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14 janvier 2009 3 14 /01 /janvier /2009 06:46
Dans l'Ombre des Murs - 1 
 

                                                 02


Qu’ai-je voulu me dire ? Je suis à l’abri entre ces murs autant qu’enfermé entre des parois intérieures sur lesquelles mes pensées glissent sans trouver une anfractuosité où insinuer un regard lucide. Elle existe, il le faut, me reste à oser la découvrir. De près ceux de cette réalité semblent mordre le ciel, vouloir s’y accrocher, s’ils n’étaient pas là l’immensité m’effraierait. Ces murs me rassurent, sans eux je courrais droit devant, n’importe où, pour libérer mon énergie, pour m’épuiser, me vider, pour semer mon passé. Je sais, il ne me poursuit pas, il m’attend au détour d’une interrogation, goguenard ; quand j’aurais cru l’avoir distancé il me prendra dans ses pièges et hurler ne me sera plus d’aucun secours. Les yeux grands ouverts je l’observerai sans comprendre.

Libre est un terme vide de sens, choisir sa prison n’exprime pas un désir d’autonomie mais la peur de se trouver. Confiné je n’ai d’adversaire que moi-même en sachant que le terrain mental est le dernier sur lequel le duel peut avoir lieu, aucun autre ne me serait permis. Aucune autre porte ne s’ouvrira, personne ne viendra m’aider maintenant, il me faut aller au terme de cette confrontation et ce chemin circulaire représente ce que je ressens, l’évidence de devoir repasser par la case départ. De lieu d’oubli, je n’ai que ma cage, je veux dire ma chambre, je peux sortir de ce parc, traverser le bureau, longer un couloir, je ne verrais que ce chemin, retrouverais mon gîte refermerais la porte derrière moi… Seul comme je le fus toujours, condamné à l’être jusqu’au terme de ma route, imaginant que je pourrais ne jamais l’atteindre, avançant sans réaliser que je pose mes pieds dans mes propres empreintes, que je répète les mêmes questions. Tourner en rond, encore et encore, sans sortie possible sinon celle de l’effacement de soi. Rien de bien réjouissant.

Seul ? Puis-je considérer l’arbre comme une présence ? Amicale, spectatrice ou complice ? Suit-il le cours de mes pensées, s’amusant des complications qu’un humain peut apporter à sa vie ? Lui ignore pas cela, son existence est sage, tranquille, tournée vers l’observation, la méditation. La faculté de se déplacer est dangereuse, elle nous fait courir et n’arriver nulle part. M’asseoir, là, dans la fraîcheur de l’ombre, baisser les paupières… Quel nouveau spectacle terrifiant découvrirais-je ? Saurais-je encore croire en mes illusions pour être ma dupe ?

Mes pensées s’ouvrirent, m’attirèrent, j’eus l’énergie de dire non, de me reculer alors que leurs centaines de bras m’enserraient, alors qu’il allait être trop tard.

M’allonger par terre, attendre la mort ou découvrir que je ne suis qu’un cadavre, me corrompre jusqu’à ce que mes éléments essentiels glissent dans le sol, jusqu’à ce que je rêve être un écrivain dans son placard ! Aurais-je la paix alors ou découvrirais-je une malédiction pire que celles que je connus ? L’escalier descend et une marche nouvelle est une épreuve plus violente que la précédente. Je ne sais plus oublier la réalité, sans pouvoir la rejoindre. Entre deux mondes, deux réalités, observant l’une et l’autre, situation unique sans solution. Je n’ai pas su, pas pu, me fuir, pas même ici dans le cadre le plus adéquat pour cela. Le carcan pèse, m’étrangle, si je tombe il m’écrasera par mon incapacité à vouloir m’en libérer.

Si j’étais mort il me semble que je le saurais, ma pestilence m’éveillerait, les mouvements des nécrophages me chatouilleraient, chacun emportant un peu de moi me multiplierait jusqu’à recouvrir le monde entier.

