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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 05:40
Survivre au Mal - 1

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Un sursaut d’étonnement, un appel qui ne peut sortir d’une bouche trop occupée à chercher un air soudain rare. La certitude est là pourtant il veut douter, se dire non ; c’est inacceptable, donc faux.

Et pourtant…

Le jour n’est pas levé quand la voiture s’arrête, les poubelles doivent êtres sorties avant le passage de la benne. L’homme s’engouffre dans une allée qu’il connaît bien, comme tant d’autres. Gestes machinaux, le corps agit alors que l’esprit se promène lentement, alourdi par les restes du sommeil. La saleté, les odeurs, des présences quotidiennes qu’il a apprit à oublier.

Par habitude il enclenche la minuterie, traverse l’immeuble et atteint une petite cour, les containers sont là et… Une est trop pleine. Encore un crétin incapable d'un pas de plus pour jeter ses ordures dans un récipient vide. S’il pouvait s’y jeter lui-même ! Il rêve de bennes ramassant les gens et non les objets, imagine le monde ensuite… Ne pas redouter la solitude est un avantage, ignorer sa véritable nature en est un plus grand encore !

La main droite soulève le couvercle, la gauche se précipite vers le sac gênant… Le geste reste en suspend, l’esprit n’a pas compris que le corps est déjà sur la défensive. Il hésite, son cerveau n’admet pas le message transmis par les yeux. Il dort, voilà l’explication la plus logique, rêve de son boulot, cauchemarde. Ce genre de chose ne peut pas arriver, pas à lui. Il va ouvrir les yeux, retrouver son décor, appuyer sur le réveil à la sonnerie salvatrice et tout ira bien.

C’est une poupée ! Bien sûr, est-il bête, certaines sont ressemblante à un point troublant, c’est tellement mieux qu’un véritable enfant, une poupée il est permis de la jeter quand elle n’amuse pas.

Sa main gantée hésite pourtant, il sait qu’il devrait rabattre le couvercle, tasser ce qui empêche sa fermeture, tout serait si facile ensuite, tout. Il inspire profondément, serre le petit bras avec une force suffisante pour déplacer un jouet…

Dans le ciel les étoiles sont parties, lassées de l’odeur de sang montant jusqu’à elles.

Il recule, s’appuie contre le mur, le couvercle retombe mais reste entrouvert, sourire moqueur des choses. L’odeur des ordures lui fait du bien. Au loin la ville s’éveille en un murmure qui va grandir, un murmure qui jamais ne couvrira le cri muet d’un enfant assassiné.

Les marches sont difficiles à gravir, ses muscles réagissent mal fatigués par l’épreuve, alimentés par une volonté s’épuisant.

Sonner, attendre, recommencer jusqu’à ce que des pieds glissants sur le sol se fassent entendre, il devine qu’un judas est ouvert, qu’un œil l’observe, n’a-t-il pas l’air sincère, faut-il qu’il secoue le cadavre devant l’œil de verre pour convaincre ? Il demande à téléphoner, où qu’on le fasse, appeler la police, vite. VITE !

Enfin la porte s’ouvre sur un regard inquiet, un vieillard s’écarte et le laisse passer tendant le bras en réponse à sa question.

Il s’assied, décroche, fait le numéro à deux chiffres, attend et s’explique comme il peut. Surtout ne pas garder pour lui ce qu’il vient de vivre, se confier, se libérer, qu’un autre s’occupe de ça. Ce secret n’est pas le sien, le sort s’est joué de lui pour lui faire du mal. Il veut que l’on vienne, que l’on voit, que l’on sache ; qu’il ne soit plus seul à porter dans le regard celui, vide, d’un nourrisson.

Le vieil homme est effaré, il comprend ce qu’il y a dans la cour. Il a envie de voir, d’être sûr. Pas par curiosité, pour l’information.

Après tout il existe aussi de vieilles mouches !

                                        * * *

- La nuit a été courte non ?

Le commissaire Diatek ne dit rien, encore une de ces questions affirmatives n’attendant pas de réponse. Il s’engouffre dans l’allée insouciant des regards. La mort attire les faux-vivants ! Tout le quartier s’est donné rendez-vous. Un beau sujet de conversation, bien frais, servi à domicile, parler sera agréable, rassurant, frémir d’une peur rétrospective et injustifiée sera un grand plaisir.

- Affreux non ?

