Je me souviens du premier qui soit venu devant moi, c’était… il y a des années, peu importe après tout, le temps ne compte pas, il coule sur moi sans m’altérer, alors que sur eux…
Il était grand, lui, obligé de se baisser quand il se rasait pour voir sa tête en entier. Il en prenait du temps, pas question qu’un poil fasse de la résistance, qu’un bouton de sa veste pendouille, que le pli de son pantalon ne soit pas impeccable. Vers la fin je l’entendais marmonner, il parlait des veaux… Je n’ai pas tout compris, pas mais je ne suis pas là pour ça. Je me souviens qu’il était content de partir. Le suivant était différent, amateur de poésie, il en récitait chaque matin pour se motiver en début de journée. C’est amusant comme ceux qui ont défilé devant moi se piquaient de littérature, peut-être auraient-ils mieux fait de se piquer tout court mais je ne suis pas censé pouvoir faire de l’esprit, ce n’est pas ma nature.
D’ailleurs quelle est ma nature ? Peu importe, nous y reviendrons ! Ce deuxième, donc, je l’ai vu changer, gonfler et quand il se penchait sur moi pour s’observer le fond des yeux il ne voyait pas l’ombre de la mort qui s’avançait, elle était cachée derrière les mensonges de ses amis, peut-être au dernier moment s’est-il rendu compte de son état, à moins qu’il n’ait été abruti par les médicaments. Tant le sont sans !
Le troisième ? Si j’avais pu rire je ne m’en serais pas privé quand il tentait d’un doigt mouillé de coller sa mèche pour avoir l’air moins chauve. Et je ne parle pas de son petit air satisfait quand il se reculait pour admirer son œuvre. Je le revois la dernière fois qu’il est venu ici, il avait pris vingt ans, mais il ne fallait rien montrer, c’eut été déchoir de l’idée qu’il se faisait de lui-même.
Finalement il n’est pas tellement tombé de haut !
Le suivant ? C’est celui dont je garde le plus de souvenirs, et pour cause, il est resté le plus longtemps. Record à battre. Lui aussi s’aimait beaucoup, un trait de caractère pour arriver jusqu’à moi sans doute, sans oublier le mépris nécessaire pour supporter les lèches-bottes. Contrairement au deuxième lui a fait face à la mort, c’était un duel qu’il a fini par perdre bien entendu mais après avoir quitté ces lieux, à croire qu’il m’avait choisi pour complice, pour témoin, sûr que nulle trahison n’était à craindre de ma part, contrairement à…
Mais je ne sais pas plus cafter que trahir, je ne suis pas humain.
L’actuel ? C’est le moins marquant et pourtant il passe chaque matin avec bobonne qui lui rappelle l’ordre du jour alors qu’il se passe de l’autobronzant pour ne pas faire son âge, extérieurement, parce qu’à l’intérieur, j’ai un cousin du Val de Grâce qui m’en a parlé, mais je garde cela pour moi !
Finalement c’est Bernadette qui me manquera le plus !
Le prochain ? Je le vois venir, du reste il est déjà passé, en cachette de son maître, pour reconnaître les lieux, je me souviens de son sourire, il prenait rendez-vous mais il a besoin de talonnettes pour s’apercevoir. L’avantage c’est que je le reconnais facilement, à ses cornes !