Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 08:19
Promettez... (9) 
 

                                      10

- Vous avez grandi, pas seulement vieilli, passer ce pont dans l’autre sens serait riche de symbole. Vous étiez bon élève ?

- J’étais poussé à l’étude, normal à mes propres yeux. Se remémorer le passé c’est visiter un cimetière où se perd un passé de moins en moins reconnaissable. Je revois cette époque, le coup de sifflet pour rentrer en classe après nous être mis en rang. Pas question de moufter. Les bureaux, l’encrier, le casier, on se croirait au dix-neuvième siècle. Filles et garçons séparés, les cris dans les couloirs… Un cortège de zombis défile devant moi. Près d’ici, la voiture de l’instituteur, la première dans laquelle je me souviens être monté ; une quatre chevaux. Il me permit d'aller en vacances, pas loin mais un grand voyage pour moi, dans le sud du département. Comme une pelote de laine, un souvenir en amène un autre, un moment précède le suivant et ainsi de suite. J’aimais bien cette colonie, pas mon premier éloignement de la maison, mais le plus long et qui se reproduisit plusieurs années de suite. Les images eurent le temps de s’incruster. Joli décor, un petit village cerné par les montagnes. Le vent lui donnant son nom, l’écho d’un accident d’avion. La campagne, les bois, le petit et le grand, je me souviens des troupeaux de vaches et de biquettes. Peu de voitures, l’air pur, le soleil. Le premier jour fut pénible, arrivé dans la matinée mes futurs copains étaient partis, je fus conduit vers eux… J’ai pleuré, un moment, avant de les rejoindre. Je revois la barrière de bois, le chemin de terre avec une ligne d’herbe au milieu. J’espère que d’abominables villas n’ont pas pollué cet endroit. Pourquoi l’humain veut-il poser sa marque partout, comme un chien pissant pour marquer son territoire ? Je m’entendais avec mes camarades, j’étais drôle pour me faire accepter, excellent masque que l’humour. Attirer l’attention pour la détourner permet de rester loin en semblant proche. La nuit en revanche, je me souviens des histoires d’épouvante que je racontais. Couché, n’ayant pour lumière que celle venant par deux petites fenêtres. Le clocher de l’église rythme les heures. J’appelais la peur comme une amie pour me rassurer. Si j’avais su j’aurais pris des notes dès cette époque. Ma mémoire trie.

- Des petites filles ?

- Oui.

- Les amours enfantines sont si importantes.

- De celle de la colonie je conserve une impression tendre, le désir de lui prendre la main, le souvenir d’avoir entendu dire que nous serions mariés un jour. Je lui suis resté fidèle puisque je suis célibataire. En a-t-elle fait autant... L’amusant serait de la retrouver en allant là-bas, qu’elle ait la même idée en même temps. Ce que la réalité ne permettrait pas la fiction le rend accessible.

- Et à l’école ?

- Cruelle déception, dont elle ne fut pas la cause. Les parents ne demandent pas l’avis de leurs enfants pour déménager, moins encore celui de leurs camarades. Pendant des années elle accompagna ma vie quand j’étais près de m’endormir, ainsi je ne fus jamais seul.

- Elle connaissait vos sentiments ?

- Non ! L’amour parfait n’est pas vécu de ce fait il peut aller vers l’éternité, changeant mais toujours semblable. Le temps affadit la réalité. Que serait-il advenu de moi sans elle, sans cette première ancre dans la vie… Mon esprit apprit tôt à conserver un phare dans le réel sous peine de sombrer, le vaisseau fantôme doit aller quelque part, où le croire. Il intériorisa un joli visage pour ne pas se perdre. Un matin j'ouvrirai les yeux sur un univers blanc et doux, je serai assis sur un tabouret fixé au sol, dans mon sang circulera l’amical venin de la psychiatrie moderne. J’ignorerai être mort, les ténèbres m’emporteront sur un dernier sourire, sur un premier espoir. Sans ma capacité à formuler ce que j’éprouve, ce serait arrivé depuis longtemps. Elle est l’arme tenant en respect l’ennemi voulant me détruire par ce qu’il m’enseigne, par ce qu’il me saigne d’émotions.

