise l’assoupissement, le repos derrière l’agitation, le repos de l’âme. Inutile de l’attendre d’un autre monde ! Bienheureux les simples d’esprits car ils ne voient pas la vie pourtant si proche. Souffre celui qui la tient, la veut, l’aime.

L’heure du repas, de la grand messe du journal du soir. Les gens frémiront, diront que c’est abject, inacceptable, avant de se resservir de l'excellent potage en boîte. Ça soulage de manifester son mécontentement, son refus, inutile, d’une réalité passée.

La police va être critiquée, logique dans une société dont elle renvoie l’image la plus juste, donc la plus insupportable. Qui donc tirera la chasse pour un nouveau déluge ?

Des parents pleurent leurs enfants, d’autres sont soulagées que les leurs soient vivants, pour si peu de temps.

Une main se crispe autour d’une arme comme autour d’une bouée, le cœur accélère, un voile rouge se lève sur le vide au fond duquel palpite un désespoir qui refuse de s’éteindre si vite. Tout est si rapide parfois que l’on ne comprend qu’ensuite, tant mieux.

La normalité est un espace confiné, frontière entre deux mondes insupportables. La foule se rue vers le néant pour l’adorer.

Bienheureux…

La mort rassure vue de loin, elle est tabou vue de près. Un crime est acceptable dans la mangeoire cathodique. Le décès d’un enfant est une page arrachée au livre des regrets. L’image d’un paradis qui s’éloigne. C’est un partie de soi que l’on découvre mortelle sans oser s’avouer qu’elle est déjà défunte.

Bientôt le crime sera commis en direct, un jeu télévisé est à inventer.

Un téléviseur reste allumé 24/24, il zappe. Bientôt les yeux seront rectangulaires en attendant l'éden : Deux télés face à face.

Et là, pas moyen de croquer un fruit !

Le regard du néant est électronique, celui de la folie est plus attirant. Ils se superposent face à l'absence. La partie a débutée mais chacun joue contre soi. La paix attend le(s) perdant(s).

La débilité n’est pas une victoire. Quoi que…

                                        * * *

Les médias sont sur les dents, celles-ci pour être fausses n’en sont pas moins avides de sentir entre elles glisser des lambeaux de chairs mortes, des cadavres d’enfants, ces mets succulents si propre (!) à exciter la sensibilité du téléspectateur.

Opinions et commentaires vont se répandre, chacun aura son avis, racontera ce qui s’est passé, pourquoi, comment. La psychose n’est pas encore là, seule son ombre est présente mais ses bras se tendent, ses lèvres s’entrouvrent et son sourire grandit.

Le serpent fascine une proie sachant qu’attendre c’est être absorbé, pourtant agir lui est interdit, son corps cède au plaisir de l’oubli qui guette et qui semble plus fort que la volonté de lui dire non.

Aller vers la dissolution pour ne plus la craindre ; Logique !

Le monstre croit choisir ses victimes mais qui peut le peut vraiment ? L’enfant représente l’innocence, une pureté adulée par les adultes pour en conserver une trace autour de laquelle tourner.

Un puits d’ombre !

Les suspicions naissent, un fut aperçu près d’une école, elle se trouve sur son trajet quotidien ? Hasard ? Aider la police est un devoir pour chacun que certains se font une joie de remplir avant de rentrer dans leur logis. Surtout, qu’ils rabattent bien le couvercle orange.

Pénible de remuer la boue, peu le supportent, non par ce qu’ils voient des autres mais d’eux-mêmes. On ne craint que soi, l’ennemi que l’on refuse d’en découvrir le visage, le sien !

Un diamant se cache dans des dizaines de tonnes de minerai, travail long et fastidieux. Découvrir un tueur est similaire.

Enquête difficile, un assassin normal, avec un mobile, tisse un lien avec sa victime, ou fait partie de sa famille ce qui le rend repérable. Un tueur de ce style est différent, il est proche, c’est un voisin gentil, un fils aimant, un père adorable.

Et pourtant…

La bête se réveille, à l’image du virus apprenant l’antibiotique elle se mithridatisa. La braise attendit le souffle telle la princesse le baiser du prince charmant. Se consumer pour trouver le repos.

Les autopsies prouvèrent l'emploi d'une seul arme, un point d’acquit. Les victimes s'étaient trouvées au mauvais endroit. Elles ne sont plus que des encriers nourrissant la plume des commentateurs avides. L'idéal étant que la situation s'enlise et demeure mystérieuse, les cadavres momifiés par la bave journalistique.

Complexe de résister au feu intérieur, d'en faire un flambeau pour explorer son être. Certains chemins semblent n’avoir qu’un but.

Avancer jusqu’au gouffre, user de la violence pour résister à son appel et conserver un semblant de cohérence. Celle d’une plainte qui, entendue, aurait modifié l’environnement, en pire. L’humanité qui s'éloigne emporte la souffrance et l’espoir de vivre un jour, les larmes alors ne peuvent qu’être de sang pour laver le visage et lui apporter le soulagement attendu.

- Vous rêvez commissaire ?

Diatek fait un effort pour retrouver le bureau directorial.

- Mes pensées m’entraînaient monsieur le directeur, une image en amenait une autre. Pénétrer un esprit est un jeu plaisant, le mien baguenaudait en quête d'une piste. Nous avons esquissé le portait du tueur, ses motivations, le choix de ses victimes, l’impérieux besoin de recommencer. Une enfance bafouée, la douleur psychique laisse des séquelles plus profondes que la violence physique.