Un hochement de tête est une réaction qu’il juge suffisante. Effectivement le spectacle est pénible, même pour lui. Les petits bras du bébé, se tendent vers une mort qu’il ignore être consolatrice. La blessure est bien visible, le décor et la lumière blafarde rendent surréaliste l’image qui semble la composition d'un artiste perturbé.

- Égorgé !

- Je me doutais qu’il ne s’était pas fait ça en se rasant. Il était là ?

- Non, le type qui sortait les poubelle voulait déplacer quelque chose qui gênait, en comprenant de quoi il s'agissait il l'a lâché.

- Sans ce concours de circonstances la poubelle aurait été emportée, le corps n’aurait jamais été retrouvé ?

- C’est cela commissaire, exactement. Évidemment l’assassin espérait que le container serait emporté, son contenu brûlé.

- Pourtant il a couru un risque en le plaçant ici, un cadavre de cette taille est facile à faire disparaître. A mon avis il l’a mis là pour jouer, pas forcément pour qu’il soit découvert mais en sachant cela possible. L’autre poubelle est presque vide, il pouvait mettre le corps dedans et transvaser quelques ordures pour le dissimuler, il en avait pour une minute. La mise en scène n’est pas innocente.

- Nous pouvons dire que l’assassin ne jouit pas de toutes ses facultés.

- Méfions-nous d’un premier jugement basé sur peu de faits.

- Ce n’est pas une affaire de maltraitance qui aurait mal tourné, le cadavre ne porte pas de trace de coups, il a été égorgé, pas torturé, rapidement. Ce pourrait être une vengeance, ainsi s’expliquerait la poubelle, la mise en scène, une façon d’afficher son mépris non pour l’enfant mais pour ses parents qui seraient les véritables cibles.

- Connaître ses parents nous en apprendra beaucoup.

- Une prise d’otage qui aurait mal tourné serait rassurante ?

- Serait, mais comment espérer récupérer une rançon si le cadavre est déjà retrouvé. Cette hypothèse est celle qui tient le moins debout.

- Nous pourrions avoir affaire à un fou ainsi que je le disais.

- Les faits nous orienterons. Méfions-nous d'évidences pouvant nous emmener dans des impasses où nous perdrions trop de temps.

- Nous avons eu des disparitions d’enfants dans la région, le meurtre d’un bébé aura un retentissement d’autant plus important.

- Ce n’est pas le genre d’affaire dont vous avez l’habitude ?

- Loin de là, et j’en suis heureux, si j’avais pu éviter d’avoir à mener celle-là j’aurais signé tout de suite. Vous me direz que je suis modelé par les films à succès de ces dernières années mais je sens là-dessous l’action d’un psychopathe.

… Un de plus pensa Le commissaire Diatek sans rien dire.

- Ils sont à la mode, cela ne veut pas dire qu’ils soient derrière chaque crime atroce que nous voyons. La folie est plus rare qu’on le pense, la vraie, celle qui déforme les esprits, altère les perceptions et rend toute vraie compréhension problématique.

- Vous connaissez le sujet mieux que moi commissaire, il n’empêche que mettre des tueurs en valeur ne peut que donner des idées.

- À des esprits simples n’attendant qu’un coup de pouce pour sortir de la normalité. Les responsabilités sont ailleurs et je doute que nous soyons, vous et moi, apte à les théoriser.

- Heureusement que vous êtes là, j’apprendrai beaucoup avec vous. J’espère que nous n’avons pas hérité d’un serial-killer américain.

- L’image de la poubelle pourrait nous inciter au rapprochement. Parfois je me demande si l’Amérique est une boite à ordures ou un asile psychiatrique peuplé d’individus normaux puisque se prenant pour exemple ! Nous sortons du sujet, restons-en à notre affaire, les premières heures sont les plus importantes, notre tranquillité ne durera pas. Occupons-nous des témoins, s’il y en a.

- Non, quelques spectateurs, dehors, qui n’auront rien vu mais seront intarissable sur les lieux du crime et ce que nous devrions faire.

- Les tueurs se trompent de cibles ils devraient s’en prendre aux spectateurs.

- Ce serait une bonne idée.

- Ne l’ébruitons pas, elle jouerait en notre défaveur.

Diatek savait combien le témoignage humain était sujet à caution, pas forcément par volonté de tromper mais des regards observant le même spectacle voient des choses différentes. Comment échapper à son savoir, regarder sans plaquer sur la réalité des images puisées dans l'album de notre vie.

