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12 juin 2009 5 12 /06 /juin /2009 06:27
Survivre au Mal - 10 
 

                                                 11


Le rideau glacé de la nuit est agité où la folie cherche à le traverser, où ses griffes attaquent l’étoffe usée de la réalité. Bientôt l’apparence sera volée par ce trou d’obscurité, la paix régnera enfin.

Diatek ne peut trouver le sommeil. Lui qui auparavant s’endormait en quelques secondes une fois allongé est au spectacle. La scène dans son esprit est dans la pénombre mais il voit, il devine. Les images défilent, des phrases, des idées, des mots aux couleurs variées où domine le rouge. Il sait n'être pas seul à veiller, un autre esprit se perd dans une tempête qui l’engloutit, si ce n’est pas déjà fait. Une douce envie qui ne trouve que lèvres closes, bras croisés et regards se détourant devient un poison. Alors la faim domine. Le temps file, les regrets se brisent sur la démence, un mur totalement refermé.

Son passé s’agite, le puits emplit de larmes laisse remonter ce qu’il celait.

Il aima la haine, désira tout détruire, arpenter les rues tuant ce qui bougeait. Symboliquement il le fit, dessinant mentalement une cible sur un être, un dos, n’importe où, la détonation explosait dans sa tête. L’autre ne se doutait pas que la mort passait sur lui.

Ensuite vint le placard, monde confiné dans lequel il s’enfermait pour écrire en se tailladant l’âme.

Il voulait l’extérieur, l’étranger, et puis, et puits.

La réalité est tranquille, vue de loin, qui s’approche devine qu’elle est visible ainsi grâce au suaire qui la recouvre, la masque et la révèle. Il l’aima et se laissa violer par elle, y prenant plaisir, jouissant de sa souffrance avant de comprendre pourquoi il agissait ainsi.

L’enfance regorge de rêves ? On se voit ceci, se veut cela, ambitions que la réalité efface. Gare à qui n’oublie pas les ruines en soi !

Tuer un mort n’est pas tuer.

Par la magie de l’obscurité il retrouve la chambre de ses grands-parents. Curieux qu’il ne les revoit pas, eux qui moururent quand il avait sept et huit ans, à cet âge la mémoire est active. Décès à neuf mois d’écart. Ce retour est l’envie de savoir, en conscience. Il revoit les deux grands lits, les plaques de linoléum pour ne pas abîmer le parquet, le miroir qu’il brisa, accidentellement, plus tard. L’armoire qu’il repoussa avant de la récupérer, puis de la rejeter à nouveau. Une chambre qui fut noire, bleue, blanche finalement. La mémoire est joueuse, manipulatrice, les souvenirs les moins utiles sont mis en avant, les plus importants se terrent. Les ultimes pièces du puzzle, la dernière, celle permettant de le comprendre.

Le rendez-vous était pris depuis longtemps. Les traces devant lui sont étrangères, celles menant au réel et celles indiquant la folie. Si elles sont devant lui c’est qu’elles ne sont pas siennes.

Il aimait avoir du sang sur les mains, purger le monde d’adversaires trop proches de lui pour qu’il les supporte. Coloré de rouge le monde est plus beau, quand monte la rage il semble accueillant, vivable.

L’évidence de pouvoir avancer est effrayante.

Le lit où mourut son aïeul était-il à l’emplacement du sien, dort-il dans le creux laissé par la camarde dans l’espace ?

Ce sifflement ? Sa faux moissonnant, le cherchant peut-être… Mais non, il est trop loin pour qu’elle l’atteigne. Le froid est bien vif brusquement, il le ressentit déjà dans cette chambre, la mort le caressait, une autre main le retint, la vie fut la plus forte.

Incroyable, il pleut ! Bien sûr, sinon pourquoi ses joues seraient-elles mouillées, pourquoi ses lèvres ont-elles un goût de sel ? "Laisse-toi aller, ne contrôle pas…" Il le fit pendant tant et tant d’années, tant et temps damné ! Il est un grand garçon maintenant, il peut accepter, supporter et se décharger de sa rancune. Il sait, évidemment qu’il sait, et alors ? Ça n’en est pas plus facile pour autant, au contraire.

La folie ? Risible ! Elle ne le prendra plus, il l’aima si fort, profond-dément. Un doigt accroché au réel peut lui dire non, sa force se perd, ses efforts s’étiolent. Le gouffre dans lequel il se jeta n’était pas le bon, à moins que ça n’ait été le contraire.