- Kah nous rejoint, je suis heureux de votre entente.

- Il a les qualités que requiert notre métier, un jour il vous succédera.

- Vous êtes trop bon commissaire.

- Oh non ! J’espère que vous ne serez pas dégoûté par cette affaire. Heureusement celles dont vous aurez à vous occuper seront plus normales, ce qui ne veut pas dire plus reluisantes.

- C’est parfait messieurs, une bonne ambiance est capitale pour un meilleur travail. Faisons le point sur les faits que nous connaissons, ce sera rapide. Deux crimes commis, le premier en un lieu inconnu, le second là où fut retrouvé le corps, les victimes sont sans lien, les circonstances expliquent leur choix. Espérons que nous en saurons plus demain en recoupant les témoignages, en comprenant comment les choses durent se passer. Diatek ?

- J’approuve ce que vous venez de dire, pour l’heure nous ne disposons que des corps, des lieux et d’un lot de questions. Folie... à voir, facilité des crimes, personne n’était méfiant, la surveillance autour des enfants va gêner sa récidive, la frustration peut lui faire courir des risques dont nous pourrons profiter.

- Je pensais que la folie meurtrière était une spécialité étrangère - commença Kah, dont le vrai nom était si long et difficile à prononcer qu’il n’en avait gardé que la première syllabe - un sujet de films, de thèse, je me disait qu’un jour j’aurais l’opportunité de la rencontrer. C’est fait, plus tôt que je le pensais et je constate que ce n’est pas une chance, la curiosité intellectuelle fait place à une réalité atroce. Je sais que j’aurais du mal à oublier ces cadavres d’enfants même si j’en vois d’autres par la suite.

- Ce sont vos premiers morts ?

- Non mais ceux-là sont d’une violence indicible.

- Celle que ressent notre tueur, l’impérieux désir de se soulager, de laisser couler la rage qui l’empoisonne. Chacun dispose d’une graine de démence qui meurt faute d’un terrain favorable à son éclosion. Quelles circonstances ? Combien d’enfants au passé douloureux font des adultes normaux quand d’autres qui connurent moins d'obstacles sombrent. Tant reste à découvrir, mais nous ne sommes pas là pour cela. Si nous le prenons vivant il aura l’occasion de répondre à nos interrogations, de rencontrer des experts méritant, parfois, ce titre, la connaissance de la psyché progressera d’un pas, tant sont à faire que le but paraît inaccessible. Les liens sociaux se délitent, les contraintes culturelles s’effacent, à se demander si c’est une bonne chose. Quand l’individu se retrouve hanté de désirs épouvantables il ne sait vers qui se tourner, à qui se confier. Muet il laisse sa démence progresser, s’amplifier et finalement l’emporter. La folie meurtrière est devenue une idole, ainsi elle paraît moins dangereuse, moins susceptible de s’incarner. Nous parlions de la virtualisation du monde. Bientôt la folie sera la seule réalité accessible. Pour toucher l’esprit enfermé dans son univers d’images il faut une violence l’atteignant au plus secret, jusqu’à ce que cela aussi ne le fasse plus réagir, ensuite… La règle du toujours plus fort pour être captivant s’applique au quotidien et nous promet un avenir féroce dont nous apercevons déjà les prémisses.

… Le pire c’est d’être là, de sentir l’angoisse dans les rues, de connaître les parents des victimes et d’imager ce qu’ils ressentent en ce moment. La souffrance provoque la souffrance comme si c’était la solution. Facile de parler ainsi quand on est spectateur, celui qui se trouve pris dans les marais de la démence subit, se défend comme il peut. Il n’empêche que l’on se demande pourquoi.

…Une question qu’il est préférable de laisser de côté, avancer nous deviendrait difficile tant ce que nous rencontrons échappe à la raison. Certaines réponses nous sont inaccessibles, tant mieux !

- Et après, une fois pris, enfermé, étudié, que deviendra-t-il ?

- Restons dans le concret, le factuel, le probable.

- Nous surveillerons les crèches, les garderies, les endroits où de jeunes enfants se retrouvent. Vous avez raison commissaire de dire que son prochain crime sera plus difficile à perpétrer mais qu’il ne se retiendra pas longtemps. A nous d’être là au bon moment.

- Ce genre d’individus, comme un prédateur, dispose d'un instinct le guidant vers sa victime. La nécessité l’aide à explorer les possibles, à faire preuve d’imagination, il est le mieux placé pour détecter le point faible et l’utiliser. Quelques précautions que nous prenions une victime est accessible, disponible. Il sait, sent, devine. La piste du crime est chaude, riche d’odeurs que nous ne percevons pas, de sons qui nous échappent. Lui baigne dedans, profite de sensations, de couleurs, qui n’ont pas de sens pour nous. Il s’enlise, le sait sans doute, mais ne peut pas y échapper…

Partager cet article
Repost0
18 mai 2009 1 18 /05 /mai /2009 05:39
Survivre au Mal - 3 
 

                                                   4


- Du banal monsieur le directeur ? Considérant les victimes je me dis que le coupable pourrait être une femme. Je sais, elles donnent la vie, encore qu'elles l'imposent... bref, l'actualité mit en lumière des affaires dans lesquelles les mères étaient coupables mais il s'agissait de crimes commis dans le cadre familial, en dehors c'est rare.

- Vous y croyez ?

- Je ne crois rien, c'est un possible.

- Un homme tentant de nous induire en erreur ?