Il sait ce qu’il va entendre, des commentaires sur la sécurité qui fout le camp, sur tel ou tel individu louche qui regarda l’immeuble pendant trois minutes il y a deux ans. Les locataires se plaindront de ce qu’une porte d’entrée nouvelle n’ait pas été mise en place, chacun oubliant qu’il refusât de voter l’appel de fond requis par son installation. Pourquoi le meurtre n’aurait-il pas eu lieu dans l’allée d’à côté ? Quelle réputation va avoir l’immeuble maintenant, avec une sévère décote pour tout arranger !

Personne n’a rien vu ni entendu. En hiver les fenêtres restent closes, la cour est étroite, il faut se pencher pour la voir et les poubelles sont sous un auvent de protection. Le commissaire en fit l’expérience, n’importe qui pouvait, discrètement, jeter un paquet dans la poubelle.

L’assassin connaît l’endroit, il savait que l'entrée, donnant sur les quais, débouchait sur une petite rue face à parc public déserté en cette saison. Le commissaire note qu’un clochard venait souvent la nuit dans les caves. Il s’était installé des cartons, des couvertures dans un coin, heureusement ordre y fut mis. Et si c’était lui l’assassin dit-on au commissaire qui répondit qu’il allait voir...

Lassant d’entendre des gens qui, n’ayant rien à dire, en profite pour geindre ! Seul le jeune homme ayant découvert le corps eut quelque chose à dire. Il relata les faits succinctement, visiblement sous le choc et songeant à changer de métier, plus question de sortir les poubelles, il se demanderait toujours ce qu’il y aurait dedans, serait tenté de vérifier redoutant de trouver quelque chose.

Pour faire le point le policier retrouva son poste sur le pont suspendu, à deux cent mètres de là. Sans regarder l'eau il cherchait l’esprit d’un criminel qui devait lui ressembler. Tuer est une façon de se soulager, un médicament non remboursable !

Folie ? Oui, il la sentait, laide et attirante, repoussante et magnifique. Souffrance également, supportable jusqu’à ce que le plateau bascule.

Le bleu du ciel annonçait une journée glaciale, las il prit le chemin de son bureau, ailleurs un enfant en souriant prenait la confiserie qu’une main lui tendait. Heureux, souriant maître du monde.

Maître de rien… La preuve !

                                        * * *

- De la folie, de la folie monsieur le commissaire, qui pouvait nous en vouloir, à nous, à notre enfant, notre vie est tranquille, nous ne faisons d’ombre à personne. C’est l’œuvre d’un fou, c’est sûr.

Le policier ne répond pas, l’homme devant lui a besoin de parler, de se vider comme il peut en tentant de comprendre ce qui vient de se produire, de regarder en face une mort dont le contact violent lui est imposé. Les mots sont magiques, dire c’est aller mieux, repousser ou le croire. Pour la majorité, cela suffit. Les paroles ne lui rendront pas son enfant, cette chose froide et raidie, cette forme qui bientôt sera un souvenir. Quelques photos, un rêve que ses parents auront crus réels. Diatek en a tant vu, et des pires. Lui qui détestait les enfants en général et les nourrissons en particulier se trouve touché par cet assassinat. Le goût du jeu lui est passé, l’envie de vaincre un ennemi extérieur a disparu, le seul qui importe encore n’est pas hors de lui.

- Je comprends ! Tout sera, que dis-je, tout est déjà mis en œuvre pour arrêter le coupable et vous aider. C’est le rôle de la société de vous soutenir pour partager votre épreuve et vous dire, aussi banal que cela soit, que la vie doit continuer.

- La vie… J’ai… Nous, ma femme et moi, avons tellement attendu cet enfant, il était la promesse d’un nouvel avenir, pour lui nous pensions, nous voulions… Rien ne se réalisera, rien. Une vie a disparue, deux autres sont brisées que rien ne pourra plus reformer.

Sauf le temps pense le policier, conscient que la douleur peint en noir le futur mais les mois passant, l’obscurité s’estompe avec l’aide de spécialistes dans l’accompagnement des victimes ou de leur famille. Sur l’instant la douleur est si grande qu’elle semble éternelle, présence quotidienne que certains, il le vit, préservent comme un trésor, un gouffre dans lequel se perdre. Eux qui ne furent jamais que des absents trouvèrent enfin un emballage convenable. La vie sèche les larmes, reprend des couleurs et la peur du bonheur s’éloigne.

