Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 décembre 2008 4 25 /12 /décembre /2008 06:51

 Promettez... (14)

   
      Strasbourg, l'intérieur de la cathédrâle.                         

                                                     15

- Enfant vous n’imagiez pas tout cela.

- Qui pourrait situer la source d'où vint ce qui se manifesta en moi ? En se laissant absorber comme une digue par l’eau qui la sape l'esprit découvre l’immensité d’une création à l’intérieur de laquelle il se sait infime et indispensable comme une marche pour accéder à la suivante. Mon JE est-il si faible où une force différente lui permit-elle de supporter ce voyage plus loin que la folie ? La solution est dans une personnalité assez floue pour supporter contraintes et pressions. Enfant, mon regard ne pouvait embraser des panoramas aussi vastes, il s’y serait perdu. J’eus le temps d’apprendre que ces sites sont en moi, qu’ils sont moi. Je suis cette tour gigantesque, comme chaque être, manque la force de s’asseoir sur le trône de pierre et d’ouvrir les yeux. Faut-il plus pour cela que de la conscience ou le contraire ? J'étais loin de ces réflexions, survivant aux pensées qui me submergeaient, poussé vers la normalité, je n'y aurait pas survécu., présent au minimum pour répondre sans rien révéler. L’instinct me murmurait de passer inaperçu pour gagner du temps. Plus qu’une enfance c’est une autre vie. Mon esprit a assez grandi pour ne pas être détruit par ce qu’il contenait. Ma peur s'estompe, ce n’est plus un désert qui m’accueille, j’y perçois tant de présences. Je suis passé sur l’abîme alors que mes prédécesseurs avaient connu un sort atroce. Ils me permirent de continuer. Il me reste des personnages à retrouver, hérauts sur des chemins qu’eux seuls peuvent arpenter.

- L’aube lacère l’horizon, il est temps pour moi de disparaître. Tu penseras à moi, aux mots que je te fis murmurer dans le secret de ton âme. Maintenant tu es debout, visible. Ils viendront à toi autant pour te nourrir que pour s’alimenter. Ce piège du cannibalisme était une chance, il suffisait de l’accepter sans céder à l’animal, facile.

- Et pourtant il n’y a qu'un chemin, affronter la tentation, le cerbère de la continuation. M’entendra qui le vaincra. Il est temps de nous dire adieu puisque nous n’avons pu le faire autrefois. Tu es plus qu'un souvenir, cette sœur, ce presque moi dont la vie me nourrît. Mieux qu’une main sur mon bras. Il n’y aura plus de rendez-vous sur le pont, je sais ce qu’il fut.

Ressentit-elle de la peur ? Je veux penser que si tôt c'est interdit… Je ne peux admettre qu’elle n’ait été qu’un organisme en développement dont l’évolution fut stoppée par nécessité d’en nourrir un autre plus que pour poursuivre son chemin vers une lumière qu’il faillit ne jamais rencontrer. J'ai entrevu ce qui l'emporta. Une pensée peut-elle vivre hors du cerveau, voyager in-utero ? Non, mais par la magie du lien gémellaire le ressenti de l’un atteint l’autre. Je vois un être inabouti que la mort frappe, qui s’insurge puis renonce en devinant que se défendre portera la mort vers celui qui est mieux que l’ombre de soi. Elle se laisse faire acceptant le meilleur destin possible. Il fallut tant d’années pour que je la retrouve et arrache le suaire de l’oubli. Le malsain suaire ! Le trouble existe hors de la conscience et se communique quand la proximité est assez grande.

- Tu sais qui était ce spectre cérébral, cette hantise.

- Le temps est venu de me pencher sur le gouffre, de descendre l’escalier pour atteindre ce qui attend une volonté pour l’affronter.

- La tienne.

- Comme si ma conscience existait sans moi. L’important est qu'au moment de mourir je sache ne pas NOUS avoir trahi. Je vois ce qui m’attends, les heures à écrire, à lire, tentant de comprendre ce qui se tient aux limites de mes capacités. Les pièces formaient une porte, entrebâillée, l’air glacé en venant m'avertit des difficultés qui me guettent. Mon chemin ne peut plus me mener vers les autres, ils me sont étrangers, des hallucinations. L’amour même… Je renvoyai celui de ma partenaire, suis-je capable d’exprimer ce que je ressens ?