Ces murs contiennent l’horreur s'écoulant de moi, elle progresse le long de mon esprit, bientôt elle me recouvrira, je me noierai dans mon délire, mais qu’ils cèdent et la terreur recouvrirait le monde, suivi d’un rire dément de satisfaction : le mien !

Nul mort ne connaît sa tombe de l’intérieur, cela est pourtant mon cas. Ni vraiment défunt ni réellement vivant ! Caveau intérieure que ces parois illustrent. Ni décédé, ni vivant, je ne pouvais communiquer avec quiconque, me reste à choisir mon camp, si ce n'est déjà fait.

Avancer sur ce chemin, retrouver mon passé, défaire la pelote de mon existence. J’imagine cela difficile sachant que je me mens. Au début peut-être, le temps de trouver la volonté de commencer, ensuite cela viendra aisément, je serais aspiré, j’aimerai ça, au début. Oh ! Je sais, la pierre est indifférente à ma présence, inconsciente, mais si j’ai besoin de lui donner la vie que je ne trouve pas en moi j'en prends le droit ?

Rond ce chemin ainsi que les chiffres sur le cadran d’une horloge, et passe le temps, glissant vers nulle part, pour refaire ce qu’il fit ou le détruire. Pénélope qu’aucun Ulysse ne viendra jamais délivrer.

Je me poserais devant l’horloge pour suivre les aiguilles, attendant la mort, me demandant si j’ai la force de la regarder s’approcher, de la supporter avant qu’elle ne me détruise, avant que son contact ne me fasse réaliser, que j’étais vivant !

A m’être espéré cadavre me reste des attitudes, des habitudes dont j’ai du mal à me débarrasser.

Je suis là pour que le puzzle de mon passé se reforme, que je comprenne l’image qu’il représente et m’y reconnaisse. L’ultime pièce placée je saurai pourquoi il est préférable que les choses s’achèvent, pourquoi j’ai mérité de m’allonger dans le froid pour un soulagement tant attendu.


Avec le professeur nous eûmes de longues discussions, intéressantes, devisant de choses et d’autres, un entraînement me permettant de récupérer ma faculté à m’exprimer. Il maîtrisait l’art de la conversation, possédait une grande culture…

Pourquoi parler de lui au passé ? Mieux qu’un duel, un jeu, affrontement entre personnalités, conflit d’intelligences allant dans la même direction, l’une cherchant à s’en faire prier, afin de ne pas reconnaître son propre désir, l’autre à souscrire à ce désir sans que cela fût trop évident. Ce n’est pas vanité de ma part de me sentir différent des autres, une exception, pas forcément unique, dans le cortège de déments qu’il voyait défiler devant lui.

J’ai appris qu’être exceptionnel n’est pas une qualité. Différent est un mot que j’apprécie, à ce propos…

- Suis-je différent, en mieux, en pire, en imprévisible ?

- Vous vous maîtrisez, parfois j’eus la sensation que c’était malgré vous, que des forces intérieures se mettaient en action pour vous détruire alors que d’autres tentaient de vous protéger, celles-ci étant les plus fortes. L’habitude de l’introspection par l’écriture, de vous deviner au travers des mots. Vous êtes un cas particulier, et c’est un euphémisme.

- Un sujet d’étude intéressant ?

- Aussi, mais pas seulement ! Ne me voyez pas comme un observateur uniquement soucieux de disséquer votre esprit pour en saisir des mécanismes que je ne comprendrais jamais. Je ne suis pas un spectateur regardant quelqu’un se noyer en scrutant son comportement, je veux vous aider.