- Ses pulsions le contrôlent, pas l'inverse ! Cette violence montre qu'une rage longtemps contenue s'est exprimée, maintenant elle s'en sait capable, les barrières intellectuelles et morales ont disparues, et la chance fut de son côté. Tuer est une drogue dure et le manque torturant. Le prochain crime est imminent, nous avons peu de temps.

- Vous parliez du choix des proies.

- Il n’est pas dû au hasard, l’assassin veut faire taire sa propre enfance. Un tueur en série qui fut victime de sévices est un poncif, souvent vérifié, au moins dans un cas sur deux. Un passé enfermé, pourrissant il finit par le corrompre, le résultat est sous nos yeux.

- Un cercle infernal.

- Un voyage sans retour. Il, je conserve le masculin par commodité, ne se sent pas vivant, dès lors les autres ne le sont pas davantage. Il ne peut s’en prendre à lui, ses victimes sont des succédanés.

- Vous pensez qu’il les connait ?

- La première c’est probable, peut-être même la voir fut-il suffisant pour le faire basculer.

- Cela nous donne une idée.

- Une esquisse.

- L’esprit humain est compliqué, à croire qu’il faut être fou pour en percer les secrets, sans possibilité de les utiliser par la suite. Inutile de deviser vainement, nous en aurons l’occasion quand nous l’aurons pris. La folie qui le tient ne le lâchera plus, elle pourrait l’emporter. Cela vous paraît plausible commissaire ?

- Oui ! Le cas échéant nous resterions dans l’expectative, nous ferons attention aux suicides dans les prochains jours. Un sursaut devant l’horreur, la certitude de recommencer, la mort pour fuir l’asile et un avenir dégradant. Mieux vaudrait qu’il se tue et que nous l'ignorions plutôt que d’avoir d'autres cadavres.

- À Chaque sonnerie je crains une mauvaise nouvelle. Les journalistes sont partout, avec les chaînes d'infos chaque heure doit apporter son scoop. Ils sont en bas et voudraient une déclaration.

- Je veux bien leur dire deux mots ! Le commissaire Kah est chargé de l’enquête, je l'assiste, à lui d’être en première ligne.

- Et de récolter les lauriers éventuels ?

- Bien entendu, vous savez comme la publicité est quelque chose que j’aie en horreur. Il s’en sortira parfaitement.

- En ce moment des spécialistes donnent leur avis, enfin, donnent...

- Ils font la promo de leurs bouquins, ils sont contents, les chaînes aussi qui ont quelqu’un semblant savoir ce qu’il dit. Mais je suis mauvaise langue, ce n’est pas toujours vrai, si c’est toujours inutile !

- Vous avez raison commissaire, raison… le mot est ironique.

- Ironique !

Le commissaire savait que le divisionnaire savait... Ainsi, ne disant rien il se comprirent. Les paroles sont souvent gênantes par leur incapacité à rendre compte de situations complexes.

N’est-ce pas ?

- Heureusement le flair du policier n’a pas encore été informatisé.

- Bientôt tout sera virtuel, nous nous serons fait électroniquer.

- Le mot est joli.

- Puisé dans le livre d’un auteur régional, peu connu mais je pense qu’il ne cherche pas, lui non plus, la publicité.

- Ne serait-ce pas l’idéal, que tout soit contrôlé par ordinateur ? Chacun vivra dans une machine. Vivra…

- Je pense que c’était l’idée de l’auteur dont je viens de parler. Des impulsions lumineuses dans des cœurs de silicium pour qui être aurait un sens différent du nôtre, rien ne dit qu’il serait meilleur, ou pire. Pour supprimer la mort le mieux c’est encore de supprimer la vie !

- Ne nous sommes-nous pas éloignés du sujet ?

- De la discussion naît la lumière ! Une idée en appelle une autre. L’inconscient demande parfois la parole, encore faut-il lui laisser un champ d’expression suffisant.

- Vous avez raison. D’un autre côté je trouvais le raccourci saisissant entre ces crimes et votre retour dans la ville de votre enfance.

- Je me suis déjà demandé si c’était un hasard.

- Vous vous êtes répondu ?

- Il y a une logique, un lien, mais leur nature m'échappe.

- Vous trouverez, j'en suis sûr.

- Je vous laisse la responsabilité de cette affirmation. Je ferais de mon mieux avec l’aide, efficace, de mes collègues.

- Vous appréciez le travail en équipe ?

- À ma façon, tout dépend de l’équipe même si je préfère rester seul. Quand j’ai commencé… Maintenant les contraintes sont plus grandes, trop grandes j’en ai peur pour que je les supporte longtemps.

- Vous pouvez espérez monter dans la hiérarchie ?

- Je le redouterais plutôt. Je ne me souhaite pas votre place, non que vous l’occupiez mal, au contraire ! J’ai besoin de pouvoir agir à ma guise, ce n’est pas l’accroissement des codes, les tutelles diverses, les droits machin-truc. J’aime le risque physique, pas politique, pas l'odeur d’une société anesthésiée par des contraintes formolisantes.

- Anarchiste ?

- Libertaire, à ma façon ! Un comble alors que je fais partie de la police depuis presque vingt ans. Encore que liberté soit un mot étrange, une réalité en laquelle je ne crois plus, un territoire auquel on pense mais que l’on ne peut atteindre.

- Tout dépend des motivations qui furent vôtres.

- Le goût de la chasse, le besoin de croiser la mort. Je la connais bien, du moins ai-je la faiblesse de le penser, n’empêche, quand mon heure sera venue j’aurais peur comme n’importe qui. Je me demande désormais si je suis encore capable d’aller vers la vie.