- Il y eut d’autres ancres ?

- j'ai appris tôt que j'en aurais toujours besoin.

- Et maintenant ?

- Visages sublimés, corps oubliés, étaient-ce des amours ?

- De bons moments ?

- Comme à l’école, comme en colonie, comme à…

- L’amour vous fit souffrir ?

- Il n'est que la sublimation d’instincts fondamentaux ? L’homo sapiens se veut sommet de la Création. Je sais, mes paroles sont chargées de renoncement, frère du renoncement, fils de la lucidité.

- Non viable sans perfusions de redites du passé.

- Prenez du réel ce qu’il vous donne, nourrissez-vous d’instants, d’émotions et de sensations, de curiosités et d’abandons. Le reste… Je n’ai pas voulu être ce que je suis, quelque prix que je doive acquitter, sans espérer l’être. J’utilise une matière concrète, après avoir arraché la cangue d’une imagerie bêtifiante.

- L’avenir changera votre façon de voir.

- En pire !

- Retrouvons la colonie, et le dernier jour ?

- Le dernier dernier ?

- A quoi pensez-vous ?

- Une image, mon départ, à la fin de l’été.

- Dites-moi, dites-nous.

- Je suis seul, la rentrée des classes approche. Ma grand-mère était morte quelques semaines plus tôt. Assis dans l’herbe, sans surveillance, je joue avec des cailloux, des morceaux de bois devant le grillage du potager. Je pourrais partir, remonter le champ, prendre le chemin, je pourrais… Mais je m’amuse. Il en faut peu à un enfant pour se distraire, des objets qu’il tient entre ses mains, entre ses pensées. Pourquoi ai-je levé la tête, ai-je perçu un regard, une présence ? Je ne sais pas mais je vis le ciel gris, les nuages envahissant l’horizon et venant vers moi poussés par le vent. Maintenant j’admirerais ce spectacle, sur le moment je fus sidéré. Ce n’était pas la foudre tombant à mes pieds mais une évidence s’imprimant dans mon esprit. J’ai vu mon avenir, terrifiant de promesses et débordant d’énergie comme un orage d’été. Mon enfance se fendilla, au travers apparut la fulgurance de mon devenir. Stupéfié, éprouvant les effets secondaires de l’explosion mentale que je viens d’encaisser. Une sensation de solitude qu’une île dans un océan sans limite partagerait.

- Vous avez perçu votre unicité.

- Sur le moment je ne pensais pas ainsi, l’émotion était incontrôlable, les larmes se mirent à couler, je n’avais aucun autre moyen d’expression. Je pleurais rarement, la fois précédente c’était en lisant la carte postale m’avertissant du décès de ma grand-mère. Je reniflais, cachais mes pleurs, fit comme si de rien n’était quand la monitrice vint me chercher pour le repas. Fin du court-métrage. Je ne sais même pas avec qui je mangeais. Quand mes larmes s’écoulèrent le poison m’envahit. Non mortel, pire ! Le poison de la lucidité rongeant jusqu’à atteindre le plus intime recoin, en ses mystères les plus étranges. Je me maîtrisais. Surtout ne rien montrer de ce moment de violence terrible. Plus tard, je me dis que revivre cet instant serait enrichissant en espérant que le temps se pliant sur lui-même permette le prodige. Je ne pus jamais retourner à cet endroit.

La nuit suivante fut normale, j’avais le lit le plus éloigné de la porte, place réservée. Je dormis paisiblement et le temps fit son œuvre. Je remonte le passé comme un paléontologue un squelette sans certitude de n'en avoir qu'un devant lui. Mes images sont-elles l’expression d’un unique souvenir ? Mon retour fut reporté plusieurs fois, jour après jour. Je revois le dortoir des filles sous celui des garçons, l’escalier tournant sur la gauche en montant, je distingue clairement l’intérieur de cette maison. La copine avec laquelle je me battais, un garçon manqué, probablement mémère de famille maintenant. Nous avions décidé de ne plus retourner dans cette colonie, je ne tins pas parole. Maison accueillante, manger à volonté, assiette anglaise le dimanche. Un spectacle de cirque une année, avec des clowns pas drôles. Corvée d'écriture un jour par semaine , je me limitais à des phrases du genre "Je dors bien, je mange bien, je m’amuse bien !" Je me suis rattrapé depuis.