- Tu sais que oui.

- Prix élevé mais justifié. Émotions cicatrisantes de ne pouvoir m’oublier dans un regard céruléen. A contempler mon passé je me sens capable de l’expliquer, de retrouver ces cailloux noirs que le temps disposa afin que je ne me perde jamais dans les tentations trompeuses d’une réalité faussement apitoyée. La nuit reste mon alliée, Par elle je sais que le jour va arriver. Qu’il est déjà là !

- À mon tour de ressentir quelque appréhension, ne dis rien, elle s’efface déjà. Tu vois ? Je crus vivre, que ta main pouvait m’attirer hors du passé. Tu n’eus pas ce pouvoir, j’en suis heureuse. Je suis la mort, la vie, en moi les deux confluèrent pour t’atteindre et la première renonça. Le passé me ronge, le temps me rattrape… Fermer les yeux… Tu ne me décevras pas. Entends ces voix qui te disent de continuer, ces êtres qui allèrent au bout d’eux-mêmes comme tu vas le faire. Le témoin est passé, la course continue. Passeras-tu la ligne d’arrivée… Tu connais la vie, à toi de la servir.

- En un seul mot ?

- Non ! Murmure et tu seras entendu, crie et tu seras ignoré, ou adoré. D’autres âmes attendent ton appel pour se redresser.

- Tendre l’âme plutôt que la main ?

- C’est cela, je voudrais dire… Tu le sais ! La lumière me déchire, Ne me retiens pas, je suis sans visage, bientôt sans voix. La vie est un passage et la mort un choix, je t’offre le fruit de leur union, je…

* * *

Je regarde l’eau sans envie d’y plonger. Seul sans l’être.

Sa présence m’accompagne. Incarnation d’un espoir exsudé par mon inconscient. Ces paroles ne traduiront jamais ce que je ressens, le comprendra qui pourra, et si cela n’arrive jamais peu m’importe.

La clarté du jour n’efface pas mes interrogations, je sens les clous me transperçant, crucifié pour prendre la première sortie vers la banalité. J’imaginais pire en matière de torture à m’infliger. Symbole intéressant, une expérience de mort qui ne tue pas, l’approcher, la frôler, l’étreindre et cependant en réchapper, différent… Devenu soi !

Les mots ne m’inhumèrent pas, quoi qu'ils se voulurent sépulcre et qu’en eux je restais bien plus de trois jours. Monter sur la croix n’est pas difficile, c’est l’opportunité d’échapper non aux autres mais à soi. Y meurt celui que l’on aurait pu être mais que, par lâcheté, on refuse. Le dernier clou est le plus difficile mais l’imaginaire permet tout, il restait un coup à donner... J’ai jeté le marteau, arraché les clous déjà plantés, le sang coule, l’encre dont j’avais besoin, la seule utile pour traduire sa vérité, toute autre échappe à sa perception.

Comparaison amusante, blasphématrice diront certains ignorant que c’est trahir d’adorer l’image de la mort.

Mon ombre n’est pas celle d’une croix.

Ai-je l’air d’un martyr ? Mais je ne me vois en fondateur de religion. La Passion en revanche m’intéresse dans ce qu’elle exprime d’un destin à assumer, des doutes, des moments où persévérer est une douleur, ou la tentation est de rester à genoux, regard vers le sol et se perdre en un paradis qui est la vitrine du néant illuminée par la peur. Je fus tenté de renoncer, de monter au supplice, de dire non ! Résister fut difficile et je ne tire pas de mérite puisque quoi que je fis ce fut parce que j’en avais la force, à quoi bon lutter quand l’ennemi est supérieur ? J’ai appris à aimer les mots qui me déchiraient, ils n’étaient pas hostiles mais une force utilisable.

Ai-je le droit d’employer le symbole christique ? Que celui qui a vécu pareille situation me jette la première couronne d’épines ! La comparaison est osée ? Sans cela elle n’aurait pas d’importance. Ce christ est-il autre chose que notre intime vérité face à cette apparence humaine dont nous nous contentons ? Il s’agit de naître, pas de ressusciter. Apparence à déchirer en une douleur à laquelle rien ne prépare, l’inverse des promesses des religions.