- Idée indigne de vous commissaire, c’est une excuse en laquelle vous ne croyez pas. Je comprends que pendant des années vous avez voulu fuir, ce retour dans votre ville démontre que vous avez quelque chose à y faire, un rendez-vous. D’aucuns verraient votre inconscient à l'œuvre. Sur le coup vous n'avez pas saisies vos motivations, maintenant je suis persuadé du contraire. Les destinations les plus difficiles à atteindre sont les plus proches. Vouloir aller loin c’est souvent désirer n’arriver jamais.

- Il me semble qu’à nouveau nous dérivons.

- Vous avez un assassin à retrouver, j’ai envie que vous donniez votre maximum pour cela, si vous avez des raisons de penser à autre chose cela altérerait l’enquête. Je ne veux pas que vos préoccupations perturbent l'enquête. C'est mon rôle de veiller sur mes collaborateurs même vous que je ne peux prétendre connaître, ni comprendre.

- Vous auriez dû choisir la prêtrise, vous avez le don du prêche.

- Utile dans notre métier, les mots sont si importants, savoir parler, amener l’autre à se confier, à se confesser pour rester clérical.

- Vous pensez que j’ai quelque chose à avouer ?

- Qui n’en a pas ? Gardez vos secrets, l’aura de mystère qui vous entoure excite l’imagination. Qui sait où se trouve la vérité. Ailleurs me direz-vous, dans la lumière ou la nuit ?

- La réponse n’est pas difficile à trouver.

- Une choses est simple quand on la voit de face. L’oser l’est moins.

Les deux policiers se retirèrent dans leurs pensées. Curieuse conversation alors que deux cadavres gisaient dans des tiroirs réfrigérés en attendant que justice leur soit rendue, eux qui, d’où ils étaient, devaient savoir que ce mot avait moins de sens que d’autres dont les vivants se gobergent. Chacun suivant celui qu’il ne peut rejoindre. La vie est un manège, les sujets tournent sans avancer.

Diatek prit cette image, souvenir d’enfance. Il courait sans savoir qu’il fuyait, tournant sans voir de quoi il refusait de s’approcher.

- Notre époque sent la mort, l’idolâtrie. Les dieux ont laissés tomber le masque, les croyants ne parviennent plus à croire, le vide seul les attire. L’informatique, la cybernétique, les ...iques, ne sont que des façons de rester mort. Les tueurs en série sont les vedette d’une civilisation ou le réel est flou, où logique et cohérence deviennent des termes obsolètes. La toile s’étire mais ce sont les mouches qui tissent afin de s’y prendre au piège, de s’y complaire, victimes.

- Commissaire, vous ne faites pas mentir votre réputation, cette aura d’étrangeté qui vous masque. Moi j’ai toujours voulu réussir. L’histoire banale de l’enfant pauvre s’élevant dans l’échelle sociale par le travail et des relations bien choisies. J’ai saisi les opportunités se présentant à moi, parfois celles se présentant à d’autres ! Cela me semblait logique, j’en avais le droit. Un de plus. Mes subordonnés ne sont, en majorité, que des portes s’ouvrant sur la banalité dont ils sont issus. Vous êtes différent, meilleur et pire, l’un va si bien avec l’autre.

- C’est aussi mon avis.

- Les grands esprits se rencontrent, une chance, ils sont rares. Les normaux n’ont pas d’efforts à produire, ils sont si proches, dans une cage sans barreaux, ils font efforts pour ne pas voir que s’éloigner est permis, qu’arpenter les chemins du possible est question de vouloir.

- Chacun de nous recèle une rassurante geôle intérieure, dur de se trouver une raison pour s’en éloigner, la nature humaine s'y plait.

- Oui, je regarde au dehors, un pas suffirait… Trop tard, ce qui ne fut pas fait jeune est difficile par la suite. La porte derrière soi a claquée.

- Parfois nous sommes poussés sur cette voie.

- Vrai.

- Vous avez des enfants, vous leur apprenez cela ?

- Non, enfin oui, j’ai des enfants mais je ne leur apprends rien. Qu’importe les discours, l’exemple est plus important, le mien fut désastreux, humainement parlant, père absent et délaissant sa famille au profit de sa réussite professionnelle. Les enfants…

- Je sais, on ne les choisit pas, on les fait et on les subit ensuite jusqu’au bout, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire.

- Les miens ne sont pas si mal, je me demande seulement ce que j’ai de commun avec eux. Vous-même en avez ?

- Pas que je sache. La lignée semble devoir s’arrêter mais qui sait quel désir pourrait s’emparer de moi l’âge venant.

- L’âge incite à faire ce à quoi l'on se refusait vingt ans avant. Le point de vue change alors que le terme du chemin se rapproche.

- Il est vrai que je ne connais pas mon géniteur. Entreprendre des recherches ne m’a jamais intéressé. Des amies eurent ce désir à ma place, cela occasionna bien des heurts. Je déteste que l’on pense pour moi. Ainsi me sens-je isolé, rien avant, rien après, seul dans un univers où je suis plus libre que beaucoup, d’une inquiétante liberté certes mais enrichissante. Que vaut ce qui ne coûte rien ?

- Pour combler l'absence l'esprit saisit une image rassurante.

- J'en eu au long de ma vie, que je choisis, alors que quoi que je fasse je ne pourrais choisir mon père, il me faudrait faire avec ce qu’il est, et n’est pas. Les racines sont à la mode… Notre tueur arrache les siennes, puise en lui les bases de son être plus pour se détruire que pour se tuer. La généalogie est une curieuse science, quel intérêt de connaître quelques dizaines de ses ancêtres quand il en manque des milliers, des millions si l’on veut remonter loin ? Une liste, une échelle semblant une cage. Je retombe sur mes pieds.

