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- Et pourquoi pas, c’est déjà bénéfique.
- A condition d’en tirer parti. Des cordes nous enserrent, en sachant ce qu’elles sont, où elles s’attachent nous pourrions les utiliser.
- Il faut tirer sur la bonne, comme à la foire.
- J’ai tiré, et je continue. Mon œuvre est ce lien, elle aura une chance de me survivre, sinon, tant pis, je ne serais plus là pour le regretter.
- Seul, encore après la mort ?
- Possible, si personne ne vint me voir, ne put me comprendre, si personne ne sut qui j’étais c’était que moi-même je l’ignorai.
- Mais désirez-vous sortir d’ici ?
- Viendra ce qui dois, je n’ai pas lassez confiance en moi pour ne pas imaginer un effondrement possible, définitif cette fois. L’important est que j'ai achevé mon travail. Ici je suis assisté, aidé comme j’en ai besoin. J’utilise les autres mais ceux qui le souhaitent comme mon œuvre m’utilise aussi. Elle me tient debout. Assez grande pour exister par seule elle me laissera et je me mettrai à gatouiller sévèrement. Alors ne luttez pas contre évidence, laissez venir ce qui voudra, et si c’est la mort physique alors dites-vous que pour moi elle est une délivrance. Avoir le temps de taper le FIN en lettres majuscules, me reculer sur ma chaise, arborer un sourire et… Marchons, cela nous occupera au moins l’esprit en même temps que les jambes. Vous me connaissez assez pour me laisser fixer mon rythme, je ne pourrais m’accorder au vôtre, même si vous avez du mal à suivre le mien ! Suis-je intéressant professeur ? Psychautiste ? La folie n'est une prison calmante que vue de l’extérieur. J’ai choisi entre deux mondes, privilégier l’intérieur m’éloigna de l’autre, du vôtre, l’inverse eut été plus catastrophique. Je me sens récepteur, qui sait si je ne suis pas le seul émetteur aussi. Bientôt je serai nu, défenses détruites par l’acide de la lucidité, aurais-je le temps d'apprécier ce que je suis ? Un jeu de questions avec réponses différées. Les autres me firent souffrir professeur, alors j’ai érigé des murs, m’y suis senti à l’abri, l’humour l’agressivité parfois, paraître en cherchant à être malgré tout.
- Vous avez réussi.
- Si vous le dites je veux bien vous croire. Que reste-t-il à dire sans rabâcher ? Le plus important peut-être. Je voudrais montrer mon endurance hors du commun, mais c’est insuffisant. Elle fut amicale, elle ne me sert plus, je dois savoir qui je suis, ce que je veux, ce que je peux. Ces questions me tourmentent mais elles sont positives.
- Que faire des autres ?
- Que les moutons aillent se faire tondre, ils sont immangeables ! Votre grand père se voulait loup, il était tout juste un chien de berger.
- Et vous ?
- Un loup s’étant longtemps cru mouton, un lucide se voulant dément par la difficulté d'admettre ce qu’il vit. La folie n’est pas un chien que l’on siffle et qui répond sagement.
- La lucidité vous effraie davantage.
- Il n’y a qu’un moyen de guérir la folie, c’est de n’être pas fou.
- Je n’avais pas pensé à ça.
- La science n’a pas encore réponse à tout, aucun moyen ne permet de visiter le cerveau en direct pour y lire les pensées. Cela viendra, est-ce plus ardu que conquérir la lune ?
- Non, mais plus dangereux.
- Vous dites cela avec un petit sourire révélateur.
- De mon esprit, qu’en est-il de mon âme.
- Si elle existe elle ne relève pas de mes compétences.
- Âme, joli mot n’est-ce pas. L’œuf dont l’esprit serait la coquille.
- Attention à l’omelette.
- Coque, je préfère ! Apportez les mouillettes professeur, vous partagerez bien mon âme avec moi. Il y en a pour deux.
* *
L’âme ! Qu’elle me tranche la gorge, que mon sang giclant sur les murs les dissolve me permettant de regarder au travers.
Laisser mon corps en pitance aux charognards. La mort comme une porte, l’abîme comme un porche, terrifiant en apparence mais accueillant ensuite. Découvrir un paysage nouveau, sans limite.
La folie est un flux m’entraînant là où sans elle, l’accès est interdit.
Être le premier, oublier l’espèce dont je sortis, hurlement du néant, vomissure ou excrément, masse dont l’exception est l’unique excuse.
Le dément que je suis regarde cela sans comprendre, captant un mot de temps en temps, se voyant le dernier, le premier, l’ultime ! Croire en ces termes ferait se refermer une lourde porte dans mon dos, celle qui attend mon erreur pour rire au long des couloirs, annonçant à tous la prise d’une proie supplémentaire.
Combien de démons sortiraient de ma bouche, courraient autour de moi en se moquant ? Anéanti, je n’aurais qu’à subir l’Enfer que je me serais créé. Créatures autonomes d’êtres oubliées, désir de revanche guettant l’opportunité de s’assouvir. Je vois mon âme dans un wagon de verre, poussée, et le convoi partant pour…
Sauter en marche, courir le long de la voie, regarder partir ceux dont je me désolidarise ainsi.