Jésus serait-il un de ces ancêtres dont j’ai parlé, réceptif à des interrogations assez présentes en d'autres pour les amener à écouter un enseignement faisant, de loin, écho à leurs préoccupations. Il prêchait, apparemment, la paix, l’amour de son prochain, comme si le néant était la bonne réponse. Réponse, oui, la bonne, ça…

Il est humain (?) D’avoir peur de son martyr, quand bien même on souhaite s’y trouver. C’était une porte de sortie. Comment rester au contact des autres qui n’auraient pu supporter la réalité. Quitter leurs yeux, entrer dans leurs esprits, bien joué !

Les anathèmes se profilent, chez le primitif malédictions et injures sont des moyens de se dire différent de celui qu’ils agonisent.

C’est ce que je suis !

La croix de la folie était tentatrice. Seul j'y serais encore. J’anticipe les réactions des moutons qui crèvent les yeux de leur lucidité par adoration d’un exemple inaccessible, d’une Passion qu’ils contemplent sans voir qu’elle est promesse de transformation.

Fils de l'Homme disait-il, un fils ayant eu peu de vrais descendants mais beaucoup de faux frères !

J’ai un avantage, je suis né après, d’autres s’intercalent entre nous. Être un symbole vivant conduit à la dissolution. Ses sectateurs prirent leurs responsabilités, les premiers trouvèrent, peut-être, le salut mais combien des suivants perdirent-ils leurs âmes dans le sang de leurs victimes, eux confondirent divin et bestial !

J’utilise mon éducation et à celui qui me lancera une pierre je jetterai un sourire de victoire.

Ai-je besoin d’une filiation, de nommer mes aïeux ? Leurs doutes sont miens. Individus prêt au sacrifice pour assumer leurs destins. Difficile d’échapper aux contraintes de son époque, puis-je me défaire de celles du présent ? Qui se servira de moi dans deux mille ans ?

 

Ma croix ne s’effacera pas, qui veut me comprendre prendra ma place. Combien planteront le dernier clou pensant, non sans raison, que ce sera moins douloureux qu’arracher les deux premiers ?

La journée sera belle, penché sur mon clavier j'irai chercher les mots où ils se terrent sans souci de me souiller.

Combien de clous encore ? Qu'importe, c'est ma déraison d’être.

La meilleure lumière vient de l’intérieur, même si le soleil est amical après une si longue nuit, après tant de phrases, d’idées que je ne pouvais plus contenir. J’imagine, quelque part, un enfant levant les yeux vers le ciel, souriant de l’amoncellement de nuages à l’horizon, il sait que l’orage va se déchaîner, que les murs trembleront, que l’univers semblera s’emplir d’eau comme si le déluge recommençait. Il va assister à un magnifique spectacle, la furie de la nature.

Je ressentis cela en moi, rien de plus, des forces en actions, sous-jacentes à toutes vies. Des puissances dont je perçus l’existence avant de pouvoir rien formuler. Pantin organique échappant aux fils le manipulant. Il se prit le pied quelque part et rien ne fut plus comme avant. La nature est ainsi, aimant se surprendre, cassant ce qu’elle fit, recommençant sans se lasser, ayant l’éternité devant elle.

Ma lucidité surplombe un abîme aussi profond que le temps. Pas de vertige, de crainte alors que mon regard s’apprête à y plonger ; mes pensées à y descendre pour toucher, regarder, comprendre. Un jour, je le sais, je n’en reviendrai pas, mon corps restera là, ma curiosité s'étant s’arracher à son attraction comme une fusée à celle de la terre. Bonne comparaison, emballage nécessaire mais matrice transitoire. Que je puisse m’en séparer est improbable, quelqu’un le pourra pour un premier pas sous une forme nouvelle, celle que je crus voir, deviner, à m’en faire peur. Que m’importe qu’à certains ces phrases semblent délirantes, qu’ils y voient un miroir m’arrange. Leur vérité est inaccessible à beaucoup et c’est mieux ainsi. Il ne s’agit pas de donner un cours qu’il conviendrait d’apprendre par cœur, il s’agit d’entendre ces mots et de leur répondre.

Si c’est effrayant que la croix vous retienne !

La lumière ne brûle pas, elle consume, il était temps, mes yeux allaient oublier qu’ils savaient voir, mon cerveau qu’il savait penser.