- Vous êtes plein de questions, revenir vous rapproche des réponses.

- Leur proximité m'inquiète. L’obscurité autorise l’imaginaire à fausser le futur, voir même le présent. La lumière tue les hypothèses, elle est une obligation à laquelle il devient impossible de renoncer. Elle éclaire et brûle ai-je lu dans le livre que j'évoquais, je vous en apporterai un exemplaire, il mérite ce terme ! Ce n’est que trop vrai, je lutte contre moi et me le dit, feignant de penser que je ne peux qu’attendre. Je suis timoré, velléitaire, aussi médiocre que ceux dont je me gausse et qui, eux, ont l’excuse de l’ignorance. La bêtise est un alibi que l’intelligence ne peut utiliser sans se trahir. Le pire des crimes.

- Vous l’avez commis ?

- Même pas, je voudrais me dire qu’il est trop tard, que je ne peux plus que rester courbé sous un joug que ma force ne peut renverser. Il n’en est rien, le licol me fit plier quand j’étais jeune, me redresser est affaire de volonté. La force est là qui m’attend et me détruira si je ne l’utilise pas. Je cherchai une sérénité saupoudrée d’amnésie et de renoncement. La bête était loin, je suis venu me fourrer dans sa gueule, elle, mon amie, mon passé et, donc, mon avenir.

- Vous n’avez pas choisi votre profession par hasard.

- Existe-t-il seulement celui-là ?

- L’autre option fut tentante aussi ?

- Je m’y serais perdu, dommage…

- La voie du sang est trompeuse, belle Circé mais pire que la mort.

- Je n’ai pas dormi assez profondément. Le mauvais chemin est derrière moi. Je fis face à un embranchement à trois voies. J’ai pris la bonne, tant pis ! Parfois je songeais à la folie, me disant qu’elle serait une solution, je l’ai vaincu. A quel prix…

- Le monstre qui nous occupe en ce moment n’a pas résisté.

- Il ne pouvait agir autrement.

- La folie ne voulait pas vous emporter ?

- Elle fut une amie, un guide dont je n’ai pas pris le temps de méditer l’enseignement. Cette affaire me dit que c’est ce que je dois faire.

- Autant la solutionner rapidement.

- C’est mon intention, comme celle de tous. Chacun veut aller au bout avant la fin de l’année, les fêtes ne mériteraient pas ce nom avec un tueur en liberté.

- La psychanalyse aurait été une profession intéressante.

- Non, je n’ai pas envie d’écouter des histoires banales, des vies sans intérêt, d’écouter sans rien dire, auditeur de quotidiens mornes hantés de névroses affligeantes, de psychoses déstructurant des esprits nanifiés. Il reste tant à faire… Je m’en occuperai quand j’aurais le temps. Certains animaux prennent pour leur mère la première créature qu’ils voient. La folie a-t-elle quelque chose à voir avec un animal ? Un animant peut-être, Elle vint à moi, maternelle, m’allaitant d’un acide nourrissant qui l’ingère et y survit.

- Intéressante façon de formuler les choses.

- Confuse, je l’admets. Entre la mort et la folie je fais des mélanges intéressant bien qu’ils me semblent stérile.

- Vous avez eu des marraines spéciales ?

- Les fées qui se penchèrent sur mon berceau me firent des cadeaux qui me reste à apprécier.

- Je ne veux pas de précision, cela ne me regarde pas.

- Mais vous voudriez en savoir plus ?

- La curiosité est une qualité chez un policier.

- Malheureusement cette fois je ne peux satisfaire la vôtre, la mienne est trop grande.

- Je vois. Vous êtes le fils que j’aurais voulu avoir.

- Vous m’auriez eu jeune.

- J’ai toujours été précoce.

- Vous feriez un père acceptable, trop pour expliquer les choses.

- Nous sommes différents, vos obstacles furent intérieurs, les miens sociaux, progresser socialement est plus simple qu’humainement, je suis allé loin, j’ai réussi dans la vie, vous irez haut, très haut.

- Mon chemin est difficile mais il monte. Difficile parce qu’il monte ?

Partager cet article
Repost0
15 mai 2009 5 15 /05 /mai /2009 06:25
Survivre au Mal - 2 
 

                                                   3


Il ferme les yeux, imagine la scène, l’enfant dans son berceau, les parents qui s’éloignent, tranquilles, des mains surgissent, s’emparent du petit être et l'emportent. En une minute il était possible de se perdre dans les rues sans se faire remarquer. D’autres crimes vont-ils se produire, seul le premier pas coûte dit la sagesse populaire, en ce domaine c’est souvent vrai. Des années sont nécessaires avant le passage à l'acte, le temps d'épuiser l’imaginaire. L’esprit se lasse de manipuler des images, la sauvagerie ne se contente plus d’animaux ou de films, elle exige un aliment plus fort, une saveur que la réalité seule lui apportera. Agir est libérateur, source de crainte au début, le tueur ensuite s’interroge, pourquoi avoir attendu, c’était si simple, si jouissif. Les policiers ne le trouveront jamais, ils sont trop bêtes. Il ne sera jamais pris, jamais !

Le deuxième pas sera plus assuré, les suivants seront faciles.

Difficile de retrouver qui n’a, avec sa victime, que des liens tissés par le hasard.

