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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 05:40
Survivre au Mal - 1

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Un sursaut d’étonnement, un appel qui ne peut sortir d’une bouche trop occupée à chercher un air soudain rare. La certitude est là pourtant il veut douter, se dire non ; c’est inacceptable, donc faux.

Et pourtant…

Le jour n’est pas levé quand la voiture s’arrête, les poubelles doivent êtres sorties avant le passage de la benne. L’homme s’engouffre dans une allée qu’il connaît bien, comme tant d’autres. Gestes machinaux, le corps agit alors que l’esprit se promène lentement, alourdi par les restes du sommeil. La saleté, les odeurs, des présences quotidiennes qu’il a apprit à oublier.

Par habitude il enclenche la minuterie, traverse l’immeuble et atteint une petite cour, les containers sont là et… Une est trop pleine. Encore un crétin incapable d'un pas de plus pour jeter ses ordures dans un récipient vide. S’il pouvait s’y jeter lui-même ! Il rêve de bennes ramassant les gens et non les objets, imagine le monde ensuite… Ne pas redouter la solitude est un avantage, ignorer sa véritable nature en est un plus grand encore !

La main droite soulève le couvercle, la gauche se précipite vers le sac gênant… Le geste reste en suspend, l’esprit n’a pas compris que le corps est déjà sur la défensive. Il hésite, son cerveau n’admet pas le message transmis par les yeux. Il dort, voilà l’explication la plus logique, rêve de son boulot, cauchemarde. Ce genre de chose ne peut pas arriver, pas à lui. Il va ouvrir les yeux, retrouver son décor, appuyer sur le réveil à la sonnerie salvatrice et tout ira bien.

C’est une poupée ! Bien sûr, est-il bête, certaines sont ressemblante à un point troublant, c’est tellement mieux qu’un véritable enfant, une poupée il est permis de la jeter quand elle n’amuse pas.

Sa main gantée hésite pourtant, il sait qu’il devrait rabattre le couvercle, tasser ce qui empêche sa fermeture, tout serait si facile ensuite, tout. Il inspire profondément, serre le petit bras avec une force suffisante pour déplacer un jouet…

Dans le ciel les étoiles sont parties, lassées de l’odeur de sang montant jusqu’à elles.

Il recule, s’appuie contre le mur, le couvercle retombe mais reste entrouvert, sourire moqueur des choses. L’odeur des ordures lui fait du bien. Au loin la ville s’éveille en un murmure qui va grandir, un murmure qui jamais ne couvrira le cri muet d’un enfant assassiné.

Les marches sont difficiles à gravir, ses muscles réagissent mal fatigués par l’épreuve, alimentés par une volonté s’épuisant.

Sonner, attendre, recommencer jusqu’à ce que des pieds glissants sur le sol se fassent entendre, il devine qu’un judas est ouvert, qu’un œil l’observe, n’a-t-il pas l’air sincère, faut-il qu’il secoue le cadavre devant l’œil de verre pour convaincre ? Il demande à téléphoner, où qu’on le fasse, appeler la police, vite. VITE !

Enfin la porte s’ouvre sur un regard inquiet, un vieillard s’écarte et le laisse passer tendant le bras en réponse à sa question.

Il s’assied, décroche, fait le numéro à deux chiffres, attend et s’explique comme il peut. Surtout ne pas garder pour lui ce qu’il vient de vivre, se confier, se libérer, qu’un autre s’occupe de ça. Ce secret n’est pas le sien, le sort s’est joué de lui pour lui faire du mal. Il veut que l’on vienne, que l’on voit, que l’on sache ; qu’il ne soit plus seul à porter dans le regard celui, vide, d’un nourrisson.

Le vieil homme est effaré, il comprend ce qu’il y a dans la cour. Il a envie de voir, d’être sûr. Pas par curiosité, pour l’information.

Après tout il existe aussi de vieilles mouches !

                                        * * *

- La nuit a été courte non ?

Le commissaire Diatek ne dit rien, encore une de ces questions affirmatives n’attendant pas de réponse. Il s’engouffre dans l’allée insouciant des regards. La mort attire les faux-vivants ! Tout le quartier s’est donné rendez-vous. Un beau sujet de conversation, bien frais, servi à domicile, parler sera agréable, rassurant, frémir d’une peur rétrospective et injustifiée sera un grand plaisir.