Des murs, des murs… Les ongles ripent et se brisent pour découvrir une pierre tremblante, un espoir. La sortie est là malgré les voix affirmant le contraire, disant qu’en se retournant elle apparaîtrait, qu'elle est… Hait… Le salut est douloureux quand il est accessible !

Sa main caresse les parois seulement recouvertes de peinture, symbole pseudo ascèse.

L’heure approche, ses mains plongeront dans la lézarde, arracheront les pierres friables, les poussières du passé. En entendant le hurlement il soupirera de soulagement.

Ne plus hurler, oublier le sang, les mains, ce corps inutile, oublier l’envie de refuser, le désir de vivre… Courir, se perdre, n’être plus qu’apparence, même et surtout, pour soi. Ce n’est pas un mur, non, le mur est un piège, en fait l’univers est plein, sa prison est tout ce qui reste d’espace, elle diminue, se contracte, le néant triomphe.

Enfin ! Du sang, du ciment, le mur va se disloquer, il reste une voie, un signe. Là est le danger, le méchant qui fit, qui fait si mal. L’autre qui vient. Pourquoi résister, partir, en silence. Qui le remarquerait.

C’est qu(o)i l’autre ?

La poussière recouvre sans détruire, elle protège. La lumière nettoie, dissipe sans détruire ce qui le mérite.

Une simple porte, un premier pas.

Cette lumière effraie ceux qui ne laisseraient pas même une silhouette sur un mur.

Les pensées sont des ennemies, pourquoi vouloir survivre à ce prix ? Soi, ce n’est plus, ce ne fut jamais. Le ballon se remplit de rien.

Quel pacte fut donc signé pour tenir encore ? Le bois pourrit et ne repoussera plus longtemps les vers affamés. Eux rempliront l’espace, eux seront le suaire opalin qui recouvrira le réel. Chacun détiendra une parcelle d’esprit, prix de l’éternelle malédiction.

Confusion, émotion ! Qui sait, qui ose vouloir ?

Son arme ? Le sang fait peinture et donne sa forme à ce que l’on refuse de voir.

Trop tard.

Trop simple, il sut tenir, la preuve. Il étreint la souffrance, puisant dans ses souvenirs le moyen de jouer un rôle auquel il ne croit plus.

Foi ? Oui, même s’il emploie peu ce mot, bovinisé par ceux qui croient en connaître le sens, qui croient…

Quelle chance de ne pouvoir davantage.

Quelqu’un l’aida, il y a longtemps, on le lui dit, quelqu’un toujours là, accessible. Le mur, le vide ? L’enfance fut trahie, reste la prison.

Au-dessus de son lit était un crucifix. Place à la vie ! sa chambre est bleue maintenant, couleur de ciel, couleur d’yeux.

De SES yeux.

Pleurer, l’accepter, cela fait tant de bien.

Les larmes ont cessées, la source est asséchée, la terre est morte. Les mains ne trouvent que poussière, indifférence. L’esprit dut plier, la vérité est une trop lourde charge. Quelques pas, la fenêtre, le froid, le vrai, l’ami. Quelques fenêtres allumées, des gens vivent donc encore ? Des gens dans des casiers attendant leur place en boite…

Vide… froid… Que de rêves fit-il ainsi, yeux clos, debout, loin de cet endroit, ouvert à l’univers, une inépuisable énergie circulant en lui, la fureur de la vie étreint l’infini.

Le vide protège, la souffrance devint une armure, la protection d’une âme trop sensible mimant trop bien la mort.

La vie est l’ennemie. Impassible comme la mort. Celle-ci a faim, la peur s’estompe, les visages aux yeux vides ne sont pas le sien.

Diatek sourit de ses pensées, il revoie un petit instrument métallique dont il ne s’est pas servi depuis longtemps : Un diapason. Il est une moitié de cet appareil et connaît l’autre. Frapper doucement, le cri naîtra ; le choc fut donné, le hurlement retentit déjà. Reste à le subir.

Il n’est plus seul.

Sortir, se promener, marre de cette chambre, de son décor. Manteau, chaussures, franchir les portes. L’air frais nocturne, une fois encore. Errer, physiquement seul, l’esprit voyageant loin, revenant malgré tout au bercail. Le vent de la vie le fit avancer.

Le couteau… Qu’est-ce que c’est ? Un petit objet, un cadeau. L’encre est rouge, le mur aussi. Les mots ont disparus, le corps se vida pour nourrir l’esprit à son tour exsangue. Le papier est indifférent. Qui peut entendre la vérité, qui ?

