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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 04:08

 


Face à son reflet ses yeux se perdirent dans les trous noirs de ses pupilles comme si celles-ci avaient dévoré les globes oculaires. Les rides formaient autour des orbites des racines semblant se perdre dans un visage minéral. Elle seule pouvait discerner de l'amusement au fond de ces ténèbres.

Elle s’éloigna de son image pour se diriger vers la fenêtre. De ce poste d’observation elle dominait un monde sur lequel elle avait appris à régner, un monde bruyant, odorant, un univers bien différent de celui de sa jeunesse. Le temps avait tellement coulé depuis sa naissance, un fleuve qui l’avait emportée, la heurtant aux récifs de difficultés dont elle avait appris à se nourrir. Comprendre le monde pour le domestiquer.

Des images d’autres époques émergèrent derrière son regard, celles de son enfance, rendues floues par la distance. La mémoire est trompeuse et aime à modifier ce qu'elle renferme.

Enfance dans un pays lointain dont le nom traînait une aura d'étrangeté faisant penser qu'il n'avait jamais existé que dans l'imaginaire. Enfance auréolée de magie, de ce qu’elle avait cru un miracle quand elle avait découvert combien l’émotion était nourrissante. Aujourd’hui encore, être entourée était pour elle un bain de jouvence. Les regards, les murmures, les prières…

Les prières ?

Son sourire s'agrandit. Ils avaient raison et seraient effarés de connaître quelques vérités que le mythe nimbe de doute. Effarés, d’abord, effrayés ensuite, refusant de comprendre comme les habitants de cette ville, de ce pays, ceux du monde entier qui n’admettraient jamais une nature qu’ils ne sauraient expliquer. Combien de fois s’était-elle plongée dans ses origines pour découvrir son propre secret, mais le mur d’ignorance était si épais que son regard n’avait jamais pu le percer. Aucun de ses semblables n’avait pu la renseigner. Là encore les légendes abondaient, sur les morsures, sur une abominable malédiction héréditaire donnant un grand pouvoir, celui de défier la mort mais faisant porter un poids de solitude pénible à endurer. Plusieurs des membres de sa "famille" avaient choisi de de se détruire jusqu’à ce qu’il ne subsistât rien d’eux, pas la plus infime chance de revenir, encore une fois, comme elle avait pu le faire au long d’une vie dont l’âge n’avait plus de signification.

Vampire ? Oui, elle serait nommée ainsi, encore qu’elle profitât d’une spécificité rare parmi les siens. Loin des images portées par le cinéma, la littérature, sur des crocs pointus, l’incapacité à supporter le soleil, l’ail ou le crucifix.

Le crucifix !

Machinalement elle toucha celui qu’elle portait autour du cou, sa meilleure protection était ce qui devait la chasser alors que seul le feu pouvait la repousser, seul un bûcher pouvait détruire assez son corps pour qu’elle n’en revint pas. Oui, elle portait sur elle le signe indiquant aux yeux des ignorants, ils sont nombreux, qu’elle ne pouvait être ce qu’elle était. Parfait moyen de détourner l’attention. S’ils savaient ces hommes, ces femmes, ces enfants, s’ils savaient en qui ils croyaient, depuis si longtemps, s’ils savaient que le meilleur aliment pour elle et ses semblables, si rares, était l’émotion, la ferveur…

La foi ?

Oui, l’aliment lui permettant de défier la mort jusqu’à ce qu’elle regarde le temps comme l’ennemi sournois qu’il était, sûr de sa victoire, certain de la pousser tôt ou tard vers cette fin à laquelle personne ne pouvait échapper. Pas même elle !

Elle baissa les paupières, quelqu’un, alors, plongeant dans ses plus secrètes pensées aurait vu la peur l'envahir et dissoudre son esprit jusque dans ses plus intimes fondations. Elle s’était amusée à révéler sa nature à des individus croyant en elle, tous préférèrent le suicide à une folie surgissant d’un abîme dont ils s’ignoraient porteur. Sa jouissance avait été si intense qu’elle avait beaucoup appris sur elle.

Elle, si vieille, courbée par l’âge, pouvait-elle être ce prédateur implacable, cette créature infernale aspirant l’immatérialité de l’être ? Personne ne l’admettrait, aucun de ces moutons n’avait le pouvoir, et moins encore l’envie, d’ouvrir les yeux. Elle s’était interrogée sur ce qui se passerait si sa nature était mise à jour, si elle était emprisonnée, si des scientifiques se penchaient sur son cas pour élucider une énigme dont elle-même ignorait tout. Elle savait présent en elle depuis toujours ce formidable pouvoir. Elle se savait héritière d’une force qui l’habitait, elle se savait locataire… Mais de quoi, de qui ?