Seul sur le quai je regarde le soleil monter dans le ciel, combien de fois, enfant l’ai-je vu ? Je ne peux compter, je sais qu’il me voyait, je recèle de la poussière d’étoile comme l'a dit un astrophysicien, lequel s’il pensa jamais que cette poussière avait de la mémoire n’imaginait pas qu’elle pouvait être une ouverture.

Ce décor fut celui de mon enfance, le pont devant moi menant à l’école aujourd’hui détruite et remplacée par une si laide que je plains les enfants s’y égarant ! L’allée de marronniers, les cailloux que je lançais vers la rivière. Photos d’une vie qui ne m’appartient plus, qui fila entre mes doigts mais par laquelle je pus rester conscient.

Le jardin devant moi, il est trop tôt, en cette saison il ouvre tard, qu’importe, escalader la grille est un jeu d’enfant.

La pente est raide, elle me surprend toujours, la statue équestre d’une héroïne dauphinoise me regarde. Sur la gauche une aire de jeu, un bassin presque circulaire, un préau, un bac à sable, un toboggan… Plus celui de mon enfance, une bizarre construction en fer manque, espèce de tour en anneaux superposés, et même un tunnel de cercles métalliques a disparu. Le temps efface tout. Je le dis sans nostalgie, rien n’est conçu pour durer toujours, ni jeu ni un enfant.

J’ai joué en cet endroit, avec des camarades, ce qui arrivait parfois. Je me souviens... Surtout paraître normal, Ma vie s’éclaire de ce qu’enfin je sais. A quoi bon supporter les autres s’ils nous sont inutiles, sans leur imposer notre présence en retour.

Je préférais l’ancienne fontaine, verte, avec une espèce de roue en son sommet qu’il convenait de tourner rapidement pour faire venir une eau toujours froide. Les bancs sont là, les bancs… Qu’ai-je écris, ou vécu, parfois la différence est imperceptible ? Je m’asseyais à côté d’une silhouette familière, tant de pensées circulaient en moi sans que je parvienne à les maîtriser. L’ouragan soufflait dans mon esprit, parfois je le sentais désireux de succomber à la violence d’images incompréhensibles. Je crus que la folie m’attendait venait me prendre par la main, j’étais prêt à la suivre n’importe où, ailleurs, loin. Mais je me trompais, c’était… Il s’est tourné vers moi, nos regards se croisèrent, en lui je sentis de la compassion, il savait ce que je vivais et par le regard tentait de m’encourager, de me persuader qu’il ne fallait pas céder tant qu’un grain de vie reste promesse d’avenir.

Le temps permet ce regard derrière moi, le présent est le passé du futur. Est-il possible que les époques se chevauchent ? Cet homme devant moi c’était… Moi ! Cela me fit du bien. C’était la preuve que j’allais tenir, passer au travers.

Moi, tel que je suis en cet endroit, en cet instant, mais de l’autre côté du banc. Je peux regarder, je ne verrais personne, il n’empêche, je me devais de venir pour que le temps reste cohérent, de regarder vers le passé pour lui dire qu’il peut espérer. Heureusement je suis seul. Tout cela put n’être qu’illusion, une façon de me faire croire en l’avenir, probable, tant que l’impossibilité de ce que je vécus ne sera pas démontré je la conserverais comme vérité.

J’avais rendez-vous avec le passé, avec cette enfant avec laquelle j'ai joué ici. Son souvenir persiste, n’est-ce pas elle qui court, qui rit, dont le regard se porte dans ma direction. Le temps d’un battement de cœur je fis semblant d’y croire…

Je me lève, poursuis mon chemin, jadis il était difficile tant j’étais épuisé d’un combat intérieur absorbant mon énergie.

Deuxième niveau, esplanade sableuse, des bancs se faisant face, dans le temps existait dans le fond une cavité pouvant faire penser à une grotte, maintenant bouchée pour raison de sécurité.

Quelques pas, encore des souvenirs disparus. Devant moi s’étalent des jeux modernes, de mon temps ; et je le dis avec plaisir, je ne voudrais pas avoir trente ans de moins ; de mon temps donc il y avait des espèces de tipis, un demi-cercle en pierre, quelques poteaux penchés pour se rejoindre, un totem au centre. L’imagination n’avait pas besoin de davantage pour se satisfaire. Maintenant... Main lâchant… Je n’ai rien à tenir de ce qui se trouve là, rien.