- Je sais que c’est de ma faute, j’aurais dû le surveiller, ne pas le lâcher des yeux une seconde. J'ignorais que la vie peut basculer en quelques secondes, une présence s’efface et l’avenir n’a plus de sens. Il était simple mais nous ne voulions pas davantage, voilà que c’est dans une vallée de larmes que nous pénétrons. Il faut l’arrêter monsieur le commissaire, il le faut, pour que nous comprenions. Tout est allé si vite. L’assassin n’a pas agit au hasard.

- Sans doute, nous interrogerons vos voisins, passerons le quartier au peigne fin, un indice nous mettra sûrement sur la piste. Dites-moi simplement ce qui s’est passé.

- Comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure notre voisin est un vieil homme, nous avons l’habitude de faire les courses pour lui, rien de bien contraignant mais quand nous pouvons nous entraider entre voisins pourquoi ne pas le faire ? Bien entendu avec le petit c’était un peu différent, à cause du chien.

- Celui du voisin ?

- Oui, nous avons fait les courses et laissé le landau dehors le temps de les rentrer, nous en avions pour une minute, à peine. Nous redoutions que le chien ne fasse tomber le berceau… Cela n’aurait pas été grave en comparaison de…

- En rentrant vous n'avez vu personne ?

- La rue était déserte, je ne me souviens pas qu’il y ait eu quelqu’un.

- En ressortant votre enfant avait disparu ?

- Voilà, nous ne nous en sommes pas aperçus immédiatement, nous avions remonté la couverture pour qu’il ne prenne pas froid, il nous a fallu quelques secondes, du temps perdu, si j’avais été plus vif tout aurait été différent. La rue était déserte, vous la connaissez, elle est courte, peu fréquentée. Je me suis précipité pourtant.

- Vous avez fait ce qu’il fallait en prévenant la police.

- La preuve que non. Il l’a enlevé pour le tuer.

- Nous comprendrons ses motivations quand nous l'auront arrêté.

- Si vous dites ça c’est que j’ai raison, il ne voulait rien d’autre, ce n’était même pas dirigé contre nous, c’était juste le besoin de tuer, rien d’autre…

- Personne n’était aux fenêtres ?

- Nous n’avons rien remarqué ?

- Si un détail, aussi anodin semble-t-il, vous revient faite m'en part, un détail infime peut suffire.

- Il faut que vous trouviez commissaire, il le faut, plus vite vous y parviendrez plus vite ma femme et moi pourrons ressentir un petit soulagement, savoir qu’il n’y aura pas d’autres victimes serait déjà quelque chose. L’enfance compte sur vous ?

L’enfance ? Un cri tournant en rond, une peur que rien ne calme, sinon l’oubli de soi.

Quelques questions encore, le commissaire veut éviter de revenir interroger le père, inutile de remuer le couteau dans la plaie. Une poignée de main, un homme en raccompagne un autre vers la porte. Le policier entend les verrous claquer, les pas s’éloigner, il devine que son interlocuteur se dirige vers la chambre pour y retrouver sa femme que les médicaments aident à encaisser le premier choc. Pour le second ce sera plus long, beaucoup plus long.

Diatek descend un demi-étage, s’arrête pour regarder par la fenêtre dans la cour. Un détail, quelque chose attendant d’être découvert. Il a toujours aimé se tenir près d’une fenêtre, observer l’extérieur en espérant que la réciproque ne soit pas vraie. Poste frontière entre l’ici et l’ailleurs. La lumière l'attire, remontant des profondeurs le dauphin fait surface pour replonger, ainsi fait-il tout en se disant qu'il ne serait plus capable d'atteindre les même abysses qu'autrefois, qu'avant...

 

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8 mai 2009 5 08 /05 /mai /2009 05:51

 

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Les années ne lui avaient pas appris si la nuit était un territoire hostile ou non. Il l’arpentait, imaginant le connaître mais tenant obstinément la tête baissée pour n’en voir que le supportable. Que celui qui ose se tenir droit lui jette la première pierre !

Une vie que l’on qualifierait de A la belle étoile ! Lui préférerait dire, avec un sourire moqueur : A la poubelle étoile ! Déchet parmi les ordures il conservait l’humour nécessaire pour n'être pas emporté par le flot des rejets de la société. L’ironie voile la lucidité sans l’éliminer, l’une va difficilement sans l’autre.

Figure amicale, douce, tendre et trompeuse, la nuit est aussi cruelle et mortelle. Avec la venue du froid s'impose le besoin de carburant. Le corps exige de l’énergie pour simuler la vie. N’importe quelle illusion suffit, même celle permettant d’oublier qu’elle n’est que cela. Alors les ténèbres se font linceul pour celui qui, peut-être, le souhaitait.