Les yeux mi-clos il s’interroge sur ce qui aurait pu se produire si lui avait été assassiné. Mais n’est-ce pas le cas ? Tout cela est l'œuvre d’un esprit repoussant la mort et générant une fausse vie pour se protéger de l’anéantissement ?

Rien ne change, où que l’on aille c’est avec soi. Ce monstre tueur d’enfant ne sera pas une pièce de plus pour sa collection déjà si riche, c’est une créature lisse, plate, brillante…

Un miroir !

Il est des rendez-vous qui se repoussent sans s’annuler, sauf à s’annihiler soi-même, trop facile ! Son refus de céder à cette solution prouve, bien qu’il redoute de se l’avouer, qu’il sait pouvoir, devoir, plonger au plus profond, non pour trouver mais pour abandonner.

L’odeur du sang ne le fait plus palpiter, ses narines ne sont plus en quête d’une fragrance repoussante. La folie était attirante, forme malléable et dangereuse, un adversaire qu’il crut à sa mesure, qui le fut, alors qu’il n’avait pas compris pourquoi.

Tuer est un désir puissant, une pulsion qui fait souffrir mais détruit qui lui cède. Pouvoir divin, prendre une vie, dire que cela suffit, celle-ci ne sera plus, nous le voulons !

Nous ? Mais qui est l’autre, qui est là ? Qui EST ?

Quels miasmes ont-ils gonflé le ballon, où le vent va-t-il l'emmener ?

Toute son énergie sert à retenir les pièces d'un puzzle mental afin qu’elles ne se réunissent pas encore. L’abîme est fascinant, mais s’y jeter n’apporte pas de soulagement. Le poids dans ce vide-là n’en est que plus grand, et quand l’évidence surgit de l’erreur, cela arrive toujours, il est trop tard pour reculer en se bouchant les oreilles afin de ne plus entendre le rire de la démence.

Une âme se perd, non de se briser, mais en maintenant sa cohérence.

L’unique moyen de rejeter un fardeau est de connaître sa nature.

Qui regarde l’abîme, l’abîme le regarde. La phrase du philosophe lui plait, encore qu’il se demande ce qui se passe quand c’est l’inverse.

                                        * * *

Le chien tire sur sa laisse, son flair a perçu un truc inhabituel, il veut en savoir davantage. Derrière ce taillis, au bas de cette pente il vérifiera si son flair ne le trompe pas.

Son propriétaire le suit, là, ailleurs, quelle importance ?

Il regarde le décor, la ville et son manteau de brume, les montagnes, le centre commercial tout près, et puis- là, en bas, le vieux mur, la fortification et puis… On dirait…

                                        * * *

Diatek regarde les grilles. Elles sont du même vert que dans son souvenir. Enfant il aimait ce jardin public installé sur les contreforts de la Chartreuse. La pente est raide mais c’est un détail. Plus haut un parc était, est toujours, accessible, des remparts, des sentiers, un monde qu’il occupât souvent.

Quelques minutes de grimpettes, un attroupement, un de plus, il peut entamer une collection ! Il se fraie un chemin en s'attirant quelques remarques qui s’éteignent quand un agent en uniforme le salue.

Il n’est pas surpris par le cadavre d’un autre enfant blotti contre les pierres, cette collection-là il l’a commencé depuis longtemps !

- La série continue, cette fois les médias vont nous tomber dessus.

Diatek opine lentement, lui qui a toujours fuit le vedettariat, voilà qu’en retrouvant sa ville d’origine, relativement calme, les feux de la curiosité médiatique risquent de troubler sa tranquillité.

- Jamais deux sans trois dit le proverbe, pour une fois espérions qu’il ne sera pas confirmé. Le monstre a faim de sang et de publicité.

- Dommage qu’il ne s’en prenne pas plutôt aux journalistes ! Entre eux et les amateurs de crimes il aurait de quoi faire. Je me demande ce que dirait un vampire virtuel de se trouver face à un tueur et à la perspective de se trouver à la une.

- Si un journaliste vous entendait il tremperait sa plume dans le vitriol.

- Ça lui éviterait de la plonger dans la merde ! Mais je ne suis pas là pour me laisser aller. Tous les pisse-copies ne sont pas à mettre dans le même seau hygiénique, il en est faisant bien leur métier, dommage que d'autres fassent la une ! J’ai du respect pour les morts, pas pour ceux se revêtent de leurs dépouilles. N’oublions pas que donner une bonne image de la police fait partie de nos obligations, le gouvernement et ses représentants locaux nous en seront gré.

- Vous le croyez vraiment ?

- Non ! Mais trêve de billevesées, quels sont les faits cette fois ?

- Classique, un homme sort son chien, l’animal se laisse guider par son odorat en tractant son propriétaire lequel le regarde faire sans imaginer ce qu’il va découvrir, comme l’autre il y a quelques heures. Lui aussi a ressenti un sacré choc, découvrir un cadavre d’enfant n’est pas un moment aisé à encaisser. Je parie que tout le monde va se méfier des formes suspectes, que nous allons être dérangés pour des colis bizarres, des sacs intrigants, et que nous ne découvrirons rien nulle part. Le criminel a agit très vite puisque le père était un peu plus haut, derrière le virage, le tueur a été ultra rapide et décidé. Il a saisi l’opportunité. Vraisemblablement il n’était pas loin quand le corps a été trouvé. Le sang coulait encore, sans quoi l’odeur eut été étouffée par le froid. Si le témoin s’était retourné il aurait pu le voir, il aurait dû le voir. Un adulte aurait pu survivre à cette blessure, les secours ne sont pas loin, ils sont arrivés en quelques minutes, finalement le portable a du bon.

