09
Le vent sèche ses larmes, celles de souvenirs trop violents, un pas de plus, combien encore à vouloir, combien de temps à tenir si cette question a un sens dans un monde où demain est improbable ? Je voudrais que s’éclaire le chemin. J’ai refusé celui-ci dont les pièges sont si visibles que les éviter en est un, le vrai, le pire. Refuser la vérité est une tentation que je repousse sans pouvoir la détruire.
Ma destruction serait une (dis)solution en forme de soulagement, mais pas encore, j’ai à faire. Quelques pas, des images à dépasser, un moment que je peux feindre d'oublier. Je trahis ce pour quoi je suis fait mais quelque rêve que je doive tenter, pourquoi pas ?
Le soleil me terrifie, j’attends la nuit éternelle m’engloutissant faute de recouvrir ce monde répugnant. Je, cours d’une aventure à l’autre, fuyant l’immobilité qui noierait mon esprit sous les émotions. Chasseur d’une proie inaccessible. Prédateur pour oublier ma nature.
L’oiseau a des ailes, s’il supporte le pouvoir du serpent il s’envole, quel serait son intérêt à aller vers celui qui voulait l’engloutir ?
Il ne fuit pas, sait ce qu’il peut supporter, nourrir un autre appétit et ressentir sa propre vie ! Il n’attend et n’espère que cela.
Je n’y suis pas seul, une main se pose sur mon bras.
* * *
Mille regards, traversent le temps, transpercent la nuit, les contraires, pour la première fois, se rejoignent et s’unissent. Pureté et voracité, proie et prédateur, ombre et clarté trouvent un langage commun.
Il a saisi la main de l’enfant, leurs regards se mélangent, le vert de l’enfer et le bleu des cieux, l’impossible devient réalité !
Lui qui a tant menti, manipulant ses pensées craint les mots qu'il va découvrir sous une poussière séculaire.
Elle sait qu’au fond de l’abîme un reste d’âme attendait l’opportunité de se révéler, une flaque de lumière cherchant à refléter mieux que la noirceur d’une vie gorgée d’épouvante.
Par la magie du lien de nouveaux souvenirs reviennent, il voulu, il y a longtemps, parler, en eut la force, un mou dans sa laisse, mais nul ne prit le temps de chercher le réel derrière l’incroyable. Il évoqua un mystère ancien, une force à laquelle il s’était ouvert pour affronter le temps, la mort, pour défier hommes et dieux, il ne comprenait pas le sens de ses paroles, trop d'énigmes à ses propres yeux, alors ils se jetèrent sur lui, le frappèrent pour le tuer, quand la première lame pénétra son corps il fut surpris de ne rien ressentir, un souvenir lui affirmait qu’une telle blessure devant le faire souffrir, il n’en était rien. Les autres coups l’emportèrent du mauvais côté.
Par la main d’une enfant dans la sienne, sur fond de mort il découvre la perversité qui le manipulait, combien son espoir le fit pencher comme attendu. En ce temps il aurait pu… Inutile de chercher ce qui jamais n’advint. Il reçut le plaisir de son pouvoir comme un cadeau. Les images disaient une vérité qu’il ignorait aussi sombre. Inutile de s'excuser, rien n’effacera sa responsabilité. Il ne peut remonter le temps lui qui s’en crut maître, qui vit défiler les siècles puis les millénaires, naître des royaumes et s'effondrer des empires jusqu’à cette civilisation qui mourra de sa volonté dans ce camp d’atrocité. Une porte entrouverte sur une puissance qui le veut immortel.
Dire, puiser dans le passé des mots inusités, des désirs accélérant le cœur, ou son ombre, ainsi ressent-il la vie. Un nouveau piège peut-être, croire bien choisir et découvrir que la liberté en laquelle il crut n’était que le relâchement de ses liens. Le doute est un acide implacable, il détruit les idées fausses ou les renforce, comme la peau se durcit pour se protéger. Comment savoir ?
En lui demandant.
Il prit l’initiative, sans rien dire ils traversèrent le camp de la mort, respirant les mêmes cendres, la même angoisse, sentant couler sur eux une haine décuplée par l’incompréhension. Tous plaignaient cette enfant pourtant plus forte que lui, tous auraient voulu l'attaquer. Pourquoi pas ? Les gardes connaissaient leur maître, cet être étrange nourrissant leur fanatisme par les pouvoirs le cachant, comme un voile d’obscur masque le visage sombre d’un dieu ricanant en contemplant ses esclaves. Les dieux, faits à l’image des hommes, le regrettent.