- A me découvrir, me connaître, et moi je vous laisserais m’observer au long de ce cheminement. Je suis autant un sujet d’étude pour vous que pour moi. Dans un tel endroit les distractions sont rares, entre les phases d’absence, quand je me retire en des lieux que je ne connais pas où la réalité et moi-même sommes dissous, je cherche à percevoir ma réalité. Que suis-je ? Une chose, son contraire ? Je me fais l’effet d’une nouvelle espèce animale passant par le regard de l’observateur pour se comprendre, qui se saurait étrangère mais aurait besoin d’un miroir afin de s’y rencontrer. Je n’espère pas être aussi unique que cela, ça ne serait pas une chance. Je souhaite être l’archétype d’une forme de vie inédite, sinon physiquement au moins psychiquement… Mais cela amène de nouvelles interrogations sur mon passé, sur ce que je fis, comme si, contrairement à ce que je crus, j’avais avancé vers un but inconnu, détruisant le passé, ces milliers de pages, comme un papillon se débarrasse de son cocon. Certains s’en nourrissent, leur seul repas, préparant la courte vie qui s’annonce, avant que leurs ailes séchées leur permettant de s’envoler dans un ciel heureux de les accueillir. Paroles délirantes d’un espoir désireux de s’abstraire d’un quotidien misérable, discours auquel je feindrais de croire. Est-ce seulement cela ? Je crains que non, et j’insiste sur l’impression m’habitant d’être lucide de comprendre l’insolite de mon langage tout en ayant la sensation qu’il a un sens. Vous me direz que les fous croient en ce qu’ils disent, justement, moi je ne sais pas si je dois où non le croire. Je devine pourquoi je voulus vivre hors du monde, le moule de la normalité m’aurait détruit. Un cocon, une esquisse, un puzzle que je cherche à compléter depuis longtemps, dont j’aurais mélangé les pièces après avoir constaté qu’ainsi elles ne me donnaient rien qui convienne. Achevé, en lui je me reconnaîtrai. J’ai autant envie de savoir que peur d’y parvenir. J’avance sans réaliser ce que je fais, devinant, espérant, des cousins d’âmes, redoutant une unicité synonyme d’une solitude cruelle. A vivre derrière un mur de papier je faillis y mourir asphyxié. J’ignore encore la façon dont je m’y pris pour en réchapper. Elle me conduisit ici, c’était la seule possible.

Pouvez-vous me suivre professeur ? Voyez-vous dans mon baratin un fil conducteur où les mots m’entraînent-ils nulle part ? Comment imaginer que dans ce fatras se trouve une once de vérité ? L’aiguille dans une meule de foin. Quand la parole se laisse aller, que la censure est oubliée alors apparaît le vrai soi nous tendant les bras par des pensées terrifiantes de nouveauté. Vous et moi n’avons qu’un adversaire : moi ! Il est de taille à nous battre tous les deux. Un duel superbe ! Sur le pré c’est (un) moi qui restera allongé. Lequel ? Le vrai, le faux, de quoi ou de qui devrais-je m’amputer ? Alors vous sortirez vos instruments les plus tranchants, vous pencherez vers lui pour l’explorer encore chaud avant de devoir relever la tête et admettre que vous n’avez rien trouvé et attaquiez une momie sans secret. Devant un miroir suis-je le vrai ou le reflet ? Ces mots ne disent rien, n’expliquent pas davantage, ces phrases sont une diligence sans suspension, je ressens chaque caillou de la route, chaque bosse et chaque creux. J’évite le fossé par instinct. Je fonctionne ainsi, galopant sans savoir qui tient les rênes. Parfois l’abattement me prenait, je craignais d’avoir atteint mes limites, de me heurter à une frontière insurmontable, alors je découvrais au fond de moi des forces dont je ne me savais pas détenteur. J’ai le souvenir d’avoir il y a des années proposé mes textes à des éditeurs qui les refusèrent avec un bel ensemble, je compris par la suite que j’écrivais pour moi, me lire et me dire… Ce que j’envoyais n’était que brouillons, textes hermétiques que moi-même j’eus du mal à comprendre quand je m’amusais à les relire, à les reprendre pour leur donner une forme plus accessible. La première était trop personnelle, trop moi pour intéresser quiconque. Je ne me souviens pas d’avoir réussi mais ne suis pas sûr d’avoir échoué. Y repensant je m’interroge sur ce que je fis. Ai-je ou non tout détruit ? Je le voulus, mais n’est-ce pas le contraire qui arriva, je veux dire par-là que ce fut d’écrire qui détruisit ce qui menaçait en moi. Écrire pour consumer ! J’aurais voulu travailler sous contrôle médical, être connecté à des appareils dévoilant ce qui se passait en moi alors que je me laissais emporter par mon œuvre. Cela n’advint pas, mais ce que nous faisons y ressemble, le clavier en moins. J’imaginais des drogues pour me stimuler, m’inciter à chercher plus loin, des lumières de couleurs pour produire le même effet… Idées n’ayant pas vocation à devenir réalité. Quelle importance ! J’avais en moi assez de rage pour continuer jusqu’au bout. J’y suis allé ! Regarder dans le gouffre et en entendre le chant mélodieux et trompeur. Rage, ai-je dit ? Je me souviens de mes mains courant sur les touches, rien ne pouvait me contenir. En moi quelque chose s’animait, m’imposant de transcender cette violence qui montait. A vouloir percer les murs de mon passé je ne suis sûr de rien. Comment différencier rêve et réalité, imaginaire et vécu ? Est-il important de trouver la frontière entre les deux ? Le chemin pourrait se trouver par-là ! J’usais même la moitié rouge de mon ruban encreur. Vous ne connaissez plus cela, l’imprimante est partout, pratique… Je viens d’un autre temps professeur, d’une époque que nous sommes de moins en moins à avoir connu, et appréciée. Écrire pour me purger des délires m’envahissant. Délire, masque posé sur quelle réalité s’insinuant au travers ? Je ne redoute pas l’horreur à laquelle je vais m’unir. Je le devrais pourtant, ses mains me caressèrent déjà, sa bouche se fit tendre mais ses dents ne purent se retenir de mordre. Nos ébats furent passionnés, brûlants. Ils manquaient de ce qui les rendra insoutenable : La lucidité ! J’ai masqué de mots sa vérité, je ne saurai plus le faire ! Et pour aller où, vers quel Jugement Dernier ? Est-ce ma défense que je prépare, une plaidoirie que je construis pour me sauver ?