- Deux crimes coup sur coup comme si le criminel voulait prendre de l’avance, se laisser aller à ses pulsions pour les dominer ensuite le plus longtemps possible. Le temps n’aide pas, il fait si froid que les gens réduisent leurs sorties, à fortiori dans un parc public, là encore les parents vont se culpabiliser.

Des "experts" allaient et venaient essayant de récupérer un indice, n’importe quoi, le commissaire laissa son regard aller au loin alors que son esprit était ailleurs, combinant des images, cherchant un point commun, une piste, retrouvant des formes venues du passé, des spectres moqueurs, les seuls à pouvoir l’aider.

                                        * * *

Une voix s’élève que personne n’entend, prisonnière dans un casque, chant de mort pour âmes illusoires.

L’esprit suit la musique, qu’importe s’il ne comprend pas les paroles, la voix suffit, lien vers un monde dont il s’éloigne de plus en plus.

L’appartement est vaste, confortable, un immense désert pourtant où les oasis sont asséchées et le sable vide d’empreinte.

                                        * * *

L’homme est effondré, la tête penchée il observe un sol qu’il ne voit pas, parcouru d’images qu’il retrouve comme pour les retenir avant que le temps ne les altère. L’absence est un océan dans lequel il est difficile de se perdre volontairement.

Diatek regarde ce décor qu’il connaît si bien, sur la gauche, un peu en hauteur deux bancs l'observent, il aimait s’y asseoir, regarder discrètement les promeneurs. Un visage parfois retenait son attention et excitait une imagination qui n’en demandait pas tant.

Les montagnes au loin restent indifférentes les murs séculaires attendent il ne sait quoi, peut-être qu’un jour il n’y ait plus rien à voir, que la ville à leurs pieds se dissolve, que tout s’effondre, et que la nature reprenne ses droits. Le commissaire sait que cela arrivera, il lui suffirait de fermer les yeux, la réalité disparaîtrait, si ce mot a un sens. Quelle est la vraie nature de ce que nous voyons ?

Parfois il regrette d’avoir fait l’effort de saisir dans le monde l’image suffisante pour avoir envie d’y revenir. Le gouffre était si proche, promesse d’une paix qu’il refusa.

Le père… Un enfant sans papa est un orphelin mais quel est le mot pour dire le contraire ? Le père donc lève les yeux, regarde ce policier venu s’asseoir près de lui. Répondre ? À quoi bon !

- C’est un cauchemar commissaire, je vais rouvrir les yeux et ce que je viens de vivre disparaitra de mon souvenir, rien. Ce serait bien si c’était vrai, vraiment bien. Je connais la vérité commissaire, je l’ai vu, de si près, j’en doute pourtant, je veux en douter, je veux espérer… Saleté d’espoir qui invite à refuser l’évidence.

- Pour l’accepter doucement.

- Plus rien ne sera doux maintenant, plus rien, jamais. Par ma faute. J’ai participé à la création d’une vie, je croyais que cela suffisait, qu’elle ne courrait aucun risque, et voilà que parce que j’ai été imprudent une minute cette vie appartient au passé et m’en accuse. Je sais, vous faites votre métier, il est important de retrouver le coupable, je voudrais vous aider, j’aurais voulu avoir le sang froid de chercher l’assassin tout de suite, il n’était pas loin n’est-ce pas ? J’ai entendu ce que vos hommes disaient… Je n’ai rien compris, la situation m’a dépassé.

- Comme elle dépasserait tout le monde ! Quand on connaît les faits on s’accuse mais nous ne pouvons pas reculer dans le temps.

- Je comprends vos paroles commissaire, intellectuellement, mais mon esprit m’assure que j’aurai dû… J’avais un peu d’avance, j’ai vu le chapiteau du cirque, en bas, je me suis approché, je pensais que ce serait bien d’y aller avec le petit… Il aurait aimé voir les animaux, les fauves… Mais les pires bêtes sont parmi nous commissaire, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. Une minute de joie par la perspective d’un bonheur à venir. J’ai oublié le présent et mon fils est mort, il était heureux de marcher, de découvrir la nature, il aimait cet endroit… La mort l’y attendait, sournoise, vicieuse…Le Seigneur m’a puni commissaire et je ne sais pas pourquoi ?

- Le Seigneur ?

- Pour vous ce mot ne veut rien dire, c’est du passé. Dieu…Je n’ai pas envie d’essayer de vous convaincre, vous me répondriez que laisser mourir un enfant est indigne d’un dieu d’amour… Peut-être avez-vous raison commissaire, mais peut-être pas.

- Le peut-être me suffit, moi non plus je n’ai pas envie d’essayer de vous convaincre de quoi que ce soit, je suis là pour découvrir un assassin, ses motivations, qu’il soit dirigé par une force supérieure, qu’il le croit, cela n’est pas de mon ressort et j’en suis heureux. Je m’en tiens aux faits, aux actes. À chacun d'affronter ses croyances.

- Vous n'en avez pas ?

- Non, j’ai admis depuis longtemps qu’il existe des interrogations que je n’effacerais jamais par la réponse adéquate. Dès lors j’évite la question, c’est aussi simple que cela.

- C’est une forme de sagesse que je pourrais vous envier. Curieux métier que le vôtre pourtant même s'il est indispensable puisque des crimes sont commis mais vous êtes vous demandé pourquoi c’est ainsi ? Sans crime vous n’auriez pas de raison d’être.