- Affreux non ?

Un hochement de tête est une réaction qu’il juge suffisante. Effectivement le spectacle est pénible, même pour lui. Les petits bras du bébé, se tendent vers une mort qu’il ignore être consolatrice. La blessure est bien visible, le décor et la lumière blafarde rendent surréaliste l’image qui semble la composition d'un artiste perturbé.

- Égorgé !

- Je me doutais qu’il ne s’était pas fait ça en se rasant. Il était là ?

- Non, le type qui sortait les poubelle voulait déplacer quelque chose qui gênait, en comprenant de quoi il s'agissait il l'a lâché.

- Sans ce concours de circonstances la poubelle aurait été emportée, le corps n’aurait jamais été retrouvé ?

- C’est cela commissaire, exactement. Évidemment l’assassin espérait que le container serait emporté, son contenu brûlé.

- Pourtant il a couru un risque en le plaçant ici, un cadavre de cette taille est facile à faire disparaître. A mon avis il l’a mis là pour jouer, pas forcément pour qu’il soit découvert mais en sachant cela possible. L’autre poubelle est presque vide, il pouvait mettre le corps dedans et transvaser quelques ordures pour le dissimuler, il en avait pour une minute. La mise en scène n’est pas innocente.

- Nous pouvons dire que l’assassin ne jouit pas de toutes ses facultés.

- Méfions-nous d’un premier jugement basé sur peu de faits.

- Ce n’est pas une affaire de maltraitance qui aurait mal tourné, le cadavre ne porte pas de trace de coups, il a été égorgé, pas torturé, rapidement. Ce pourrait être une vengeance, ainsi s’expliquerait la poubelle, la mise en scène, une façon d’afficher son mépris non pour l’enfant mais pour ses parents qui seraient les véritables cibles.

- Connaître ses parents nous en apprendra beaucoup.

- Une prise d’otage qui aurait mal tourné serait rassurante ?

- Serait, mais comment espérer récupérer une rançon si le cadavre est déjà retrouvé. Cette hypothèse est celle qui tient le moins debout.

- Nous pourrions avoir affaire à un fou ainsi que je le disais.

- Les faits nous orienterons. Méfions-nous d'évidences pouvant nous emmener dans des impasses où nous perdrions trop de temps.

- Nous avons eu des disparitions d’enfants dans la région, le meurtre d’un bébé aura un retentissement d’autant plus important.

- Ce n’est pas le genre d’affaire dont vous avez l’habitude ?

- Loin de là, et j’en suis heureux, si j’avais pu éviter d’avoir à mener celle-là j’aurais signé tout de suite. Vous me direz que je suis modelé par les films à succès de ces dernières années mais je sens là-dessous l’action d’un psychopathe.

… Un de plus pensa Le commissaire Diatek sans rien dire.

- Ils sont à la mode, cela ne veut pas dire qu’ils soient derrière chaque crime atroce que nous voyons. La folie est plus rare qu’on le pense, la vraie, celle qui déforme les esprits, altère les perceptions et rend toute vraie compréhension problématique.

- Vous connaissez le sujet mieux que moi commissaire, il n’empêche que mettre des tueurs en valeur ne peut que donner des idées.

- À des esprits simples n’attendant qu’un coup de pouce pour sortir de la normalité. Les responsabilités sont ailleurs et je doute que nous soyons, vous et moi, apte à les théoriser.

- Heureusement que vous êtes là, j’apprendrai beaucoup avec vous. J’espère que nous n’avons pas hérité d’un serial-killer américain.

- L’image de la poubelle pourrait nous inciter au rapprochement. Parfois je me demande si l’Amérique est une boite à ordures ou un asile psychiatrique peuplé d’individus normaux puisque se prenant pour exemple ! Nous sortons du sujet, restons-en à notre affaire, les premières heures sont les plus importantes, notre tranquillité ne durera pas. Occupons-nous des témoins, s’il y en a.

- Non, quelques spectateurs, dehors, qui n’auront rien vu mais seront intarissable sur les lieux du crime et ce que nous devrions faire.

- Les tueurs se trompent de cibles ils devraient s’en prendre aux spectateurs.