- De bons souvenirs.

- Les batailles de bouses de vache.

- Cette impression d’isolement ?

- Elle resta présente. L’enfant du retour n’était plus celui de l’aller. J’ai utilisé ce moment dans un ou deux textes, consciemment, beaucoup plus je pense sans le comprendre.

- C’est l’inverse en ce moment.

- Il me reste à apprendre de cet instant. J’aimerai me pardonner l’enfance que j’ai eue.

- Cette période vous hante. Elle vous attendait.

- Elle revient. Les nuages s’approchent, je suis assis, seul, la pluie ne tombe pas encore mais l’air se charge des prémisses de l’orage et mes yeux sont déjà mouillés. J’ai de l’avance, et si… Je ne sais pas. Est-ce moi qui parle ? L’enfant que je fus se souvient encore. Une crainte s’approche, je sens une gueule aux mots acérés venant pour me mettre en pièces. C’est une impression à noter dans mon carnet comme un nom dans un cimetière.

- La nuit nous protège. Ne reculons pas. La porte est ouverte, le passé vous tend la main, dépêchez-vous avant qu’il reparte.

- Je suis seul devant l’immensité du ciel. Brusquement je perçois le gouffre en moi. Quelqu’un est derrière moi, surgissant par magie, déjà là qui sait, attendant que je perçoive sa présence. Une brindille qui craque sous ses pieds, le vent qui me confie sa présence ? Une ombre glacée sur moi ? Je m’étonne de ne plus être seul.

- Vous attendiez sans le savoir.

- Il aurait fallu… Elle mit du temps pour venir.

- Pour que vous vous autorisiez à la voir. Combien tentèrent de vous atteindre ?

- J'étais rejeté, oublié et le vivais avec une brutalité inouïe.

- Vous regardez derrière-vous ?

- Le doute m’envahit. Est-ce un espoir que l’évidence détruirait. Affaire d’imagination, c’est maintenant que je ressens cela, ce n’est pas arrivé, ce n’est pas… Je tente de retrouver le petit garçon que je fus, ce qu’il aurait éprouvé dans ces circonstances. Facile, rien ne viendra infirmer quoi que ce soit mais je ne peux retenir ce qui se trouve devant moi, pour perdre du temps.

- Vous vous retournez.

- Une haute silhouette sur fond de ciel gris. Étrange tenue, un manteau descendant jusqu’au sol, une large capuche. Il semble tenir seul mais je sens un regard posé sur moi sachant ce que je veux me dissimuler. J’aurais pu raconter, une nuit, une histoire de ce genre pour effrayer mes copains, pour qu’ils sentent sa proximité, avec une différence, elle nous attend de face, pour que, affrontant son regard, nous devinions l’inanité de nos espoirs.

- Vous avez peur ?

- Mon cœur hésite entre effroi et soulagement. L’évidence est criante dans le silence d’une nature attendant un déchaînement de violence. Présence implacable se détachant sur le ciel que , par effet de perspective, elle semble capable d’atteindre, pour y saisir les nuages afin de noyer les promesses de renouveau.

- Promesse ?

- La vie tient en ce mot. J’attends la proposition muette qu’elle incarne. Je peux me détourner, regarder devant moi, je sais que je ne la verrais plus. Ma peur s’efface, une force étrange me tient et m’incite à percer le secret d’un regard que je ne trouve pas. Finalement je me lève, m’avance, espère. Elle tend un bras, me frôle et le froid m’engourdit. Un pas supplémentaire me libérerait.

- Vous partez avec elle ?