Cet apprentissage est de l’histoire ancienne, survivre dans une ville difficile prouve ses capacités, ou son obstination, comme un enfant réalisant qu’il choisit mal mais n’osant plus se dédire et passer pour un dégonflé.

Ses chaussures usées laissent passer le froid tentateur du sol, signe de venir s’allonger, promesse de trouver un repos bien gagné. Pourquoi suivre sur un chemin qui n’est qu’un détour ? Le but est proche, il le voit, y pense souvent sans se demander pourquoi il persévère, il s’apercevrait qu’il a des raisons, lui !

L’allée dans laquelle il pénètre est une bouche d’ombre gorgée de nuit, un couloir aux murs lépreux, au sol dallé que le temps transforma en puzzle. Un lieu qu’il connaît depuis longtemps. Il choisit au gré de son humeur, l’illusion de la liberté, de se dire que lui est un SCF, sans contrainte fixe, mais vit et dort où il veut. Les habitudes sont un formol qui noie le cerveau. Momie dans un monde de faux vivants il ne se détache pas des autres.

La marche à l’entrée est un piège, creusée par l’usage elle retient la pluie que le gel la transforme en danger qu’il convient de connaître pour lui échapper. Avertissement pour celui qui, n’ayant rien à faire là, doit se détourner et suivre les quais. Au bout du chemin un cimetière accueillera l’errant qui y trouvera une paix qu’aucun autre lieu ne pourrait lui procurer.

Cette allée communique avec l’immeuble adossé à celui dont elle permet l’entrée. Sympa d'entrer d’un côté pour sortir d’un autre.

Machinalement il se dit que les proprios de l'immeuble pourraient investir pour faire de cet endroit un lieu accueillant, propre, pour que le décor ne soit pas une pauvreté semblant un masque. Chacun préfère investir dans une porte blindée, le territoire est plus petit mais c’est chez soi. Bientôt les fenêtres s’ouvriront sur des murs et la porte sera réduite à une humatière ! Après tout ce n’est pas son problème même s’il regrette une époque moins difficile, quand la nature humaine était plus nature qu'humaine. La roue du temps est implacable, pourtant la solidarité s’affiche, donner se fait en public. Penseur chaotique il se dit que la civilisation est un vernis craquant au premier mouvement. Une lézarde suffit, tout passe, ce qui en sort n’est plus discernable.

Pas besoin de lumière, il ne coûte rien, la place qu’il occupe n’est prise à personne. Une bouffée de nostalgie lui remet en mémoire des concierges accueillant(e)s ! Aujourd’hui remplacé(e)s par des systèmes électroniques, sournois miradors à l’œil implacable.

Son monde a rétréci, peau de chagrin débouchant dans un établissement fleurant le désinfectant et les médicaments, le seul sourire qu’il rencontrera sera celui d’une grille, ses amis les plus proches ne survivront pas à un bon bain, propreté obligatoire. Sa ménagerie portative lui permet de se souvenir d’un corps qu’il ressent si peu, un emballage dégradé par le manque de soin, une apparence proche de la caricature. Il est un vieil immeuble à peine habité encore au dernier étage par une âme que personne ne cherche plus. Autrefois les regards lui faisait mal, avant qu’il comprenne que c’était de s’y distinguer qui le blessait. Depuis qu’il fait abstraction de lui-même tout est simplifié. Le moi n’est-il pas haïssable selon Pascal ?

Ni peur ni répulsion autour de lui qui s’inscrit dans le décor, ruine parmi d’autres qui ne se reconnaissent pas telles.

Il sourit aux murs, d’une main les caresse comme un chat affectueux et complice Le temps ride tout, l’immeuble est une peau, lui-même est derrière un rempart qu'il voudrait oublier.

Se savoir vu l’effraierait s’il ne percevait plus cette compassion cannibale qu’il devine derrière les propositions d’aide, les mains tendues et les sourires les plus sincères. Il est encore un nom, de plus en plus un numéro, un cas social parmi tant. La quantité le dissimule. Les bouches prononçant son nom semblent désirer s’essuyer, à se désinfecter.

Propreté !

Sa main s'interrompt, la porte donnant sur les caves qu’elle s’apprêtait à pousser n’est plus la complice habituelle. Ils n’ont pas déjà fait ça ?