La main qui tient la mienne est glacée mais douce. Bientôt m’en détacher sera impossible sans que j’y laisse ma peau, ma chair, sans qu’il me faille arracher un bras corrompu. Attendre plus signerait ma fin. S’arracher à la douceur est pénible, redouter l’avenir en sachant qu’il sera meilleur. Cela paraît si simple et l’est si peu.
Mur de verre obscurci par ma nuit intérieure, celle-ci se dissipant je verrai où je me trouve, qui je suis. Je saurais enfin.
Les démons autour de moi s’agitent, tentent de me distraire sans y parvenir, ils sont là depuis mon enfance, je connais leurs tours et leurs grimaces La lumière est le destin m’attendant, mon enfance se dissout dans la compréhension, elle n’en espérait pas plus.
Lucifer m’offre sa lumière, ce secret demandant confiance et sérénité. Sait-il si je dispose de ces qualités ? Les humains déifient l’ombre, s’y croyant heureux d’adorer le rien.
J’ai tant rêvé d’espaces immenses, moi dont la chambre donnait sur une cour étroite et grise, un peu de ciel là haut, le soleil y passait, la lune aussi parfois, rythmant le temps, et moi je patientais.
L’attente touche à sa fin !
Des mots sur du papier, le meilleur moyen de frapper à la porte de l’esprit, d’y être accueilli à pensées ouvertes. Je le serais.
Ce décor est-il le rêve d’une nuit refusant de s’achever, suis-je réel ou est-ce le désir du professeur qui m’anime, lui-même ne pouvant supporter la présence continuelle de son grand-père.
La folie est un cancer psychologique, nécrosant le superflu, une chance de libération pour qui y survit. Le dément paraît le mieux placé pour parler de folie, malheureusement son discours est insensé, ainsi ne peut-elle se dire, dommage car son savoir est celui que le prof recherchait un savoir intransmissible.
Il est évident que je dis cela pour moi, je vais me vanter d’avoir réussi là où les autres échouèrent.
Hordes gluantes, spectres de verres, formes vibrantes de ce monde où j’erre. Je m’embrouille dans les fils d’une toile indestructible. L’araignée tarde, elle a mon visage, elle est ce moi que je refuse, enterré sous tant de mots qu’il eut du mal à revenir. Je ne l’ai pas tué, il est là, proche, distant mon esprit, il est mon âme naissante.
Où sont les infirmiers ? Pris dans mes pensées je ne sais plus ce que je fais, charrié par des émotions à la limite du supportable.
Je clignote, un moment je suis d’une lucidité tranchante, l’instant suivant je m’éteins et ne perçois plus ce qui m’entoure. Ce décor est la couveuse de mon esprit, en dehors rien ne compte, non qu’il l’ignore mais son attention est concentrée sur lui-même. Manger, dormir, il ne lui sert à rien de s’occuper de ces fonctions.
J’aimerais une présence… Une angoisse complice pour m’occuper, pour n'avoir plus à penser. Je n’y croirais plus, la peur est tombée de moi, elle erre, poussière sans puissance, ombre impalpable.
Je brûle d’incapacité, d’un regret inexprimable, quel mot définirait une sensation aussi flou, un terme ne peut préciser l’indicible.
Seul ? Mais je ne le suis pas ! Au-dessus de moi, ombre puissante, présence que je ne percevais pas telle, l’arbre, là depuis des siècles, chargé d’une histoire qu’une vie n’endurerait pas. Lui a compris, des mains caressèrent son écorce. Le temps de me lever, de la frôler, rugueuse mais complice. Des enfants tournèrent autour de lui en riant, ils ne sont plus que des noms oubliés, traces sans signification, je ressens ce qu’il emmagasina, des pensées folles, des images perdues. Il était le confident d’un vieil homme, il l’a entendu murmurer des espoirs que son descendant cherche à décrypter. Lui seul possédait la sagesse et le calme de ne pas succomber. Lui seul, prit dans l’instant, oublie le temps. Ses feuilles frissonnent, je le sens, je ne perçois pas de mot mais son vocabulaire ne m'est pas étranger, ses émotions, sa façon de vivre, comme lui m’entend, me comprend. Ainsi nous nous unissons. Quel savoir le monde végétal possède-t-il que nous ignorons par incapacité mentale à admettre qu’un univers différent du nôtre mais aussi riche puisse exister près de nous.
Assis à la place que ce vieillard occupait, j’entends au loin les échos de rêves que je visualise mal, des murmures que l’âge rendit pénible, des pensées que le temps avait rendu confuses. Mais justement, et il ne pouvait y songer, c’est penser qui est superflu et nuit à l'échange.
Le temps nous réunis, nous mélange et disperse les restes de ses souvenirs. Il n’espérait pas autre chose, seulement trouver la paix. Renoncer est parfois l’unique solution.