Il voudrait l’irréalisable, être un d’autre, promis à une mort salvatrice dans les tourments du gaz. Il découvrait la malédiction d’étreindre la mort en souriant, de laisser pénétrer le froid, l’assimilant, goûtant l’horreur comme un met délicieux. Il fut une bouche, une porte entre deux mondes, entre l’ailleurs et un être ayant besoin de lui pour se développer. Ce qui va naître n’est pas un papillon aux ailes de lumière mais... autre chose. Comment qualifier ce qui existe depuis toujours, comme un risque et une attente, un pouvoir contre lequel nul ne peut rien, une violence sachant sa victoire prévue dès l’Origine. Il lui faudrait réfléchir à ses pensées, les regarder. Interdit ! A quoi bon agir quand apparaît le gouffre, comment oser face à l’impossible ? Drame de la vie découvrant sa fragilité et son envie de dépasser ses limites pour, brisant les chaînes du réel, avancer dans l’inconnu. Nouvel échange traversant le temps, il ne saisit pas, espère… mais quoi ? Qu’un autre se saisisse de lui, l’utilise en justifiant ce qu’il fit.
La main de l’enfant brûle la sienne, une souffrance sans marque, une violence réveillant ce qu’il avait cru enseveli sous une montagne de morts, de tortures, de plaisirs obscènes. Elle se souvient des contes, peut-être s’agit-il de la puissance décrite par ses parents, une réalité dépassant ce qu’ils en comprenaient. Elle écoutait la sensation venant d’un temps lointain et sauvage, parlant d’un avenir inconnu et puissant. Au présent les battements de son cœur affirment qu’elle agit comme il le faut. Que lui importait les autres. Beaucoup l’ont vu partir avec soulagement, si par son sacrifice... Il n’en sera rien, chacun aura ce qu’il mérite. Son grand-père est mort, l’homme qui prit sa main en est responsable pourtant elle est sans rancune, ses yeux d’enfant déchirent l’étoffe usée d’un masque désormais inutile.
Elle a tant à dire, à découvrir, l’image lui vient de ces fleurs poussant sur le champ de
bataille. Ainsi de la mort naquît une vie, fragile et belle mais digne de ce nom. C’est ce qui peut arriver ici, l’innocence n’est pas à offrir, c’est sa culpabilité vécue comme un plaisir qui
peut avoir de la force, non en geignant, en implorant un dieu reclus au fond des plus sombres cavernes du présent, lieux de cultes étourdissant la conscience et la maintenant dans sa fange
originelle.
Dans quelques minutes le soleil se lèvera, un jour neuf sur une nouvelle réalité. Le pire attend l’étincelle de lumière lui ouvrant la porte sur le monde, les portes, des millions, des milliards… Un univers de portes. Il est la première, ouvrant sur les autres. C’est confus, trop d’images, manque de temps, mais l’avenir recèle des prodiges tels que ce qui paraît vain pourra être utilisable. Il le ressent sans s’y arrêter, lui viendrait, l’envie de broyer son reste de lucidité. Ses interrogations lui apprennent le goût de la vie. Redevenant monstre il se ruerait sur la proie si fragile à ses côtés, la détruirait en d’infinies tortures. Il eut des millénaires pour parfaire son art, pour puiser l’ultime goutte de vie, ne rien laisser dans le corps ou l’âme de celui ou celle qui eut la malchance d’être son élu.
Lui ?
Seulement ?
Tous le salue, un reste de compassion leur fait esquisser un sourire, le plus souvent il s’agit de désir pour cette jeune fille qu’il va détruire, objet dont il videra les ressources avant de la conduire à la mort.
N’est-ce pas ce qui arrivera malgré tout ? Non en soulignant l’évidence naturelle de
la mort mais d’un chemin les conduisant ensemble au néant même si rien à ce jour ne put venir à bout de lui, les blessures les plus graves furent effacées par le pouvoir phénoménal dont il est
l’émergence et l’esclave, il peut chercher dans sa mémoire rien n’apparaît qui lui apporterait la paix.