L’obscurité dissimule le sourire sarcastique de la surface glacée qui dévora sa vieille amie. Celle-la ne se laissera pas attendrir.

Le désespoir est un souffle fugace. Ça devait arriver ! Sa surprise n’est pas si grande, c’est normal, normal ! Rien de grave, rien !

Rien ?

Rapidement il passe en revue les lieux susceptibles de l’abriter pour la nuit. Il a envie de solitude, de s’allonger dans un endroit qui ne sera pas une morgue et de se réveiller avec l’impression que le monde aura changé. Les gens tombés dans la rue s’accrochent au trottoir afin de ne pas choir dans le caniveau, la société n’attend que cela, ils seront nettoyés, traités, aseptisés.

Il comprend la violence qui se libère mais frapper un mur, ou une porte blindée, ne fait mal qu’à soi, c’est cogner un semblable qui est douloureux, exigeant une anesthésie d’autant plus profonde que c’est soi qui l’applique.

Qui l'accueillerait aimablement s'il demandait l'hospitalité ? Si cela arrivait il s’enfuirait, certain d’être tombé sur un monstre.

La prison ? Belle idée ! Un toit, de quoi manger, de la chaleur, mais la promiscuité, la dignité…

La quoi ? La sienne a disparue depuis longtemps, ne subsiste que l’honnêteté de s’avouer qu’elle ne lui fut pas retirée, c’est impossible. Elle est une peau sensible que l’on abandonne pour survivre dans les conditions les plus difficiles.

Chaque nouveau jour est une victoire, qu’il ignore contre qui ou pour quoi n’y change rien. Son sac a beau être lourd de désillusions n’y trouverait-il pas, dans le fond, quelque chimère attendant sa liberté, pour être détruite par une civilisation prédatrice ? Ne s’y trouverait-il pas, caché à ses propres yeux ?

Plus haut, loin au-dessus de lui, des gens parlent, rient, pris dans le confort et la routine comme des mouches dans une toile d’araignée, ou comme des mouches jouant à des araignées et tissant de fausses toiles pour s’y perdre, jouant les victimes.

Lumière artificielle, société artificielle, dans la rivière du néant ces diptères ne prendront rien.

Bientôt, il en est sûr, les battants s’ouvriront, les murs s’effondreront, il le sait, le sent, le voit, la vraie lumière s’insinuera partout et aucun blindage ne pourra la contenir. Il le veut, sinon pourquoi s’acharner à marcher encore ? Un pas, rien qu’un, mettre le pied dans un autre monde, le nôtre ! Voilà son espoir, sa plus belle utopie !

Haine ? Si peu, il ne sait plus mordre, ses lèvres s’étirent pour sourire mais ne s’ouvrent plus, son corps est las. Ainsi parlent les ans, il tend une main en murmurant quelques mots que personne n’écoute plus, chacun les connaît. Il a intégré le mobilier urbain. Les passants ne lui donnent pas une pièce pour soulager leur vessie mais leur conscience. Où est la différence ?

Il ferme les yeux, un vertige le saisit, s’allonger là, leur crier de la dernière façon possible un inutile défi. Mourir devant leur porte… Ils n’en seraient pas dérangés, un jour viendra ou chaque matin passera le camion ramasseur des cadavres de la nuit.

Un bruit, une présence, peut-être… La rivière est proche, un rat en quête de nourriture s’amusant de ce primate angoissé. Il n’est qu’un clochard, un SDF comme on dit, trois lettres voisines sur un clavier. Changer un nom est plus facile que changer de vêtement.

Allez bonhomme, prends-toi par la main, emmène-toi ailleurs, vers… Les verres ! Les vers ?

* * *

Dans l’ombre ce n’est pas un rongeur qui observe sa silhouette à peine visible sur fond de nuit, puis disparaît vers l’extérieur.

La nuit ne manque pas de mains pour compter ses victimes.

Un croc d’acier a mordu, le clochard n’a pas remarqué le sang dans lequel son pied s’est imprimé, une vie va vers sa fin, une autre vient de voir son fil tranché, routine.

Une main soulève un couvercle de poubelle, non pour dissimuler le cadavre mais pour le mettre à sa véritable place.

La respiration est calme mais le nuage de condensation paraît émaner du vide. Il faut retourner vers la vie, vers la scène. Ailleurs une mère pleure, son bébé a disparu, elle ne s’absenta pourtant qu’une minute.

Il y a si peu de différence entre un berceau et une poubelle !