Assis, espace de graviers sous mes… Non ! Ce n’est pas ça, je vois ce qu’ils sont, je comprends, le piège, la mort, proche à me toucher, à me tenir, les bras glacés autour de moi sont les siens, par terre ce sont des vers qui grouillent. Je les vois, sur mes pieds, monter, sous mes jambes de pantalon, je les devine mordant ma chair, me dévorant... Vivant ? Je ne suis plus sûr de rien, de ne pas être un corps allongé dans un compartiment de morgue dans lequel la vie resterait autant que possible, défi lancé à la compréhension plus qu’à la mort, utiliser cette dernière pour me libérer de ce carcan organique, et, enfin, être libre et employer ces aptitudes endormies depuis si longtemps.
Ils montent, nettoient mes os, me dépouillent du superflu, comme la démence hantant mon âme la purifie des pensées sans valeur. La folie est l'incendie rongeant ces fagots de pensées sèches placées en nous pour donner forme à un esprit qui sans cela serait plat.
Quelle vision imaginais-je quand ces murs tomberaient ? Celle d’une Terre champ de bataille, couverte de corps, se purgeant d’une forme de vie ayant tenu son rôle et retournant à ses origines. J’aimerais cela, quand à celui qui fut moi… Ce qu’il ferait j’en sais rien, jouer sa partition serait tricher, ce qui passe par moi me dépasse tant que ma seule consolation est d’être là, d’admettre cela et ainsi m’abstraire pour laisser la vie suivre son cours.
Un champ de fleurs, des milliards et plus, multicolores, le vent les fait danser, c’est si beau que mes pauvres phrases ne peuvent rien dire, dès lors inutile d’essayer.
Les vers refluent, je sais que ma mort sera une transformation, je suis proche de savoir où je suis, ce que j’y fais, et ce m’y amena.
Les murs s’effritent, j’ai cru entendre une voix d’enfant, une petite fille, un rire, des pas sur un sol de pierre. J’ai dû rêver mais ce fut si bon que la perfection ne saurait se présenter autrement. Je suis un champ de bataille d’images brûlées, de mots détruits, paysage ravagé par l’embrasement d’une fureur dont je viens de comprendre l’utilité.
Comprendre ? Maintenant je m’en sais capable.
M’approcher du puits? Je l’ai fait, j’ai plongé mon esprit à travers le temps ; j’ai retrouvé le passé et compris ce qu’il signifiait. Le choc fut si violent que j’en fus transformé, je perçois les ondes de pensées complexes et dévorantes circulant en moi. Une explosion libérant une force confinée entre des enceintes d'oubli. Aucune autre comparaison ne pourrait donner image de ce que je ressens, de ce que cela put me faire ; J’aurais pu ne pas m’en remettre et rien ne dit que cela arrive. J’ai fait un long chemin, seul, et quand je fus accompagné ce fut brièvement, pour des moments où une présence suffisait. Je ne pouvais accepter de thérapeutique, moi seul pouvait être de bon secours, moi seul.
Vanité ? Les pièces du puzzle se mettent en place, doucement, et si je peux objectivement me reconnaître un talent c’est bien d’avoir su endurer ces phénomènes, luttant contre eux ils m’auraient détruit.
Alors qu’ils m’ont nourri.
Proie de la folie je me suis retourné et me suis jeté sur elle pour la dévorer, pour m’en repaître, et son goût est fort satisfaisant.
Le poison est le plus délicat des nectars parfois il purifie qui lui survit.
Différent, premier en ces terres qu’un esprit ne sut traverser, il reste du chemin mais j’en ai fait plus de la moitié, le but est proche.
Vous êtes là professeur, si près que je devine votre peur enfantée par mes paroles. J’ai jeté mon hameçon dans le gouffre, en ai ramené la compréhension dont j’avais besoin. Formes horribles qui luttèrent dans mon esprit, m’y mordirent, et finirent par se fondre en un savoir que je peux assimiler avant que le temps ne me digère.
Je vois des barreaux dans ce puits, il est possible d’y descendre. Comme si le chien de garde maintenant me laissait passer.
Le gardien de l’entrée est vaincu, couché à mes pieds, ronronnant de la satisfaction d’avoir enfin un maître.
Univers blanc, mur matelassé ou papier, m’y jeter gratter, hurler par des mots qui s’inscrivent devant moi afin de me revenir.
Univers obscur dans lequel je peux plonger mon regard sans plus passer par le truchement de mon enfance.
Qu’imaginais-je ? Une tour gigantesque, je me souviens de cela, but d’une quête symbolisant le triomphe sur moi.
Univers des couleurs de la souffrance, des lumières de la folie, du sourire de la mort.
Mes complices !
Mourir sur un dernier cri, naître dans un premier soupir.
Ouvrir les yeux.
A toi qui as lu ces lignes de trouver tes murs, ton abri, d’y marcher en réfléchissant, en quête de toi-même.
J’ai écris en mélangeant passé et présent pour indiquer le chemin que je pris, espérant qu’il se continuera.
Veux-tu m’accompagner ? Je passe devant…