- J’hésite, la scène passe au ralenti, mes jambes frigorifiées, mon corps s’engourdit, je résiste. Me retournant j’apercevrais un corps d’enfant allongé dans l’herbe, les yeux ouverts, souriant. Les premières gouttes de pluie tombant noieraient mes dernières larmes.

- Est-ce le meilleur choix, la mort ?

- Pourquoi pas ? J’exprime un regret, une impression, ce n’est pas un souvenir, ce n’est pas… Le Diable aurait pu venir à moi, un pacte à la main, me proposant de le signer, je pense que je l’aurais… je l’AI signé ! Et pris la route m'éloignant de la normalité.

- Un pacte suppose un gain, même temporaire.

- Une sensibilité à un savoir que peu imaginèrent jamais.

- Vous avez lu les petits caractères ?

- La page était vierge. L’encre mélangeait larmes et sang.

- Ce qui ne vaut rien…

- J‘attends pour déterminer si j’ai été floué ou non.

- Vous avez votre âme des griffes du démon au dernier moment.

- Il n’en reste pas moins que les termes du contrat furent, littéralement, exécutés.

- Une sensibilité, une réceptivité dépassant la moyenne, une porte ouverte en vous.

- L’explication traduit ce que je ressens, une partie de moi mourut ou tomba dans un coma profond ce jour-là dont elle ne s’éveillera jamais. La gardienne de la porte.

- Cerbère de la normalité !

- Exactement ! Les années ont passé, les décennies. Elles se voient sur mon visage, se lisent dans mes phrases mais j’apprécie désormais ce que je suis. Le prix était correct. Reste l’impression que je dus payer par avance ce que je vais découvrir. Devinant ce qui m’attendait, j’aurais renoncé, la peur eut retenu ma plume, conscient, je me fus effrayé de ce que je devrais acquitter au long des… trente trois années à venir.

- L’enfance fut ce prix, êtes-vous prêt à savoir ? L’ignorance est un tranquillisant efficace. Vous avez vécu les yeux clos, il est temps de les ouvrir. La mort s’éloigna quand vous lui avez dit non.

- J’attendais que la vie prenne sa place. A l’époque j’avais peur de la lumière, les ténèbres se dégagent et la clarté m’éblouira sans m’aveugler.

- Jamais vous n’avez oublié que vous pouviez voir. A travers le temps vous retrouvez ce garçonnet, sa solitude. Terrifié il se raidit, prêt à affronter l’ouragan s’annonçant. Vous ne pouvez le consoler. Ne trahissez pas ce qu’il fut. Il sent votre présence au plus secret là où vos mains peuvent se rejoindre. Vous avez le pouvoir de regarder au travers du ciel les forces vous manipulant. Acceptant l’obscurité vous pouvez la franchir. Sa souffrance ne peut être inutile, le temps travaille pour lui. C’est un jeu ! Ainsi traversa-t-il ces années de désert, de frustration, de rage et de haine, vivant dans un un monde de papier pour attendre la libération. Le temps se plie, une boucle, deux instants se superposent et le présent s’apprend du passé.

- Je n’ai plus de larmes, les pleurs déforment la vision. Pourquoi n’ai-je vu qu’un manteau de la mort ?

- Parce qu’elle ne pouvait vous prendre. Elle se montre quand elle est certaine de sa victoire. Trop belle vous auriez cédé à son appel. Elle fut une impression comme ces visages aimés, désincarnés pour être moins dangereux. En vous des portions sont nécrosés, d’autres sont à naître. La sensation de vide que vous ressentez tient à leur absence. Si vous aviez suivi la mort qu’auriez-vous découvert ?

- Nous aurions traversé le champ, atteint la haie, de l’autre côté un univers désolé m’aurait attendu. L’évidence que désormais rien ne changerait. Un manège dont chaque tour copie le précédent. Le poison est positif, ces larmes noyèrent en moi l’aptitude à me satisfaire d’un quotidien assumant nos instincts les plus basiques.