- A quoi pensez-vous ?

- Une image me revient, notre première rencontre je pense. Je suis assis sur un tabouret vissé au sol, dans une pièce grise à l’éclairage fatigant, vous entrez, vous asseyez devant moi sur un autre tabouret tout aussi inamovible, rien dans la pièce ne soit servir de projectile. Un flot de haine m’envahit avant que vous disiez quoi que ce fut. Je me sens dans un piège et vous en êtes responsable. J’ai dû me contracter, me préparer à bondir, des mains fermes s’emparent de moi, l’on m’injecte quelque chose pour apaiser la fureur menaçant de m’emporter. Le calme me submerge, me glace, les bras d’un Morphée pharmaceutique m’entraînent pour une danse si lente, si lente…

- Il est positif que la mémoire vous revienne.

- Combien d’injections ai-je encaissé ? Des dizaines, plus encore ? Quelle dose fut-elle nécessaire afin de me contraindre au calme ? Je m’habituais, finissant par recevoir des doses qui auraient assommé un éléphant et qui me laissent à peine ensuqué. Je sens la douceur des murs alors que je tente de les détruire, je sens ma gorge se gonfler pour former un cri que je n’entends pas. Certains animaux se rongent une patte pour se délivrer d’un piège. Quelque part c’est ce qui m’arriva, non pour lutter contre vos produits mais contre ce qui m’envahissait. Me ronger un membre était de venir ici, me mordre par seringues interposées et repousser le réel danger. Bien sûr ce genre de tactique n’est possible que si une seule patte est prisonnière, quand toutes le sont cela devient suicidaire, mais c’est encore une forme de fuite. La dernière possible. Je devine de grands infirmiers non loin d’ici prêt à bondir pour s’emparer de moi au cas où je me laisserais aller à la violence. Rassurez-vous je n’en ressens plus mais à votre place je me méfierais aussi. Je ne peux vous garantir mon innocuité.

- J’aime le risque.

- Envie d’approcher des fauves retenus dans une cage chimique dont vous ne pouvez être sûr qu’elle ne va pas céder.