Machinalement elle manipula sa croix, et si en Lui se trouvait le secret, s’Il était une clé plus qu’une protection, une défense contre… Contre ?

Malédiction… Etait-ce aussi faux qu’elle le croyait ? Et si elle-même était promise à des crocs dont elle ne percevait maintenant la proximité ; qui à travers elle se nourrissait de ses victimes, attendant de la dévorer ? N’était-elle qu’une bouche appartenant à une force perceptible mais incompréhensible ?

Non ! L’âge l’atteignait, elle qui s’était rêvée éternelle devinait sa fin proche. Au fond elle était plus humaine qu’elle l’avait imaginé, pas si différente des gens grouillant dans la ville autour d’elle, dépendant d’eux comme le lion l’est de l’antilope, que celle-ci disparaisse et sa force ne lui servirait plus à rien. Ainsi seigneurs et esclaves sont-ils les deux faces d’une même médaille, indissociables.

Combien de ses cousins avaient-ils rencontrés ces interrogations au long de leurs vies avant de renoncer à découvrir des réponses au-dessus de leurs moyens, combien avaient fini par l’unique, et définitive, solution accessible ?

Ses lèvres se tordirent. Définitive ? Elle savait que ce mot avait un sens terrifiant, que la clé dans sa main pouvait ouvrir sur des lendemains insoupçonnés et insoutenables. L’éternité est la seule malédiction digne de ce nom.

L’Enfer n’est-il pas symbolisé par un brasier dans lequel le damné se consume sans jamais s’anéantir ?

Elle s’étira, rouvrit les yeux, cherchant dans les ombres l’entourant des guides, attendant que l’une murmure une explication à son oreille. Aucune ne bougeât. Un jour ses victimes la retrouveraient, un jour les rôles seraient renversés, un jour… Mais pas aujourd’hui, ni demain. Pas tout de suite ! Elle lutterait jusqu’au bout, userait jusqu’à la plus infime parcelle de ses forces, tomberait à genoux sans renier ce qu’elle était, respectant ce pour quoi elle était née.

Combattre était dans sa nature, demain avait moins de sens pour elle que pour le plus petit des êtres de cette planète. Pour l’heure la vie coulait dans ses veines, une vie volée à ces proies innombrables se fiant à son apparence de vieille femme dévouée aux pauvres, marchant dans les rues dans son costume blanc, alimentée par les regards la suivant, espérant, parfois, en croiser un sachant percer son masque de bonté, la meilleure protection qu’un être comme elle ait jamais pu trouver.

La bonté était un cyclone dont elle était l’œil, gueule de vent effrayante et attirante à la fois, tentatrice comme seul le moyen de s’abstraire de soi-même peut l’être. Elle méritait le titre d’être vivant comme le lion, plus que l’antilope.

Le mal ? Ce terme n’avait pas de sens, c’était un mot inventé par les moutons pour convaincre le loup de ne pas les dévorer. Mais ce dernier est-il responsable de ses actes ?

Elle aurait voulu parler à quelqu’un, pas pour s’expliquer mais pour chercher à se comprendre, d’elle-même, sans se livrer aux scalpels de scientistes plus glacés qu’elle. Oui… Défier la mort ainsi, plus que par sa survie physique, par un testament lourd des interrogations que son espèce incarnait.

Elle palpa le symbole de bois suspendu à son cou. Lui aurait pu la comprendre, aurait… pourrait… Parfois elle murmurait, espérait…

Allons, elle n’allait pas devenir croyante, ce serait un clin d’œil du destin trop ironique, beaucoup trop.

Le jour approchait, le soleil noierait le monde, son monde, il chasserait de son esprit les interrogations de la nuit. Elle savait qu’elles reviendraient, bientôt, qui sait, un jour la réponse pourrait être compréhensible. Et si elle était née pour cela.

La seule vraie malédiction dont elle souffrait était de ne jamais dormir. Décidément son déguisement était le meilleur possible. Seule, destinée à le rester, nul ne détecterait sa nature et quand elle devrait s’éloigner, changer cette apparence, elle connaîtrait les seuls regrets de son existence en attendant un avenir dont elle avait faim… Faim !

 

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