- Ce serait une bonne idée.

- Ne l’ébruitons pas, elle jouerait en notre défaveur.

Diatek savait combien le témoignage humain était sujet à caution, pas forcément par volonté de tromper mais des regards observant le même spectacle voient des choses différentes. Comment échapper à son savoir, regarder sans plaquer sur la réalité des images puisées dans l'album de notre vie.

Il sait ce qu’il va entendre, des commentaires sur la sécurité qui fout le camp, sur tel ou tel individu louche qui regarda l’immeuble pendant trois minutes il y a deux ans. Les locataires se plaindront de ce qu’une porte d’entrée nouvelle n’ait pas été mise en place, chacun oubliant qu’il refusât de voter l’appel de fond requis par son installation. Pourquoi le meurtre n’aurait-il pas eu lieu dans l’allée d’à côté ? Quelle réputation va avoir l’immeuble maintenant, avec une sévère décote pour tout arranger !

Personne n’a rien vu ni entendu. En hiver les fenêtres restent closes, la cour est étroite, il faut se pencher pour la voir et les poubelles sont sous un auvent de protection. Le commissaire en fit l’expérience, n’importe qui pouvait, discrètement, jeter un paquet dans la poubelle.

L’assassin connaît l’endroit, il savait que l'entrée, donnant sur les quais, débouchait sur une petite rue face à parc public déserté en cette saison. Le commissaire note qu’un clochard venait souvent la nuit dans les caves. Il s’était installé des cartons, des couvertures dans un coin, heureusement ordre y fut mis. Et si c’était lui l’assassin dit-on au commissaire qui répondit qu’il allait voir...

Lassant d’entendre des gens qui, n’ayant rien à dire, en profite pour geindre ! Seul le jeune homme ayant découvert le corps eut quelque chose à dire. Il relata les faits succinctement, visiblement sous le choc et songeant à changer de métier, plus question de sortir les poubelles, il se demanderait toujours ce qu’il y aurait dedans, serait tenté de vérifier redoutant de trouver quelque chose.

Pour faire le point le policier retrouva son poste sur le pont suspendu, à deux cent mètres de là. Sans regarder l'eau il cherchait l’esprit d’un criminel qui devait lui ressembler. Tuer est une façon de se soulager, un médicament non remboursable !

Folie ? Oui, il la sentait, laide et attirante, repoussante et magnifique. Souffrance également, supportable jusqu’à ce que le plateau bascule.

Le bleu du ciel annonçait une journée glaciale, las il prit le chemin de son bureau, ailleurs un enfant en souriant prenait la confiserie qu’une main lui tendait. Heureux, souriant maître du monde.

Maître de rien… La preuve !

                                        * * *

- De la folie, de la folie monsieur le commissaire, qui pouvait nous en vouloir, à nous, à notre enfant, notre vie est tranquille, nous ne faisons d’ombre à personne. C’est l’œuvre d’un fou, c’est sûr.

Le policier ne répond pas, l’homme devant lui a besoin de parler, de se vider comme il peut en tentant de comprendre ce qui vient de se produire, de regarder en face une mort dont le contact violent lui est imposé. Les mots sont magiques, dire c’est aller mieux, repousser ou le croire. Pour la majorité, cela suffit. Les paroles ne lui rendront pas son enfant, cette chose froide et raidie, cette forme qui bientôt sera un souvenir. Quelques photos, un rêve que ses parents auront crus réels. Diatek en a tant vu, et des pires. Lui qui détestait les enfants en général et les nourrissons en particulier se trouve touché par cet assassinat. Le goût du jeu lui est passé, l’envie de vaincre un ennemi extérieur a disparu, le seul qui importe encore n’est pas hors de lui.

- Je comprends ! Tout sera, que dis-je, tout est déjà mis en œuvre pour arrêter le coupable et vous aider. C’est le rôle de la société de vous soutenir pour partager votre épreuve et vous dire, aussi banal que cela soit, que la vie doit continuer.

- La vie… J’ai… Nous, ma femme et moi, avons tellement attendu cet enfant, il était la promesse d’un nouvel avenir, pour lui nous pensions, nous voulions… Rien ne se réalisera, rien. Une vie a disparue, deux autres sont brisées que rien ne pourra plus reformer.