- Disons-le ainsi. Je pourrais exercer mon métier dans un cadre plus urbain, avec une clientèle de vulgaires névrosés, encaissant l’argent de pseudo malades n’étant en réalité que de vrais cons ! Pour eux aucun salut n’est possible et si j’aime la sensation du vide c’est celui d’un gouffre grouillant de formes indéfinies, pas celui d’un esprit sclérosé par le crétinisme le plus congénital.

- Vous avez une belle galerie.

- On peut le voir ainsi.

- Que des cas particuliers ?

- Ceux dont je m’occupe oui, mis il y en a d’autres à l’anormalité plus… normale.

- Je suppose que vous vous êtes interrogé sur vos motivations, sur les risques que vous encourez. A fréquenter des esprits d’ailleurs on est tenté de leur ressembler pour mieux les comprendre. Chacun vous apporte quelque chose mais en échange vous livrez de vous une part non négligeable. Vous ne me direz rien de vous, je suis du mauvais côté du bureau, je ne vous en veux pas et pourtant cela m’intéresserait de mieux vous connaître. Cela m’intéressera un jour, plus tard, non que nos rôles puissent s’inverser mais qui sait si vous ne viendrez pas me rejoindre, si à vouloir aller trop loin vous n’avez pas réussi à vous perdre. Le jeu en vaut la chandelle, la flamme vous brûlera. Vous espérez apporter une importante contribution à la psychiatrie mais sera-ce comme clinicien ou comme malade, emporté par la folie de ses patients ?

- C’est mon choix.

- Certes, si vous voulez vous en convaincre. Quelle est notre part de libre arbitre, au fond ne sommes-nous pas tous des pantins.

- Vous-mêmes avez dit que certains parvenaient à trancher leurs fils, n’est-ce pas qu’ils sont tenus par d’autres ?

- Possible en effet, il est des réponses auxquelles nous n’avons pas accès. Vous vous penchez comme au trou de serrure d’esprit ayant perdu leur clef, tentant de comprendre ce que vous voyez, attendant qu’une porte s’ouvre, qu’un esprit se livre et vous pensez que je suis celui-là, que j’aurais la force de pousser le battant sans être détruit. La tentation est grande professeur, si grande. Finalement nous nous ressemblons plus que je veux le reconnaître, et vous, l’avouer, mais le fait est là qui explique ma présence ici, l’absence de lien comme d’infirmiers derrière moi prêt à bondir au premier geste suspect.

- Je suis heureux de vous avoir jugé correctement, pour un peu j’allais dire : "De vous avoir reconnu."

- C'est un compliment, j’aimerais vous tendrez l’esprit, vous amener à ma place, au-dessus du vide, et là, vous lâchant, vous inciter à regarder votre situation. Je ne vous pense pas capable d’aller si loin. Il y a des choses que lucidement on peut penser mais qui ne se font que poussé par une nécessité qui obère la lucidité, cette qualité devient un défaut.

- Pourtant c’est ce à quoi vous tentez de parvenir ?

- Je suis différent, je ne sais où, comment ni pourquoi. Je le sens comme une évidence qui est vôtre également. Génie, folie, couple indissociable, s’interpénétrant pour ne plus faire qu’un. Je fonctionne autrement, à partir d’un certain niveau. En dessous c’est le quotidien, il me faut une demande plus importante pour que je parvienne à m’exprimer. Une particule qui n’acquerrait de masse qu’à partir d’une certaine vitesse. En deçà elle n’existe pas vraiment. La comparaison est boiteuse, certes, mais elle me plait comme ça. J’ai l’impression d’exister en morse. Je me désintégrerai mais alors, quel chemin j’aurais fait ! Quelle trace laisserais-je, une explosion de mots sur lesquels les générations futures se pencheront avec curiosité, sans forcément y découvrir quoi que ce soit. Délire là encore, qu’importe, je préfère cela à la banalité du commun des mortels. J’ai employé le mot folie ce me semble, logique dans un tel cadre, pour me l’appliquer, pour me définir, même si l’on dit qu’un fou nie son état. Je n’ai pas dit que j’étais dément.