- La souffrance purifie, un bûcher intérieur se repaissant des peurs mortes, du superflu. D’autres phrases désirent émerger. Cette mort à un autre sens, un enfant ne l’aurait vue pour rien.

- Les cadavres s’étant succédés au long des années précédentes.

- Pas seulement cela. La mort, l’orage, l’obscurité, autant de masques pour un savoir s’approchant. Vous ne m’avez pas tout dit ?

- C’est vrai.

- Vous avez peur, vos paroles sont des poupées russes !

- J’ai eu l’occasion de me pencher sur mon passé, de m’arrêter sur cet instant sans voir la mort derrière moi. J’ai revécus la violence de se souvenir, réel, pour le reste ce fut un piège se refermant sur moi à travers le temps. Il était là depuis longtemps, m’attendant. Maintenant je me demande si c’était pour me protéger malgré la violence terrifiante de ce qui arriva. Pire qu’un orage, plus qu’une tornade, un ouragan qui faillit me détruire et m’entraîna vers le fond, d’où je n’aurais pas dû revenir.

- Dites-moi !

- Autant la première séquence est un souvenir indubitable, autant le reste vint-il comme une fiction mais avec une force que je mis dix ans à encaisser. Les mots surgirent si vite que je ne pus les contrôler, l’image planta ses crocs si profonds que je ne pus les ôter, seulement apprendre à vivre avec. Et encore, j’écrivais autre chose, décrivant des cailloux blancs ressemblant à des vers. L’image d’une mort crue, charnelle, blottie contre moi, se consumant dans mes bras, laissant sur mes lèvres le souvenir d’un contact ineffaçable. C’est ensuite que je tentais de comprendre où placer cette illustration, que je restaurais le passé pour cela. La suite de cette fin d’après-midi de septembre. Je rentre avec la monitrice venue me chercher, je mange, rien que de très banal, puis monte me coucher. Je m’endors, un moment, avant de me réveiller, tenaillé par une angoisse insoutenable. Il me faut sortir. Je m’habille en silence, veillant à ce que le parquet ne me trahisse pas. Je descends, tout le monde dort, je peux partir. La salle à manger, la porte d'entrée. Je sais où trouver la clé. Dehors, le village sur ma droite, la route descend, une autre prend la direction des champs. Marcher fut toujours mon sport préféré. J’arrive près d’une ferme, je longe le mur, m’arrête en entendant du bruit. La curiosité me tient. Était-ce une sorte d’appel ? Je n’ose bouger puis m’approche d’une fenêtre donnant sur la grange, je passe la tête, risque un œil… Ce que je découvre me stupéfie, littéralement.

- Et …

- Un homme étrangle une enfant, elle se débat, donnant des coups de pieds, de poings, mais l’homme est trop fort… il a placé ses mains autour du cou de la fillette, il serre. Elle cesse de se débattre, ses yeux fous trouvent les miens, je sais qu’elle me voit, son regard porte les cris que sa bouche ne peut plus formuler, je les entends encore résonner dans ma tête. Elle s’accroche à moi, sans espoir que je la sauve mais pour pas mourir seule, pas comme ça. Elle se crispe puis se détend, ses yeux s’écarquillent, sa bouche se fige, l’homme se redresse, rouge, suant, les yeux hagards, possédé d’une rage que probablement il ignorait contenir. Quelque instinct lui fait remarquer le regard de sa victime, il le suit, me découvre. Je suis si près de la vitre que la lumière me trahie. Quand il se rue à l’extérieur je suis déjà loin, à peine ai-je eu le temps de le voir se saisir d’une hache. Je cours, vite, croyez-moi, la terreur est le meilleur des dopants. Il ne put me rejoindre, puisque je suis là ! J’ai réintégré ma chambre, mon lit, me suis rendormi… Au réveil j’avais oublié ce qui s’était passé.

- Vous n’en avez jamais parlé ?