Vivre ne lui apparut jamais comme un plaisir s’il s’agissait de faire comme les autres. Mariage, enfant, obéissance à des règles apportant cette routine creuse dont se satisfont les esprits vides. Jamais elle ne s’autorisa à penser ainsi, parfois un regard dans un miroir pour se dire son apparence n’était qu’un mensonge, que la vie qui lui était imposée était une trahison. La qualité ne rime pas avec la quantité ni avec la ressemblance avec le modèle terne dont se satisfont ces coquilles pleines de cadavres se voulant représentants de la civilisation. Elle en voit le résultat, en ressent les conséquences. Des mots obscurs jetés là pour un minimum de précision. Il lui expliquera et s’il ne le fait pas tant pis. Ils resteront ensemble et cela suffira.
Un portail, un petit jardin, des arbustes, un grillage, la maison a l’air d’un coquet pavillon de banlieue tenu par un personnel préférant cela à trimbaler des cadavres. En regardant alentour l’image change, banlieue peut-être, mais d’un cimetière en marche, vies pourrissant avant d’être achevées.
Une porte de bois et de verre, un autre monde derrière l’apparence et les murs anodins, une dalle posée sur une gueule infernale béante.
Il ouvre, s’efface, la regarde entrer sans hésiter, hall dallé, gris blanc, miroirs, porte-manteaux, des tableaux bien choisis, il suffit d’avoir les moyens, du goût et l’opportunité de se servir dans les musées ou les collections privées dont le propriétaire ne reviendra pas.
Un souvenir, un nom que l’histoire dévorera comme elle dévore tout.
Elle regarde, l’air frémit de peur devant une présence différente, la maison n’a connut que du sang, des morts, les gémissements volés ou arrachés, il y a si longtemps qu’aucune enfant n’y vint qu’elle ne sait plus, qu’elle se sent sale, pour autant qu’une demeure puisse ressentir quelque chose, pourquoi pas, seule compte la sensibilité de celui qui peut admettre que l’inanimé n’est pas la mort, et l’inverse ?
N’en est-il pas l’exemple ?
Est-il donc mort pour ne pouvoir mourir ?
Pour l’instant lui présenter les lieux, la salle de bain, la crasse n’a pas altérée sa beauté, au contraire, ensuite faire venir de quoi manger, retrouver des forces après un sommeil long et réparateur. C’est lui qui l’imagine, lui qui en a besoin, il préfère la sentir devant lui, imaginant une vie différente de celle des dernières semaines. Le temps passe si vite et c’est pire pour qui peut le défier, le regarder en souriant, confiant en un pouvoir sans rival.
Il a envie de faire le point, seul face à ses pensées en se demandant si ainsi il ne perdrait pas du temps à voiler ses désirs, ses envies, lui qui ne sait plus trouver la paix pour lui avoir dit non.
Elle s’est arrêtée devant la porte de la cave, il n’ose pas parler, elle va choisir autre chose, l’escalier, l’étage, le salon si confortable, la bibliothèque, les œuvres d’art anciennes, ses préférées, souvenirs de jeunesse si ce mot signifie quelque chose pour lui, tout au plus paraît-il la trentaine, trente-deux lui dit-on un jour, amateur de symboles il pourrait voir qu’un an de plus signifierait une transformation.
Une résurrection ?
C’est peut-être ce qu’il craint, retrouver le goût de la vie, sans le re, qu’il voulut fuir en prenant la voie la plus violente. Éprouver la vie le temps de la perdre. Pourquoi s’y accrocher ? La peur, il le sait, ne se justifie pas face à la mort, elle est un moyen de la refuser. Vivre dans ces condition est une trahison.
La main sur la poignée elle hésite, ses pensées refusant qu’elle ose. Ce qu’elle attendait, l’interdit est ce qu’elle veut découvrir ! Elle ouvre et l’air glacé la fait reculer. Il lui serait facile d’intervenir, de claquer ce battant qu’il croyait avoir fermé, il souhaitait donc qu’elle vienne là, il le désirait pour n’avoir pas à s’imposer son propre désir, pour se cacher derrière une enfant, image de l’innocence dont il est capable de se servir encore en cet instant, si proche de l’horreur, si proche d’un temps qui revient, déjà il n’est plus dans cette villa banale. Où ? il n’en sait rien encore, l’éclairage est différent, devant lui l’enfant n’a pas changé, un moment il crut… Quelque chose se passe, un temps se substitue à un autre, illusion, la réalité change en son esprit. Ce qu’il espérait et redoutait le plus, ce qui ne pouvait arriver par sa volonté. Il fallait une intervention extérieure, une force à peine quantifiable, suffisante pour faire pencher la balance. Lui aussi passe la porte, descend l’escalier, s’étonne qu’il dure si peu de temps, il aurait cru... mais il se trouve dans un simple sous-sol et son esprit adapte le réel a ce dont il veut se soulager, si sa volonté n’a plus d’importance c’est qu’une force voulant se libérer s’impose, une force qui n’attendait que cela, une force patiente mais inéluctable.