- Sans doute.

- Vous vivez avec la mort, l’horreur, chassant les criminels comme d’autres le gros gibier.

- Uniquement les homnivores.

- Je vous fais perdre votre temps, l’assassin cherche sa prochaine victime, il guette, observe, attend l’occasion, comme ici. Il attendait, il espérait, je lui ai donné l’opportunité de tuer mon enfant. J’ai tourné le dos. Il m’a vu, j’en suis sûr, il nous observait, quand je me suis éloigné il a frappé, vite, en quelques secondes tout était dit n’est-ce pas, rien n’était plus possible. Dites-moi commissaire, pensez-vous pouvoir arrêter la mort ?

- Elle est un adversaire au-dessus de mes moyens, je me limite à ceux qui s’en font les hérauts. Vous n’avez vu personne ?

- Vu ? J’ai seulement croisé un couple de personnes âgées. Je n’ai pas fait attention, je ne savais pas.

L’homme regarde à nouveau entre ses pieds, l’esprit ailleurs. Inutile de l’interroger davantage le commissaire sait qu’il n’apprendra rien de plus. Chacun trouve le repos de l’âme où il peut même si lui ne la cherche plus, il sait que si elle existe ce n’est que dans le néant et tant pis si un croyant le nomme Paradis.

- Si on avait su… est une phrase qu’il a entendue souvent et dont il connaît la pertinence. Mais si nous savions ce qui nous attend nous ferions tout pour qu’arrive autre chose, par conséquent pour que ne survienne pas ce qui est prévu. Dès lors comment solutionner ce paradoxe que connaître demain peut donner le pouvoir de le modifier et, par conséquent, rendre cette perception fausse ?

Son collègue a suivi les premières investigations, vaines, comme prévu. Il tente de retrouver la position du tueur mais le sol est gelé, aucune empreinte détectable. Derrière un buisson, à l’affût. L’adulte s’éloigne, le gosse se rapproche, peut-être attire-t-il son attention.

Il frappe, jette le corps et s’en va alors que quelques secondes plus tard l’homme au chien arrive. L’enfant se vide de son sang, essaie de résister mais l’adversaire est trop fort.

La folie se libère sur-le-champ, explosive, nourrissant la sauvagerie. Force intérieure qu’il connaît si bien qu’il pourrait se demander d’où elle vient, à quoi elle sert.

Ou QUI elle sert !

Quelques secondes, un hurlement intérieur, l’occasion, le hasard peut être, il n’y croie pas. L’instinct, l’observation, une rage intérieure, quelque raison, bien que le mot soit déplacé, qu’il ignore encore.

Et voudrait ignorer toujours !

Il le sait, une victime supplémentaire ce n’est pas se satisfaire, ce n’est pas étancher sa soif, c’est l’inverse, toujours.

                                        * * *

- Un fou, cette fois plus de doute, un monstre est en liberté et a choisi notre région pour s’exprimer. Inutile de dire que c’est un honneur dont elle se passerait bien et nous aussi !

Diatek opine pour manifester son approbation au discours de son supérieur hiérarchique, un homme qu’il connaît mais juge intelligent.

- Ne nous perdons pas dans les grands mots et les commentaires à la mode. Qui que ce soit il est parmi nous, circule dans nos rues, cela veut dire qu’il les connaît, ça peut être n’importe qui et vous savez que ce genre de situation si elle dure peut amener des dérapages, chacun se laissant aller à douter de son voisin, à tort la plupart du temps et pour des raisons n’ayant rien à voir avec celles officiellement affichées. Il frappe, vite, lâchement, et rentre dans son terrier où il jouit de ses crimes, du mal qu’il fait. La victime n’est qu’un moyen ce n’est pas elle, en tant qu’individu qui est visée. J’ai employé le terme de monstre, cela ne veut pas dire quelqu’un avec un faciès déformé, un regard halluciné, au contraire, il est souriant, sympathique, discret mais serviable. L’opposé de l’idée que l’on se fait d'un psychopathe. Nous ferons la liste des malades ayant séjournés en hôpitaux spécialisés, inutilement mais nous devons suivre toutes les pistes, la chance peut nous sourire, et nous en aurons besoin. Tablons sur l’excès de confiance qui le fera courir trop de risques et se perdre. Il a réussi ses premiers coups, pour lui tout est aisé et la police ne fait pas le poids, il voudra nous narguer, nous pouvons l’espérer bien que cela implique d’autres victimes possibles. Chaque parent surveillera ses enfants, à nous de déterminer son mode d’action, dans quelles circonstances il préfère agir, d'établir son profil pour utiliser un terme à la mode et auquel je crois peu je ne vous le cache pas. Ce n’est pas une raison pour ne pas être attentif à des techniques nouvelles. Heureusement Commissaire je sais que ce genre d’affaire ne vous est pas inconnu, des enquêtes sortant de l’ordinaire furent votre quotidien, je sais, j’exagère, mais à peine.

- A peine, c’est vrai !

- Pensez-vous que la médiatisation fera sortir notre homme du bois ?

- Non, je ne le sens pas désireux d’être une vedette de l’actualité même si c’est quelque chose qu’il ne peut ignorer. Pour lui tuer est une nécessité, c’est une constante dans ce genre d’affaire même si je ne tente pas de tracer son portrait, c’est un peu tôt pour cela.

- Néanmoins vous pouvez nous en dire quelque chose.

Survivre au mal - 4

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Lire au nid
  • : Mes (ré)créations littéraires et photographiques.
  • Contact

Bienvenue...

Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

Rechercher