* * *

Le sommeil ne l’attire pas. Pas question de puiser dans des somnifères le rejet du monde, pas davantage dans l’alcool ou une quelconque drogue. Tout cela lui est étranger, tout ce qui vient de l’extérieur paraissant un aide, il en connaît les effets et si, parfois, il fut tenté de les utiliser il sut résister à ces tentations.

Ce mot : étranger, amène sur son visage un curieux sourire, c’est à lui, d’abord, qu’il l’applique, étranger à ce monde et à ses règles ?

Il voudrait pouvoir répondre oui. Un temps il le fit et conforma sa vie ou ce qui en tenait lieu à ce désir.

Dormir n’est pas plonger dans le néant pour un tour de manège sans importance, c’est retrouver des ombres, apercevoir des formes floues sur fond d’une lumière vacillantes. Cette porte lui fait peur, lui qui, si souvent, un ouvrit une de papier.

La lueur venant de l’extérieur révèle son plafond et la forme des dalles de polystyrène qu’il y colla, une fois ce travail achevé il constat qu’ainsi le plafond semblait matelassé comme certaines cellules, cages aux barreaux intérieurs. Ouvrir la bouche est une erreur, parler c’est aspirer le vide, s’y enfermer.

Peu de sommeil lui suffit, au fil des années il apprit à dormir n’importe quand, n’importe où, quelques minutes suffisant pour recharger ses accus. Le puits du temps est une bouche sombre de laquelle il remonta trop souvent un seau trop plein avant de l’y renvoyer avec plaisir et angoisse. Ainsi pensait-il vider le vide…

Les murs sont peints de bleu et de blanc, le mobilier se compose outre son lit de deux bibliothèques qu’il fabriquât lui-même. Des milliers de livres qui jalonnèrent son passé ne restent que ses préférés qu’il n’ouvre plus, il lui suffit de les prendre en main, de retrouver un titre, un nom, alors le passé s’entrouvre et à travers lui surgissent les images dont il est imbibé.

Un mouvement pour se lever, quelques pas, la fenêtre, une longue cour serpentant entre plusieurs immeubles, les poubelles attire son attention, le monde attend d’être ainsi, abrité sous un couvercle orange ! S’il fermait les yeux il reverrait l’enfant qui y jouait, il entendrait le bruit de son ballon contre le mur, de ses pieds sur le sol. Mais il ne baissera pas les paupières, l’âge a détruit ses fantômes.

La solitude ne le trouble plus, il lui serait aisé de la rompre, avec la réalité, avec rien, il ne peut oublier qu’une porte l’attend, ni que derrière il est attendu.

Inutile de rester droit comme un imbécile, le sommeil ne viendra pas, autant sortir. La nuit est une amie qu’il retrouve avec plaisir, le froid une contrainte qu’il apprivoisa pour s’y plonger, y figer ses pensées, arrêter l’horloge.

Une longue écharpe, orange, un vieux manteau surgi du passé, un déguisement qui, lui aussi, l’attendait, d’antiques chaussures de marche, l’équipement idéal pour laisser ses jambes penser pour lui. Le corps fonctionne seul, l’esprit baguenaude, se promène, évitant les zones de lumière et les portes closes depuis trop longtemps.

Plus jeune, il s’imaginait arpentant les rues d’une ville déserte, certain d’être le dernier, qu’il ne trouverait plus âme qui vive.

Le dernier, le premier, le seul.

Seul.

L’obscurité fait peur, d’innombrables lampadaires tentent de la repousser, la lumière artificielle ressemble à ces bandelettes protégeant de la corruption d'antiques momies. Autour des ampoules gravitent des fantômes ayant du mal à croire encore à leur existence et s’efforçant de tourner toujours plus vite.

Peu de fenêtres montrent encore quelque lumière visible de l’extérieur, le plus souvent elle trahit l’oubli d’éteindre le poste de télévision quand l’endormissement emporte qui se laissa prendre à ce qu’il nomme la mangeoire électronique ! Fenêtre donnant sur un monde qui ainsi semble de moins en moins véritable.

Il se voudrait fauve, prédateur dans une jungle de béton, c’est un peu ce qu’il est ou aurait dû être s’il avait accepté de céder aux sourires de démons tentateurs, alors ses ultimes cris de défi se fussent perdus dans une pièce étroite aux murs capitonnés.

Marcher lui fait du bien, ainsi perçoit-il son corps comme une réalité. Un temps, pas si lointain, il lui semblait que les jambes qu’il voyait ne lui appartenaient pas… Il est donc vivant, habité par une force épuisée et une violence qu’il voudrait tarie.