L’enfant s’est approchée du puits.
* * *
Une atroce petite voix me dit de repartir, de chasser cette impression. C'est qu’un rêve puisé au fond d’un passé perdu qui ne m’appartient pas, plus, ne fut jamais que délire. Je revois cet instant si violent qu’il reste en creux dans mon esprit, une blessure qui restera ouverte. Ainsi en est-il d’empreintes imposée à une vie qui n’en voulait pas, je n’ai rien… Si ! J’ai tout accepté et dois l’admettre. Ce lieu est celui des jugements, le tribunal intérieur que toute âme affronte un jour. Une balance, un test qui jauge l’esprit, sa force, sa précision, aucun mot n'exprime ce que je veux dire, les phrases tissent une trame qui sera l’écran destiné à recevoir mes pensées les plus intimes, mes effrois les plus moqueurs. J'ai besoin de m'expliquer, non pour tout réduire à ma petitesse mais pour me hisser à une hauteur dépassant ce que je soupçonne. j’ai cru vivre sous un poids, la peur me fit courber le dos, la panique face à un pouvoir dont vais découvrir la nature. Sous la forme d’une main qui m’entraîne alors que je n’espérais plus rien. Il en va ainsi, toujours. L’esprit se doutant de ce qui l’attend ne fait plus rien. Le mien… Le mien ? Est-il à moi, est-il moi ? Interrogations futiles, je ne suis bon qu’à errer sans rien désirer qu’un temps sans âme sur lequel je glisserai éternellement.
Des mots vides sourdant de moi pour lutter contre le courant.
Je sais qui est là, présence née de mon imaginaire, d’abord, puisée dans une ancienne réalité, je sais ce que je vécus, la camarde arrachant son masque en face de moi, me révélant sa vérité. J’étais si jeune que j’ai oublié, suivant un chemin de violence jusqu’à…
Jusqu’à cette main ! Celle de ma conscience, de mon enfance ? Je ne sais plus, les mots et les pensées filent vite, je ne peux m’arrêter pour deviner ce qui vient. Courir est vain si aucune destination n’est à atteindre mais je suis aspiré par une violence que je perçois, que j’ai envie d’affronter, d'absorber, de digérer ! Le temps se déchire, mon esprit s’accroche pour résister à une pression intérieure trompeuse. Ne pas ralentir, le suaire du néant m'envelopperait, c’est ce qui m’attend, que je redoute et désire plus que tout.
Traverser ce mur protégeant la vie au plus secret des cellules pour entendre un message murmuré depuis l’aube des temps. Un message que je pourrais entendre si... Mais comment affronter le visage d’une enfant morte et glacée ? M’y accrocher serait renier, renoncer, trahir. Il m’est interdit de continuer ainsi, hésitant. Affronter est la solution.
Me retourner, la regarder, l’affronter…
- Bonjour.
Je ne peux rien dire, rien, les mots sont en moi, elle le sait.
- Bien sûr que je sais. Je perçois tes mystères mieux que toi, je suis celle que tu voulais n’est-ce pas ?
Je sais que non, je sais !
- Ce n’est pas en la mort que tu crois malgré le plaisir pris à tuer.
C’est vrai, je l’ai reconnu.
- Est-ce que cela change quelque chose ?
Cela change tout, j’ai affronté mon passé, que faut-il de plus ?
- Ton père ?
Je l’ai laissé mourir dans son puits, il le méritait.
- Un enfant n’a pas à juger ni condamner son père.
Il avait besoin de moi pour mettre fin à un chemin d’horreurs que j’ai dû continuer pour affronter ce qu’il savait en nous. Ce lien dépassant nos vies, tissé il y a si longtemps, tu ne peux me le reprocher, je ne suis plus un enfant, un homme peut en juger un autre.
- Un homme ?
Oui ! Je fus seul lésé, je n’ai rien demandé et j’hérite d’une étrange malédiction, d’une chance incroyable.
- Il faudrait savoir.
Il n’y a pas de différence entre les deux.
- Voici qui surprendrait.
Les ignorants, toi et moi savons à quoi nous en tenir, connaissons ces mots et savons les décrypter. Même de toi je n’ai plus peur.
- De moi ?
De toi.
- Mais qui suis-je ?