Sauf le temps pense le policier, conscient que la douleur peint en noir le futur mais les mois passant, l’obscurité s’estompe avec l’aide de spécialistes dans l’accompagnement des victimes ou de leur famille. Sur l’instant la douleur est si grande qu’elle semble éternelle, présence quotidienne que certains, il le vit, préservent comme un trésor, un gouffre dans lequel se perdre. Eux qui ne furent jamais que des absents trouvèrent enfin un emballage convenable. La vie sèche les larmes, reprend des couleurs et la peur du bonheur s’éloigne.

- Je sais que c’est de ma faute, j’aurais dû le surveiller, ne pas le lâcher des yeux une seconde. J'ignorais que la vie peut basculer en quelques secondes, une présence s’efface et l’avenir n’a plus de sens. Il était simple mais nous ne voulions pas davantage, voilà que c’est dans une vallée de larmes que nous pénétrons. Il faut l’arrêter monsieur le commissaire, il le faut, pour que nous comprenions. Tout est allé si vite. L’assassin n’a pas agit au hasard.

- Sans doute, nous interrogerons vos voisins, passerons le quartier au peigne fin, un indice nous mettra sûrement sur la piste. Dites-moi simplement ce qui s’est passé.

- Comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure notre voisin est un vieil homme, nous avons l’habitude de faire les courses pour lui, rien de bien contraignant mais quand nous pouvons nous entraider entre voisins pourquoi ne pas le faire ? Bien entendu avec le petit c’était un peu différent, à cause du chien.

- Celui du voisin ?

- Oui, nous avons fait les courses et laissé le landau dehors le temps de les rentrer, nous en avions pour une minute, à peine. Nous redoutions que le chien ne fasse tomber le berceau… Cela n’aurait pas été grave en comparaison de…

- En rentrant vous n'avez vu personne ?

- La rue était déserte, je ne me souviens pas qu’il y ait eu quelqu’un.

- En ressortant votre enfant avait disparu ?

- Voilà, nous ne nous en sommes pas aperçus immédiatement, nous avions remonté la couverture pour qu’il ne prenne pas froid, il nous a fallu quelques secondes, du temps perdu, si j’avais été plus vif tout aurait été différent. La rue était déserte, vous la connaissez, elle est courte, peu fréquentée. Je me suis précipité pourtant.

- Vous avez fait ce qu’il fallait en prévenant la police.

- La preuve que non. Il l’a enlevé pour le tuer.

- Nous comprendrons ses motivations quand nous l'auront arrêté.

- Si vous dites ça c’est que j’ai raison, il ne voulait rien d’autre, ce n’était même pas dirigé contre nous, c’était juste le besoin de tuer, rien d’autre…

- Personne n’était aux fenêtres ?

- Nous n’avons rien remarqué ?

- Si un détail, aussi anodin semble-t-il, vous revient faite m'en part, un détail infime peut suffire.

- Il faut que vous trouviez commissaire, il le faut, plus vite vous y parviendrez plus vite ma femme et moi pourrons ressentir un petit soulagement, savoir qu’il n’y aura pas d’autres victimes serait déjà quelque chose. L’enfance compte sur vous ?

L’enfance ? Un cri tournant en rond, une peur que rien ne calme, sinon l’oubli de soi.

Quelques questions encore, le commissaire veut éviter de revenir interroger le père, inutile de remuer le couteau dans la plaie. Une poignée de main, un homme en raccompagne un autre vers la porte. Le policier entend les verrous claquer, les pas s’éloigner, il devine que son interlocuteur se dirige vers la chambre pour y retrouver sa femme que les médicaments aident à encaisser le premier choc. Pour le second ce sera plus long, beaucoup plus long.

Diatek descend un demi-étage, s’arrête pour regarder par la fenêtre dans la cour. Un détail, quelque chose attendant d’être découvert. Il a toujours aimé se tenir près d’une fenêtre, observer l’extérieur en espérant que la réciproque ne soit pas vraie. Poste frontière entre l’ici et l’ailleurs. La lumière l'attire, remontant des profondeurs le dauphin fait surface pour replonger, ainsi fait-il tout en se disant qu'il ne serait plus capable d'atteindre les même abysses qu'autrefois, qu'avant...

 

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Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

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