Quelques minutes de marche, les lieux des crimes sont proches. Quel en est le centre ? Le pont à traverser, l’eau sombre qu’il vit si souvent en rejoignant l’école. Un jardin au portail facile à sauter. Endroit désert, les voitures sont rares à cette heure de la nuit.

Une statue équestre l’observe, tout est calme. Des jeux d’enfants, un bassin, une falaise en surplomb, des bribes de souvenirs errent.

Cela a si peu changé, alors que "son" école fut détruite, elle.

Une tour, un escalier en colimaçon attendant une réfection qui ne s’annonce pas. Les poches des politicards sont trop grandes. Le lieu du deuxième crime, troublant, comme si un message lui était adressé, une espérance spontanément exprimée, en vain.

Son passé a disparu, l’histoire ne repasse pas les plats, dès lors pourquoi ne pas se servir dans l’assiette d’autrui ?

Il venait souvent enfant, joueur calme, sage, comme une image.

La prison est douleur pour qui s’y sait retenu à jamais. L’oubli sera le seul sauveur, le néant rassure. Passé et présent se vendent, les murs se rapprochent, bientôt ils ne feront qu’un, l’univers sera plein. Le big crunch vérifié par tant d’âmes perdues, trop fragiles pour résister et vouloir. Chaque pulsation est un pas vers le vide sans que le visage trahisse rien, le regard reproduit ce que l’on attend de lui.

La mort œuvra ici, une souffrance longtemps contenue s’exprima, un reste d’énergie à épuiser. Des enfants passèrent en criant. Il le fit, inutilement, ensuite il fut l’apparence, une porte sur l’ailleurs.

Crier serait vain, ne lui reste que l'énergie dont il a besoin.

Le bout du chemin, le Graal est proche. Ne fut-il pas taillé dans une émeraude tombée du front de Lucifer ? D’où lui vient cette cicatrice.

N’est-il pas déjà plein de sang ?

L’Enfer est doux.

Attendre, la souffrance ronge, l’oubli est pour bientôt, plus de geste, d’expression, plus de pensée Chut, bébé dort !

Adolescent, avant de rejoindre les autres pour telle ou telle fête il s’allongeait, désespéré. La mort lui souriait alors, il se sentait mieux. Pour mourir il se voyait prendre ce chemin un soir d’hiver, une nuit glacée, monter au champ plus haut, s’allonger, attendre…

N’est-ce pas sa situation ?

Le Froid est un tendre complice.

Et s'il agonisait, son esprit tentant d’occulter la vérité ?

Le coma dépassé est un pont entre le sommeil et la mort.

La vie est un rêve, le réveil un cauchemar, quel choix !

Se voulant de pierre, il est de cristal et vibre. Bientôt il partira, sa vie est entre d’autres murs. Les siens sont épuisants à entretenir. Les pierres les plus basses sont les plus grosses pas les plus lourdes.

Il distingue les lumières de la ville, le bruit de fond qui ne cesse pas, crachotement d’un haut-parleur en attente de vrais sons.

Alors qu’il redescend un souvenir émerge, un après midi, l’attente près du portail, quelques minutes qui changèrent sa vie, qui le firent changer de vie.

ELLE vint.

Avec qui a-t-il rendez-vous ? Les branches du diapason ne hurleront que réunies.

Le cri explosa dans son esprit en premier mais résonna en un autre avant de lui revenir.

Seront-ils exacts au prochain rendez-vous ?

                                        * * *

La ville s’ébroue, s’étire, difficile de se lever. Se coucher peut être pénible, arrêter ses activités, laisser ses fonctions naturelles retrouver un rythme différent, acceptable. Le sommeil est un long tunnel semblant sans sortie. Il est doux de paresser au lit, dans la chaleur, la moiteur, pourquoi se risquer au-dehors ? Qu’a-t-on à y gagner ? rester couché, les yeux clos, le cœur battant… Battant ?

Pourquoi faire ?

Chaque nuit porte l'espoir de trouver au réveil un monde différent, acceptable, mais non, rien ne change jamais. Les éboueurs passent, ramassent les cadavres, la mort ne s’amuse plus de sa provende.

Ces deux derniers matins virent la même nouvelle : La découverte d’un enfant mort, et ce troisième ? Le proverbe allait-il mentir ? L’horreur est agréable un moment, trop elle devient insupportable. Pire : Dérangeante ! La nausée n’est pas loin, elle prend le goût de la réalité, de la proximité, le risque est trop proche pour être accepté, dominé par la loupe du possible il est intolérable.