C’est la saison des morts. La nuit refluera en laissant derrière elle quelques formes raidies, quelques bouches ouvertes sur des appels que nul n’entendit. Les cris des morts sont pourtant plus acceptables que ceux des vivants !

Quand la mer se retire restent les trésors et les déchets, il est bien placé pour savoir combien les différencier est difficile.

Combien de larmes la nuit absorbera-t-elle, combien de vies aura-t-elle saisie ? La mort est douce disent ceux qui affirment l’avoir vu mais ne distinguèrent qu’une vitrine sans apercevoir l’arrière boutique ni la tenancière. Facile de faire joli, de peindre, de feindre. La réalité est autre, peu en eurent un aperçu, peu la virent laissant glisser son masque pour apercevoir fugacement et éternellement la vérité.

Des yeux fous d’une faim inextinguible ? Non, éteints comme les promesses du repos. Un sourire garni de crocs prêts à se repaître d’une âme de plus ? Non, des dents froides dont les morsures ne s’effacent jamais. Une bouche qui voudrait embrasser mais ne sait qu’arracher, un regard qui se cherche mais ne peut se trouver, un vide qui ne sait plus se perdre en lui-même et au fond duquel s’aperçoit la promesse d’un désespoir infini.

Il a trop singé Atropos pour ne pas en savoir trop.

Normal d’imaginer un futur et surtout un ailleurs lumineux quand la vie stagne dans la vase d’une fausse obscurité, immobile par excès d’une lâcheté trop lourde. Les serfs rêvent du château mais refusent d’y entrer dès lors que l’offre leur en est faite.

Le pire n’est pas de mourir, dit-il parfois, c’est d’y survivre. Une jolie phrase qui lui plut avant qu’il n’en saisisse le sens pour ne plus pouvoir l’oublier.

Il sent la mort à l’œuvre, devine dans les ténèbres un esprit hanté au point de devoir se libérer par un cri qui laissera en écho déchiqueté.

Don ou malédiction ?

Où est la différence ?

Il perçoit le crime comme un requin sait que le sang vient de couler à des kilomètres. Il connaît l’envie de tuer lui qui aurait voulu l’abandonner dans sa cellule aux murs minces mais indestructibles.

Cette nuit, quelque part, pas très loin, un crime vient de se commettre, imperceptible aux autres dont les sens sont atrophiés par la civilisation. Il brûle sans se consumer, quand cette chaleur s’éloignera il retrouvera le goût du froid venant par l’intérieur.

Dans quelques heures il se penchera sur un cadavre, il trouvera le besoin plus que le plaisir de tuer, une envie de fuir sa propre mort dont on ne sut pas s’accepter survivant.

Don ou malédiction, quel est le plus coûteux ?

Ses pas l’ont conduit vers un vieux pont suspendu désormais interdit à la circulation automobile, appuyé contre le parapet il se remémore l’instant où il faillit se jeter de cet endroit. Son corps serait tombé, aurait été saisi par la rivière, brisé contre des roches qu’il voyait plus puissantes. Un tintement le retint malgré lui, une seconde de plus…

Chance ou malédiction ?

Il aurait pu mourir définitivement.

Loin au-dessus de sa tête les étoiles sont indifférentes, combien de celles qui paraissent l’observer sont-elles encore en vie ?

Ses réflexions l’entraînent sans le perdre. Il a besoin de s’en soulager, qu’importe si elles disparaissent, elles passent par lui le temps d’un éclair de lucidité, de souffrance.

Un jour, une nuit, il n’y tiendra plus, sa lâcheté l’écœurant il rouvrira le placard, l’abri dans lequel il s’enfermait pour écrire.

Des gens dorment, d’autres pleurent, joie et malheur. Des corps se rapprochent avec violence, certains cessent de lutter alors qu’il en est désirant une heure, une minute, une seconde de plus. Inutile grain de sable dont la peur se repaît.

S’obstiner, malgré soi, malgré tout, s’accrocher à ce qui paraît n’être que du vent.

Naître… Que du vent.

Une ombre range un couteau, une femme tourne en rond, déjà coupable, un clochard demande à l’amie sortie de sa poche un soutien pour quelques pas supplémentaires.

Le flot du temps l’emporte, lui qui ne fait que chercher le gouffre dans lequel se jeter pour une chute en forme d’éternité.

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Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

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