D’autres étages, d’autres sièges certains sur lesquels je vins lire, écrire des poèmes, des lettres, les seuls cris que je savais pousser. Si Elle n’avait pas répondu… Je n’ai jamais rêvé de millions de lecteurs, une lectrice me suffisait.

Bien des endroits de ce parc sont gorgés de souvenirs. Y revenir a valeur d’adieu à une époque engloutie. Il est temps de redescendre, les jardiniers que je croise ne me disent rien, pourtant ce sont eux qui viennent d’ouvrir. Ils n’en ont rien à faire et c’est bien ainsi.

Amusant de penser que par-là, longeant la rivière passa Hannibal il y a bien des siècles. Je voudrais comme lui partir conquérir le monde, finir en suite d’échecs, décadence en escalier, Hannibal. N’ai-je pas évoqué le cannibalisme déjà ?

Me suiciderais-je comme lui ? Non, je l’aurais déjà fait. Plus haut, contemplant le vide j’eus envie de m’y jeter, de sentir mon corps se briser sur les rochers. L’instinct fut le plus fort. C’était le début de cette nuit dont je sors tout juste. Plutôt que de me jeter dans le vide je me contentais d’une lettre, si celle-ci était restée sans réponse…

Qui m’accompagnera en mes derniers instants ? Les personnages qui prirent de moi ce dont je n’avais que faire ? Cortège de damnés me regardant passer avec dans les yeux autant de rêves que de cauchemars. Combien de crimes ai-je commis, d’atrocités suggérées par mon angoisse trempant sa plume dans une source ancienne et intarissable ? En jaillissait l’émotion brute, violence abritée dans la cage que je lui offrais. La colère n’est pas éteinte en moi, elle changea seulement de forme, comme si un saurien du passé savait se déguiser en humain sans oublier sa nature.

L’encre devenue bleue serait séduisante comme le plus virulent des poisons, celui que l’on souhaite boire pour jouir d'une mort lente.

J’ai tant décris de cimetières, de cadavres décomposés vomis par une terre écœurée, de vers s’écoulant de leurs corps jusqu’à couvrir le sol d’un moutonnement répugnant. Je sourirais de percevoir leur cheminement en moi, de les sentir absorbant mes chairs, donnant à l’illusion une véracité pire que la vérité elle-même.

Debout au cœur d’une mer de cadavres, l’humanité décimée par la force de ma pensée.

Rester seul, défier le ciel, la vie qui me fit lever l’espoir et la volonté en ciseaux vers l’éternité pour trancher les fils me reliant au temps. Tomber sur un sol gorgé de sang, me relever, me découvrir capable de tenir debout, seul. Comme si la Création n’attendait que cela, que le big-bang était un accouchement enfin terminé.

Vanité ? Et alors ?

D’autres maux, pardon ! D’autres mo(r)ts vont venir, que chacun prenne une parcelle de ma chair et l’absorbe pour grandir, croître, vivre enfin. J’espère avoir cette qualité de mettre en mes phrases une vie dont, en dehors, je n’ai pas eu le mode d’emploi.

Je ne peux plus trahir une enfant et sa vie qu’elle me confia.

Elle accepta sa croix et la cicatrice en moi de son offrande indique le chemin à suivre.

La peur ne m’atteint plus, même celle impliquant l’âme ou ce qui en tient lieu, la peur de la damnation s’emparant de qui se renie.

L’Enfer est traversé par une rivière faite des larmes des damnés ? Les miennes s’écoulèrent en un autre puits déblayant l’oubli accumulé par le temps. Les créatures du néant ne m’atteindront pas. Je comprends leur rage, moi qui prouve l’inanité de leur trahison. La paix se trouve par l’utilisation de sa vie pas dans l’envie de la mettre de côté pour un au-delà inhumain.

Un fleuve de sang me plairait, traversant un désert imaginaire. Je me souviens, d’en haut je voyais sa forme, une signature...

La mienne.

Je persiste et j’ai déjà signé, sans lire.

L’ombre ne m’effraie plus, pour un peu je penserais le contraire. Elle veut s’éloigner mais ne le peut pas, elle fait partie de moi, dans l’obscurité elle n’est plus à l’abri. Je peux me repaître d’elle, de ses émotions, ce fut si longtemps l’inverse. Je me souviens de ses morsures, de sa présence quand la folie me taraudait, quand j’étais envahi d’images terrifiantes dont je ne savais me défendre qu’en les intégrant, les redessinant à mon image.