- Génial alors ?

- Un mélange des deux, pour l’instant l’équilibre perdure.

- Vous rejetez votre ressemblance avec les autres ?

- La ressemblance psychique oui. Pour conserver l’image de l’abîme je me souviens d’un petit scénario que j’appréciais fort. Je me tiens au bord du gouffre, conscient qu’il est là, et les autres avancent, nonchalants, et tombent, tous, les uns après les autres. J’attends que le gouffre soit rempli afin d’atteindre l’autre côté. Idée signifiante n’est-ce pas, trahissant mon mépris pour autrui. Je suis différent, étranger.

- Que ressentez-vous de les voir tomber ?

- De la satisfaction, pas du plaisir. Je suis spectateur, rien de plus.

- Pourtant vous connaissez la haine ?

- Je l’ai ressenti autrefois, plus maintenant. Elle s’est estompée avec le temps. Elle fut motrice lorsque j’écrivais certaines histoires avant que je ne m’oriente vers une inspiration différente. A voir votre regard il semble que vous savez ce que je vais dire. Parlant je refais un chemin déjà parcouru et balisé de pages qui, brûlées ou non, laissèrent des traces en moi. J’attends le puits de noirceur sur la margelle duquel je me pencherai. A moins que cela ne fût déjà arrivé. Curieux, sans savoir je l’ai vu, je me suis approché, ai laissé porter mon regard vers la nuit et ai pris le temps de m’y habituer. Je me vois ainsi, enfant, ne comprenant pas ce que je fais, tentant, enfin d’y parvenir. Je me suis penché, trop ! Attiré j’ai glissé, mon esprit fut emporté par ce qu’il vit, il dut m’adapter pour survivre. Ce il qui est aussi moi, aussi je. Penchez-vous sur le vide professeur, que la nuit s’insinue dans vos veines, que vos pensées soient d’encre et, peut-être, parviendrez-vous à vous approcher de moi. Je ne comprends pas ce gouffre, pas encore. Il m’attend quelque part pour que mon regard de nouveau plonge en lui et perce ses secrets. J’ai voulu que cette nuit intérieure me dissolve. Elle en fut incapable ! Trop de vie, de force, je tins tête à la tempête pour rejoindre le port. Tout est encore bien confus mais si ces pièces semblent disparates elles n’en forment pas moins l’être que je suis. Parler fait remonter à la surface des ombres porteuses de vie, des spectres souriants qui sont autant d’amis.


Parler, me laisser être et m’éteindre. Ainsi suis-je depuis que je suis ici. Ouvrir les yeux, contempler le monde, me savoir proche à me tendre l’âme et renoncer par incapacité à me tenir debout assez longtemps.

Curieuses obligations que penser, que devoir se souvenir. A quoi bon, pourquoi ne pas vivre l’instant, prévoir le proche avenir, rien de plus. Raisonnement objectif que la réalité efface. Le même genre de remarque que je fis au professeur. Il y a ce que l’on voudrait et ce que l’on peut, quand l’un est le jour l’autre peut être la nuit.

D’autres fils me tirent-ils venant de l’intérieur, d’une origine qui m’échappe mais m’intéresse ? Je sens leur tension, le tiraillement de leur activation, je me sais vivant et l’impression est curieuse. L’envie de savoir se fait irrésistible comme un ordre. Le voile occultant mon passé est pesant, résistant, si grand pour mes mains si petites.

Est-ce le vide qui m’attend en délivrance après une existence superflue, un vide dans lequel mon cœur résonnerait encore, toujours, où mon corps fonctionnerait, où mon esprit n’aurait plus de raison d’être, enfin broyé par des pensées brutales, illumination de l’instant avec pour facture ma propre existence.

A l’ombre des murs je suis abrité, le ciel est une porte sur l’univers autant qu’un miroir vers une réalité que je perçois sans, encore, pouvoir la définir.

Mur et mort sont des mots si proches. Mourir est-ce le pire possible ou le meilleur ?

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