Trois victimes, un bon chiffre, une petite série, un début de collection, bientôt pourtant il sera nécessaire pour que le public s’intéresse de découvrir d’autres moyens de meurtres rapides. L’émotion génère sa propre auto-défense. Viendra le jour où sa propre mort sera un spectacle. Alors le Paradis sera accessible.

Oublions la crise, parlons d’autre chose que pauvreté et exclusion, un tueur en série distrait la société lui faisant s’oublier, s’oublier sous elle. Bientôt il n’y aura un ministère des loisirs forcés. C’est beau d’avoir du temps à soi mais c’est souvent du temps pour rien. Le pire ennemi du chômeur c’est l’ennui, devoir s’occuper seul.

Bonjour le vertige.

Diatek n’a plus de télé depuis longtemps, pas d’ordinateur personne. Foin du multimerdia, des autoroutes de la communication. Les petits sentiers sont moins fréquentés mais par des gens de qualité.

Il imagine l’effet des médias, que l’on ait parlé de lui, que sa tête ait été montrée au peuple, elle en vaut la peine. Starification, mot à la mode, un clou chasse l’autre, une image pousse la précédente, c’est là l'oie de la société.

Des regards, des murmures, des questions esquissées, une curiosité plus ou moins malsaine.

Est-ce "cela" qu’il doit protéger ? Ces moutons qui, parfois, se déguisent en loup avec des dents de caoutchouc ? Qu’il réussisse et on l’admirera, dans le cas contraire il sera vilipendé, honni, par ceux qui, à sa place, en feraient moins.



Réunion de travail, la journée commence tôt, c’est presque l’état d’urgence. Déjà se réjouir qu’aucun corps n’ait été découvert. Des patrouilles circulent partout, être présent est impératif, attention, il ne s’agit pas d’agir, non, n’allons pas jusque là, seulement de faire acte de présence, c’est pas mal.

La presse est commentée, les journaux dégouttent de sang, les tirages montent, l’actualité était triste, pas le plus petit scandale, pas la plus petite affaire. Un tueur en série se dévoue. Merci qui ?

Les policiers commentent les commentaires, souriant que les opinions des spécialistes, ou assimilés, soient tous dissemblable. Chacun veut donner un avis particulier, le plus proche de la vérité gagnera notre considération et le droit d’écrire un livre pour revenir la semaine suivante.

Super.

Moins qu’ordinaire.

Diatek songe à tout cela, mais à autre chose aussi, ses pensées refusent d’être contenues, elles ont besoin de liberté, envie de s’activer, de chercher. Il sera plus efficace ainsi. Technique aléatoire faisant entrer en collision les informations jusqu’à ce que quelques-unes s’agglomèrent pour donner une nourriture correcte.

Le bureau de M. le directeur est plein, on dit que lui-même parfois… Médisance ! L’affaire est importante, beaucoup des commissaires et autres inspecteurs présent en veulent à Diatek de diriger l’enquête, tout en étant soulagé de ne pas être à sa place. Qu’il gagne et sa fortune est faite, qu’il échoue… Et un autre essaiera ! Chacun a son idée du monstre et du traitement à lui appliquer en cas de prise. Cela va de la balle dans la tête : "Au moins c’est du sûr", à "Qu’on me le laisse cinq minutes…" Des opinions tranchées. Faute de mieux.

Que faire d’un monstre ? L’étudier ? Est-ce seulement utile ? Il est des tueurs pouvant analyser leur comportement, expliquer ce qu’ils firent, pourquoi, sans éprouver de remords. Diatek n’apprécie pas les remords. Ceux qui prétendent être innocent malgré leur culpabilité patente lui sortent par les yeux. Trop facile, tactique de défense ! Le vrai fou sait, certes, qu’il l’est mais veut en douter. Il connaît la pulsion meurtrière, la jubilation dans l’exécution, le plaisir de la préparation. L’acte posé devient irréversible. Derrière soi claque une porte que rien ne rouvrira. Tueur est une activité socialement acceptée si elle est moralement, et encore, critiquable. Dans l’antiquité des prêtres ouvraient des poitrines pour arracher un cœur et lire dans ses ultimes battements les messages des dieux. De nos jours l’officiant est dénommé psychopathe, la différence est ténue. Pourquoi ne pas les laisser agir sinon parce qu’ils permettent à la société, en les combattant, de poser, par cela, qu’elle est évoluée.

Mon œil !

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Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

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