On dirait un sourire.

L’écho remontant du gouffre des origines est prometteur, je ne peux plus prétendre à l’innocence devant ce qui m’attend. J’ai souillé la mienne avec plaisir sans demander pardon, elle m’aura fourni d’intenses sensations qui me furent profitables. Je me suis autant nourri d’un corps frais et savoureux que d’une carcasse aux yeux clos. La différence résidant dans le bouleversement procuré, vécu.

Ces autres furent les moyens de puiser en moi ce dont je devais me débarrasser, ils furent des hameçons.

Ce n’est pas gentil mais c’est vrai !

Je doute que quiconque venant de l’extérieur puisse m’atteindre encore, m’atteindre vraiment. A l’occasion je ne dis pas ? Ce qui m’intéresse passe par l’intérieur. Non que j’aie hâte d’en savoir plus, l’avenir soulignera mes délires. Qu’importe !

Où est la croix à mes mesures ?

Des gens vont et viennent derrière moi, discutant, me regardant. Se savent-ils spectres manipulés par une force invisible ? En sais-je plus qu’eux ? Je sens qu’elle existe et qu’elle n’a pas d’âme.

Pas encore !

Rentrer chez moi, retrouver mon décor… Je n’en ai pas envie mais il le faut, un long chemin de papier m’attend, je sais où il mène. Des personnages m’espèrent, ils grouillent, affamés d’une vie que je leur confie afin qu’ils me guident.

La porte est ouverte, je vois ce qui en sort.

En sort ; En charme ; En sortilège.

J’aime la fraîcheur du matin, ce léger vent courant sur la rivière. Quelques pas encore, un chien qui passe accepte mes caresses. Je suis plus proche de lui que de son propriétaire.

Traverser la place, prendre cette rue que je connais si bien. Cinquante mètres, une porte de fer, le hall, l’escalier, la porte de mon appartement. Le seul lieu où je peux ouvrir celle sur l’ailleurs.

Quel voyage depuis que je suis sorti, si j’avais su…

Changer de vêtements, retrouver mon placard-bureau. Le clavier devant moi. Faire jouer mes doigts, les échauffer.

Placer mes mains correctement, taper est l’unique savoir utile que je doive à l’éducation nationale.

La porte est grande ouverte, la lumière m’appelle…


J’arrive, j’arrive !

 

Les miroirs se font face, en chacun je me découvre. Ai-je atteint ma représentation exacte ? Après ces années, cette galaxie de papier ou chaque page était un astre s’espérant porteur de vie. Édifice aux limites de mon délire ou proche d’une réalité effrayante ?

J’ai envie de penser que cette sœur est une illusion mais dans la réalité je n’ai pas vu d’enfant assassinée. Le puzzle s’assembla devant moi, complet, il est compréhensible.

Folie ? Qui conserverait trace d’un événement de ce genre, qui l’utiliserait pour espionner la vie, surprendre ce chant indicible que la science veut définir mais que la sensibilité seule peut apprécier.

Aucune main ne se posera sur mon bras… Elle est en paix.

Maintenant ? Des surprises m’attendent, des rencontres avec des parties de moi incarnées en marionnettes. Leurs voix réunies sont la mienne, la seule à écouter.

Textes en poupées russes, est-ce le dernier ?

Ce n’est pas une porte noire qui m’attendait, bien que la mort ait été omniprésente dans mes premiers textes. Vingt ans pour comprendre, remettant sur le métier un travail qui m’eut tétanisé si j’avais entrevu ce qu’il serait. Le chemin se poursuit, j’ai atteint l’endroit où il se brise, la faille conduisant au plus près de moi-même.


Damnation ou chance d’être à cette place ? Le temps apportant la réponse confirmera que les deux ne font qu’un.

Ce qui ne te tue pas te rends plus fort disait Nietzsche, j'ai survécu malgré moi.

Mon regard plonge dans l’abîme, il est l'heure de descendre. Si les mots ne m’aident pas à revenir ils guideront qui me suivra.


Qui me rattrapera, me dépassera?

Toi?

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Lire au nid
  • : Mes (ré)créations littéraires et photographiques.
  • Contact

Bienvenue...

Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

Rechercher

Pages