- Une image profondément enfoncée en moi, deux décennies furent nécessaires pour qu’elle remonte, comme ce vaisseau fantôme, comme si j’étais près du fond de l’âme où tout devient possible. L’expression d’une émotion que les mots ne rendrons jamais, un cauchemar exprimant la solitude ressentie plus tôt qui me poursuivi durant des années sans que je puisse retenir mes larmes, celles que j’avais refoulées et qui se vengeaient. J’ai pensé être fou, que j’avais tué, mais cela ne serait jamais passé inaperçu. J’ai cherché dans les journaux de l’époque sans rien découvrir. Pourquoi une s'il s'était agi de moi ! Était-ce ma sauvagerie qui s’exprimait ? A l’époque j’aimais les histoires d'aventures ensuite l’épouvante eut ma faveur. Logique si j’avais vécu cela. Maintenant encore je m’interroge, étudie l’éventail des possibles pour me déterminer.

- C'est l'expression de ce que, enfant, vous avez éprouvé, des pensées scellées faute de termes pour les extérioriser. Elles influencèrent vos récits. Un masque à arracher qui vous attend dans la cale du vaisseau.

- C’est la mort ! Cette ombre derrière moi, cette enfant… La mort dont je conserve la sensation d'un contact, quand, lequel...

- Maintenant vous pouvez savoir.

- La porte est béante, j’hésite à avancer. Tout semble si simple, la violence d’un cauchemar, une cicatrice psychique modifiant mon comportement, m’incitant à puiser en un imaginaire de plus en plus violent. Ma vision est floue et je crains de la préciser.

- Vous pouvez comprendre les mécanismes qui vous guidèrent, regarder l’enfant jouer et retrouver ce qu’il ressentit. Ces forces auraient pu vous déchirer, votre résistance vous permet de les utiliser pour avancer en terrain inconnu, dépasser les autres en sachant devoir l'être à votre tour. Je vous le répète, laissez-vous dire ces aveux qui attendent au bord de vos lèvres.

- Un séisme comme un tremblement de terre ouvrant une faille permettant au regard d’aller où il n’aurait pu dans des conditions normales, une invitation de la nature. Un chemin ouvert en moi, un ébranlement aux limites de la dislocation, un abîme au fond duquel je m’aventure. Mes pages sont pleines de ce que j'y rencontrai, des centaines d’histoires pour supporter ce que je voyais et dont je n’aurais pu intégrer la sauvagerie. Maintenant je m’interroge sur l’utilité d’en savoir plus, et celle d’une chaîne d’esprits curieux désireux de percer les secrets dont ils sont issus. La foudre est tombée en moi, un éclair illuminant la mort d’une enfant. Mon âme attendait des circonstances favorables, le moment où la porte s’ouvrirait pour lui interdire de se refermer. La brûlure suppure une encre purifiée par le temps. Un aveugle développe mieux ses autres sens, ce qui fut détruit me permit d’utiliser d’autres facultés, les forces que je n’eus pas à employer vers l’extérieur me permirent une exploration intérieure approfondie refusant les explications courantes des mythologies usuelles. J’aimerais définir ce qui arriva mais mes compétences sont limitées. Je vois la scène, théâtre cérébral, les cellules régressent, se replient, d’autres prennent la place libérée. Cet éclair put être une pensée trop complexe pour un cerveau immature dans lequel elle dût faire sa place. Je voudrais que les mots coulent de moi sans avoir à souffrir de leur passage. Que le temps les emporte et que la paix s’empare de moi. Ils n’en feront rien, trop heureux de danser de me présenter un tableau dont il me faut comprendre ce qu’il représente, le refuser me coûterait plus cher.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Lire au nid
  • : Mes (ré)créations littéraires et photographiques.
  • Contact

Bienvenue...

Bienvenue sur ce blog ! Vous y découvrirez mes goûts, et dégoûts parfois, dans un désordre qui me ressemble ; y partagerez mon état d'esprit au fil de son évolution, parfois noir, parfois seulement gris (c'est le moins pire que je puisse faire !) et si vous revenez c'est que vous avez trouvé ici quelque chose qui vous convenait et désirez en explorant mon domaine faire mieux connaissance avec les facettes les moins souriantes de votre personnalité.

Rechercher

Pages